Le problème, c'est que ce temps d'échange ne s'arrête pas à un débat sur la mise en place du DMP, mais qu'il nous amène à discuter d'une expérimentation autour du DMP, à savoir d'un dossier médical qui, je le rappelle, n'est pas « personnel » dans l'intitulé de cette proposition de loi relative au « dossier médical sur clé USB sécurisée » pour les affections de longue durée.
Or, dès son premier examen devant notre assemblée, le texte nous est apparu bancal, mal ficelé, comme une tentative d'expérimentation solitaire, voire désespérée, alors que, dans le même temps, le fond du sujet était traité ailleurs.
Mes chers collègues, je vais tenter, au nom de mon groupe, de vous démontrer, au travers des réflexions qui nous sont venues instantanément et des informations que nous avons pu tirer des auditions – tardives – pourquoi cette proposition mériterait un renvoi en commission qui permettrait de lui donner une réelle utilité.
Commençons par le commencement, à savoir la justification de l'existence de cette proposition de loi. Le rapporteur ne cesse de répéter que ce texte est inspiré des travaux de notre collègue M. Door, grâce à son rapport de janvier 2008, ainsi que des préconisations de la MECSS qui, comme le dit notre rapporteur, est composée de l'opposition et de la majorité, et aurait émis un vote unanime sur les préconisations concernant ce sujet.
Je vais me permettre de donner quelques précisions qui me semblent utiles. D'abord, il est important de rappeler que la MECSS n'a pas préconisé la mise en place d'une clé USB. Si l'on se réfère au rapport sur les ALD, n° 1271, page 65, on s'aperçoit que la liste des propositions ne comporte nulle référence à ce support.
Ensuite, il est particulièrement désagréable d'entendre cet argument sur la prétendue unanimité de la MECSS. Dans le mode de fonctionnement de notre assemblée, la MECSS, comme les autres instances de contrôle, n'est utilisée que lorsque ses conclusions conviennent in fine au Gouvernement. Je vais vous en donner un exemple que j'ai déjà évoqué en commission.
Dans le cas présent, la MECSS est utilisée comme gage de consensus. Pourtant, dans d'autres cas où son vote a été unanime, la traduction législative a été moins évidente. C'est le cas notamment de ses travaux autour du médicament, sur lesquels j'étais rapporteure. Voté à l'unanimité, sans même que le groupe majoritaire apporte une contribution pour manifester la moindre divergence, ce rapport me semble quelque peu oublié ! Pour quelles raisons ? Pourquoi certains sujets seraient-ils plus acceptables que d'autres ?
Un autre point qui nous a immédiatement frappés – et alors que, je le répète, nous n'avions même pas entendu les syndicats de médecins –, c'est l'aspect contradictoire de cette proposition de loi avec l'objectif visé. Le rapport accompagnant ce projet revient en effet très longuement sur l'intérêt du passage au DMP : hausse de la qualité des soins, meilleure maîtrise des dépenses, réponse au « foisonnement » et au « cloisonnement » – pour reprendre les termes de notre collègue M. Bur – des systèmes existants. À cela nous acquiesçons.
Le rapport revient ensuite sur les difficultés freinant la mise en place du DMP. Je reprends là aussi ses termes : calendrier initial irréaliste, grande parcimonie des moyens, glissement stratégique mal maîtrisé, architecture complexe, expérimentations inabouties, bref un festival de louanges – si je puis dire – pour le ministre de l'époque, Philippe Douste-Blazy, qui le souhaitait, ainsi que pour les concepteurs du projet DMP. À cela encore nous acquiesçons.
Enfin, le rapport présente la redéfinition stratégique permettant le réenclenchement du DMP : redéfinition du projet, nouveau calendrier de déploiement, démarche expérimentale, projet de préfiguration du DMP pour une appropriation par les acteurs. Une nouvelle fois – car il faut bien tenter de rectifier le tir, le projet étant si mal engagé –, nous ne pouvons qu'acquiescer.
