Monsieur le président, madame la secrétaire d'État chargée des aînées, chers collègues, le texte que j'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui avec Jean-Pierre Door et Pierre Morange propose une mesure simple, de bon sens et peu coûteuse. Elle reprend une recommandation formulée dans le cadre des travaux de contrôle parlementaire par la mission d'information sur le dossier médical personnel, le DMP, présidée par notre collègue Jean-Pierre Door, et par la MECSS, coprésidée par nos collègues Pierre Morange et Jean Mallot.
De plus, nous avons déjà adopté par deux fois un dispositif similaire dans le cadre de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 et du projet de loi dit hôpital, patients, santé, territoires, l'an dernier. Toutefois, ces dispositions ont été censurées par le Conseil constitutionnel pour des raisons de pure forme.
Ainsi la mesure proposée est-elle susceptible de recueillir une large adhésion. De quoi s'agit-il ? D'une expérimentation consistant à fournir un dossier médical informatisé à des patients souffrant d'affections de longue durée. Une telle mesure s'inscrit pleinement dans la logique du parcours de soins coordonné que nous avons institué en 2004 et renforcé l'an dernier, avec la loi dite HPST. Ce parcours de soins repose en effet sur deux piliers : le médecin traitant et le DMP.
Le projet de DMP était très ambitieux. Comme vous le savez, sa mise en oeuvre s'est heurtée à des difficultés techniques qui ont engendré des retards importants, ce que nous regrettons tous, je crois. Loin de renoncer au DMP, les pouvoirs publics ont engagé en 2008 un programme de relance de ce projet. Il est néanmoins peu probable que le DMP soit opérationnel avant plusieurs années. C'est ce constat qui a conduit à envisager la création, dans les meilleurs délais, d'un outil préfigurant le DMP.
L'outil expérimental que nous vous proposons de créer aujourd'hui est plus souple à mettre en oeuvre que le DMP lui-même, car il ne pose aucun problème d'hébergement des données. Les données de santé seront enregistrées sur une clé USB qui restera la propriété du patient. Il n'y aura donc plus de problème de choix d'hébergeur, d'accès à Internet, de sécurisation des fichiers en ligne, etc. Plus non plus de réticences des patients et des professionnels, parmi lesquels l'idée d'un hébergement en ligne des données de santé a pu parfois susciter certaines méfiances.
La clé USB est un dispositif concret, familier et simple à utiliser. Les patients et les praticiens pourront ainsi s'habituer progressivement aux principes de fonctionnement du DMP sans être découragés d'emblée par la complexité de cet outil.
Je tiens à souligner ici que le plus intéressant dans le DMP ce n'est pas son architecture technique : c'est son contenu, c'est-à-dire les services qu'il peut apporter, les possibilités de coordination des soins qu'il offre. Or, depuis le démarrage du projet de DMP en 2004-2005, on s'est trop focalisé sur des questions technologiques, au détriment d'une réflexion de fond sur l'intérêt de ce dispositif pour la santé publique. Avec un outil simple comme une clé USB, on évacue un grand nombre de difficultés techniques liées au DMP, ce qui permettra de se concentrer sur le contenu.
C'est là tout le sens de la démarche expérimentale que nous proposons.
Je tiens à souligner à ce propos que, si nous avons choisi un processus expérimental et ciblé sur certains groupes de patients, c'est précisément pour insister sur le fait que notre proposition n'a nullement vocation à entrer en concurrence avec le DMP. Loin de court-circuiter le déploiement du DMP, elle sert au contraire à en préparer la mise en place.
Dans cette optique, pourquoi cibler des patients en ALD ? Parce que ce sont eux qui ont le plus besoin d'un outil de coordination des soins. C'est dans leur intérêt. Il suffit pour s'en convaincre de se rappeler que ce sont eux qui prennent le plus de médicaments et qu'ils sont de ce fait les plus exposés au risque iatrogénique, cause de 10 000 décès et de 130 000 hospitalisations par an. Notre proposition de loi ne stigmatise en aucun cas ces patients, comme on a pu l'entendre dire ici ou là.
