Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, on a le sentiment que ce texte constitue une tentative de rattrapage d'un dossier situé sur un toboggan géant et qui, depuis plusieurs années, dévale à toute allure, on ne sait trop vers où...
Il y a six ans, à l'occasion de l'adoption de la loi qui porte le nom du ministre de la santé de l'époque, Philippe Douste-Blazy, était voté en grande pompe un dispositif qui faisait du dossier médical – à l'époque partagé – le pivot d'une politique de santé qui devait être à la fois plus rigoureuse financièrement et mieux structurée autour du patient. C'était l'idée que d'une meilleure structuration du parcours de soins pourraient naître un certain nombre d'économies, évidemment présentées comme fondamentales. Mais, au fur et à mesure que le temps passait, on a eu le sentiment que le débat devenait de plus en plus technique, avec un dossier médical dont la définition variait et dont on ne savait plus quel objectif lui était assigné.
Aujourd'hui, au terme d'un processus dont nous ne savons pas s'il est maîtrisé, nous nous retrouvons devant un dossier médical qui n'est plus « partagé » – parce que c'est apparu comme trop dangereux au regard des données qu'il contient – mais « personnel ». Le parcours pour en arriver là aura coûté énormément d'argent : combien aura été dépensé sans aucun résultat ? J'aimerais que le Gouvernement nous donne une estimation du montant. Je rappelle que les dépenses s'élèvent à 44 millions pour la seule année 2009. Je ne sais trop si nous nous retrouvons aujourd'hui pour tenter de sauver le soldat perdu ou pour essayer d'ouvrir une nouvelle perspective.
Ce qui a été également fatal au dossier médical personnel, c'est, depuis toutes ces années, la volonté gouvernementale d'en faire un instrument technique de rationalisation financière bien plus qu'un instrument au service d'une politique de santé qui place le patient au coeur du dispositif. Comme cela a été rappelé, le dossier médical avait pleinement son sens adossé à un médecin référent et à une restructuration du système de santé autour de la personne malade ou susceptible de le devenir. Mais, progressivement, il est apparu qu'il s'agissait purement et simplement de réaliser des économies. C'est sans doute ce qui a contribué à sa perte.
Faut-il se réjouir de cette proposition de loi et y voir le signe d'un nouveau départ ? Faut-il au contraire y voir l'énième rebondissement d'une histoire qui n'en a que trop compté ? Je crains qu'il ne faille répondre à la seconde question par l'affirmative car ce texte présente deux écueils fondamentaux qui nous amènent à le considérer avec beaucoup de scepticisme. En effet, il fait preuve d'un manque de cohérence flagrant au regard de l'environnement politique actuel et il n'est pas pertinent dans ses choix techniques.
L'année dernière, Mme Bachelot nous annonçait, avec un sens certain de la théâtralisation, que 2009 serait « l'année du passage à l'acte pour le dossier médical personnel ». Je ne sais pas ce qu'elle entendait exactement par ce passage à l'acte annoncé de manière tonitruante. Peut-être s'agissait-il seulement de la mise en place de l'Agence pour les systèmes d'information partagés, qui a effectivement enfin vu le jour et qui a attribué l'hébergement des données du dossier médical au consortium La Poste - Atos Origin. En tout cas, au-delà de cette mise en place, il n'y a rien eu. C'est donc l'année 2010 qui devrait enfin permettre au DMP de voir le jour.
Or, précisément au moment où nous touchons au but, si je prends au pied de la lettre les déclarations du Gouvernement, au moment où, enfin, ce dossier médical va voir le jour, la majorité nous sort de son chapeau un projet de nouveau dossier que l'on ne sait même pas comment appeler. En effet, de deux choses l'une : ou bien l'expérimentation proposée n'a rien à voir avec le projet plus vaste de dossier médical qui nous est annoncé, mais expérimentation suppose à terme généralisation, et je me demande pourquoi devraient coexister à l'avenir deux types de dossier médicaux, dont on ne sait pas en plus comment ils pourraient s'articuler ; ou bien le dossier présenté aujourd'hui est en tout point semblable à celui qui va arriver demain et il s'agit simplement d'anticiper sur la marche à suivre, mais alors je ne vois pas la raison de faire aujourd'hui ce qui est annoncé pour demain et je ne vois absolument pas comment s'articuleront les deux processus. Je comprends donc qu'au Sénat, Nicolas About ait qualifié de « gadget » cette version light du DMP. On a le sentiment que l'on nous donne un os à ronger en attendant que voie le jour le dossier médical. Mais puisque nous attendons depuis six ans, on peut bien attendre six mois de plus. Nous saurons réfréner notre impatience.