Mais cette brillante, cette foisonnante démonstration n'est en fait là que pour justifier un « dossier médical sur clé USB ou autre support pour les patients en ALD ».
Là, nous ne pouvons plus suivre. Comment, en effet, donner du crédit à une proposition de loi qui ne revêt pas d'importance stratégique dans la mise en place du DMP ? Comment donner du crédit à un texte qui, s'il est voté, viendra en doublon avec les actions de l'agenda de mise en place du DMP au moment même où, par exemple, un communiqué de l'Agence des systèmes d'information partagés de santé publié le 18 février dernier nous apprend qu'elle s'était réunie pour décider de l'attribution du marché de l'hébergement du DMP aux groupes Atos Origin et La Poste ?
Comment ne pas voir en ce texte une poursuite du foisonnement tant décrié par notre collègue Yves Bur ?
Comment, enfin, soutenir une mesure qui, si elle est mise en place, aura un coût qui, même faible, n'aidera pas à la mise en place du DMP ? Est-ce la même majorité qui a fait de la chasse au gaspillage le leitmotiv de son action ?
Mes chers collègues, notre première position sur ce texte est, vous l'aurez compris, loin d'être aussi consensuelle qu'on a pu l'annoncer çà et là.
Mais cette position a été confortée, amplifiée, légitimée par les tardives auditions des syndicats et de l'Ordre des médecins – auditions dont je dénonce la forme autant que le calendrier. Elles se sont tenues en pleine suspension de nos travaux, dans l'entre-deux-tours des élections régionales, et les convocations sont arrivées par courrier électronique le lundi soir à dix-huit heures, pour des auditions le mercredi à neuf heures trente ou dix heures. Ce n'est pas acceptable.
Ces auditions ont toutefois permis d'entendre les questions posées par les médecins libéraux sur le sujet et de comprendre leur position sur l'utilité de ce texte. Nous aurions d'ailleurs aimé entendre d'autres acteurs de santé – notamment les pharmaciens, qui ont déjà mis en place un dossier pharmaceutique : plus de 60 % des pharmacies de notre territoire sont aujourd'hui équipées. Ils auraient pu nous éclairer sur les forces et les faiblesses d'un tel dispositif, qui ne sont pas abordées dans cette proposition de loi.
Préparant mon intervention, je me suis ainsi rapprochée de l'Ordre des pharmaciens et des médecins de Midi-Pyrénées qui, il y a dix jours, n'avaient pas encore connaissance de cette proposition. C'est une nouvelle démonstration de votre intérêt pour l'avis, et pour la vie, des Français dans leur ensemble – ce qui explique le dimanche que vous avez vécu.
Pour en revenir aux médecins, nous pouvons rassembler les questions qu'ils ont posées autour des cinq points évoqués par M. Jacques Lucas, vice-président de l'Ordre des médecins : des questions sur l'éthique, la déontologie, l'organisation, l'appropriation par les professionnels et enfin la publication du décret d'application.
D'un point de vue éthique, les auditions ont permis de dégager les problèmes posés par un outil comportant des données essentielles sur la vie d'un malade, de surcroît atteint d'une affection de longue durée – données qui, si elles tombaient entre de mauvaises mains, pourraient lui être gravement préjudiciables. En effet, cette population spécifique comporte des personnes extrêmement fragilisées psychologiquement, et cette fragilité pourrait être exploitée par de nombreux intervenants – assureurs ou employeurs par exemple.
Déontologiquement, c'est la transcription du dossier médical sur la clé USB par le médecin traitant qui pose problème, et ce pour deux raisons.
D'une part, les avis divergent sur ce qui doit être transcrit : totalité du dossier ou synthèse ? Le texte n'apporte aucune réponse.