Je tiens d'ailleurs à insister sur toutes les garanties offertes aux patients qui participeront à cette expérimentation. Les données personnelles de santé sont sensibles, et les auteurs de la présente proposition de loi accordent la plus haute importante à la protection de ces données, à leur confidentialité ainsi qu'à la sécurisation des dispositifs sur lesquels elles sont enregistrées.
C'est pourquoi la clé USB qui sera remise au patient sera bien sa propriété : lui seul pourra choisir de l'utiliser ou non, et de la présenter à tel ou tel professionnel de santé. Tout reposera exclusivement sur la libre volonté du patient.
Les informations enregistrées sur la clé USB ne seront accessibles qu'avec l'autorisation du patient. Ainsi, sa clé USB ne pourra pas être exploitée à d'autre fins que l'amélioration de sa prise en charge.
Bien entendu, le texte ne fixe pas tous les détails techniques de ce dispositif : par nature, cela relève non pas de la loi, mais du décret. Toutefois, notre proposition de loi enserre le renvoi au pouvoir réglementaire dans deux conditions visant à garantir l'intérêt des patients.
D'une part, ce renvoi précise expressément que les conditions d'application de la proposition de loi fixées par décret devront garantir la confidentialité des données de santé enregistrées sur la clé.
D'autre part, il soumet ce décret à l'avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, la CNIL, garante d'un usage des données qui soit conforme aux principes établis par la loi du 6 janvier 1978.
Alors, me demanderont certains, pourquoi prévoir que l'avis de la CNIL soit seulement consultatif, et non pas conforme ? Tout simplement parce que ce serait anticonstitutionnel. En effet, dans sa décision sur la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007, le Conseil constitutionnel a jugé que le fait de soumettre à l'avis conforme de la CNIL le décret d'application de l'article instituant un répertoire national des bénéficiaires de prestations sociales empiétait de façon disproportionnée sur le pouvoir réglementaire du Premier ministre. Le Conseil constitutionnel a soulevé d'office ce problème et a censuré la disposition en question.
Le décret d'application de cette proposition de loi définira aussi l'organisation du dossier médical enregistré sur la clé USB, ainsi que son processus d'alimentation.
S'agissant de son contenu, il est important que les informations médicales portées sur la clé soient bien classées, faute de quoi elles s'accumuleront et deviendront rapidement inexploitables. De même, lors des auditions auxquelles j'ai procédé, j'ai observé un large consensus pour que la clé USB comprenne un document de synthèse de l'état de santé du patient.
Ainsi, tous les professionnels de santé – le biologiste, le radiologue, l'infirmier, le pharmacien – pourraient alimenter le dossier médical par les données de santé qu'ils produisent. En revanche, il me semble que l'établissement et la mise à jour d'un document de synthèse sur l'état de la personne souffrant d'une maladie chronique relève plutôt du médecin traitant. Cela serait cohérent avec le mécanisme conventionnel qui charge celui-ci de l'établissement et du suivi des protocoles régissant les ALD.
Certains de mes interlocuteurs ont également relevé que notre proposition de loi ne prévoit pas de rémunération spécifique pour les médecins traitants qui participeraient à cette expérimentation. Dans mon esprit, une telle rémunération n'est nullement exclue, mais ce n'est pas à notre proposition de loi de la définir, non seulement parce que les règles qui s'imposent à nous en matière de recevabilité financière y font obstacle, mais aussi parce que sa définition me semble relever plutôt des négociations conventionnelles qui vont s'ouvrir dans les mois à venir.
Voilà, monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la teneur de cette proposition de loi. L'informatisation des soins constitue un véritable besoin pour les patients. Il appartient aux pouvoirs publics d'y répondre, faute de quoi on verra se multiplier des systèmes d'information difficiles à rendre interopérables – on en compte déjà, d'après le rapport d'Yves Bur, plus de 7 000 en France ! –, y compris des offres privées d'hébergement des données de santé. Une compagnie comme Air France propose déjà ce service, en lien avec une société d'assurance.
Notre proposition de loi répond à ce défi. Elle est, je le répète, le fruit d'un travail mené par-delà les frontières partisanes, au sein de la mission présidée par Jean-Pierre Door et de la MECSS, coprésidée par Pierre Morange et Jean Mallot. Je ne doute pas que nos discussions de ce soir puissent se poursuivre dans le même esprit constructif. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)