D'autre part, le problème de la responsabilité du médecin qui saisit le contenu a été abordé à de nombreuses reprises durant les auditions. Si le médecin traitant doit avoir une vision globale de la situation du patient, il est évident qu'il ne peut prendre la responsabilité de transcrire seul les informations. C'est en effet à chaque acteur de remplir les informations qui le concernent. De plus, dans le cas des ALD, il faut noter qu'un médecin traitant voit son patient en moyenne tous les trois mois : que faire si des consultations ont lieu dans cet intervalle, par exemple chez des spécialistes ? Là encore, le texte n'apporte aucune réponse à ces questions pourtant légitimes.
Au-delà, certains auditionnés ont même indiqué qu'ils n'étaient pas d'accord pour remettre à un patient toutes les informations sur sa situation, et ce dans l'intérêt du patient lui-même. C'est donc le bien-fondé de cette proposition de loi qui est ainsi mis en cause.
D'un point de vue organisationnel, les questions ont tourné autour de l'accès au dossier. Nous l'avons dit, le médecin traitant doit bien évidemment disposer d'un accès plein et entier. Toutefois, l'objectif d'améliorer la coordination des soins, prônée dans la loi HPST de Mme Bachelot, aurait dû amener le législateur à offrir un accès de même niveau à tous les intervenants dans le dossier.
Or, une fois encore, cette proposition de loi ne propose aucune solution concrète.
Un autre aspect important, et d'ailleurs pointé dans le rapport comme l'un des éléments capitaux de réussite ou d'échec de la mise en place du DMP, c'est l'appropriation par les professionnels. De ce point de vue, les auditions ont là encore été édifiantes.
Nombre des intervenants ont souligné une mauvaise qualité du texte en termes de périmètre géographique et de périmètre du public comme des acteurs concernés, exprimant par là même une faiblesse structurelle de cette proposition de loi.
D'autres problématiques ont également été soulevées, qu'il s'agisse des tâches administratives chronophages qui peuvent démotiver certains médecins qui attendaient le DMP, des problématiques techniques d'usure prématurée du matériel du fait des multiples manipulations du port USB, du coût de l'opération – que nous avons déjà souligné –, de la confusion que ce nouveau support peut faire naître chez certains patients ou encore du cryptage franco-français qui ne pourra pas être utilisé à l'étranger.
Voilà autant de questions, autant de problèmes qui ne plaident pas pour une adoption en l'état de cette proposition.
Les dernières réflexions émanant des auditions furent celles concernant le décret d'application. Comme échaudés par les expériences passées, certains intervenants ont bien signifié l'impérieuse nécessité d'engager un processus de consultation autour des aspects réglementaires de cette proposition. Il me semble que cette volonté marque bien un besoin de recadrer certaines dispositions afin de les rendre plus acceptables.
Pour conclure sur le sujet de ces auditions, je me dois une nouvelle fois de ne rien cacher. Un syndicat auditionné a bien assuré la proposition de son soutien. Deux ont dit leur neutralité, montrant un faible enthousiasme pour une proposition sans envergure réelle. Et deux enfin, avec plus ou moins de virulence, ont estimé que ce texte n'était tout simplement pas utile à la cause qu'il était censé servir.
Le sentiment général émanant de ces rencontres est donc le flou ou, pire, l'absence de dynamique. Pour un texte censé constituer une expérimentation du DMP, c'est un mal suffisamment profond pour se poser la question de son renvoi en commission.
Mais au-delà de ces remarques, déjà suffisantes à mes yeux, d'autres questions extrêmement graves restent en suspens. Tout d'abord, je tiens à rappeler que cette proposition de loi n'arrive pas dans un désert législatif. Au contraire, elle prend place dans une suractivité qui nous semble inquiétante pour les malades, et notamment les malades en affection de longue durée.
Je fais ici référence à l'article 35 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2010, qui introduit la notion de « guérison juridique d'un cancer estimée à cinq ans ». Je vous renvoie aux débats de ce projet ; ils verront pourquoi nous avions voté contre cet article.
Dans une société où le fléau des affections de longue durée ne cesse de se développer, cette position de la majorité est tout bonnement choquante.