Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, cela est suffisamment rare pour être souligné, cette proposition de loi est le fruit d'une démarche consensuelle entre la majorité et l'opposition.
Il faut en effet rappeler l'origine de ce texte. Les députés du groupe SRC avaient déposé, en décembre 2008, une proposition de loi relative aux sociétés publiques locales : elle était quasiment identique à celle que nous examinons aujourd'hui puisque des sénateurs socialistes ont repris le flambeau. Cette démarche est bien consensuelle puisque, si j'ai bien compté, plus de 270 parlementaires de toute sensibilité politique ont cosigné ces propositions de loi. C'est la preuve, s'il en était besoin, de la pertinence d'un texte qui répond aux attentes des collectivités locales.
De quoi s'agit-il ? Cette proposition de loi vise à étendre notre droit positif relatif aux sociétés publiques locales – même s'il n'est pour l'instant que temporaire – à d'autres domaines d'activité que l'aménagement. Les élus locaux pourront ainsi avoir à leur disposition, dans tous les domaines de compétence visés par la loi, l'outil leur permettant d'appliquer pleinement le droit communautaire tout en respectant le principe de libre administration des collectivités territoriales.
L'adaptation des outils de nos collectivités au droit communautaire est indispensable. Les règles communautaires qui visent à garantir le jeu de la libre concurrence imposent des procédures rigoureuses de passation des marchés publics. Or ces règles contraignantes ne sont pas justifiées lorsque l'entreprise cocontractante de la collectivité ne travaille qu'au profit de cette dernière ; elle n'en est alors que le prolongement.
Consciente de cette singularité, la CJCE admet, depuis son arrêt Teckal de 1999, que les règles de passation des marchés publics soient écartées lorsque deux critères sont réunis : l'autorité publique exerce sur la personne en cause un contrôle analogue à celui qu'elle exerce sur ses propres services ; cette personne réalise l'essentiel de son activité avec la ou les collectivités qui la détiennent – « l'essentiel » ne signifie pas « exclusivement », nous aurions pu en débattre.
Dans tous les pays de l'Union européenne, les collectivités territoriales disposent déjà, dans leur arsenal juridique, d'outils leur permettant de tirer profit de cette possibilité. Tel n'était pas le cas de la France. En effet, nos sociétés d'économie mixte paraissaient inadaptées, puisqu'elles comprennent au moins, dans la formation de leur capital, un actionnaire privé dont, ainsi que l'a rappelé Jean-Pierre Balligand, nous connaissons souvent le nom par avance. Nous alourdissons inutilement la gestion de nos structures. Ainsi, les sociétés d'économie mixte ne peuvent être considérées, au sens du droit communautaire, comme étant dans une relation « in house », c'est-à-dire de prestation intégrée, vis-à-vis des collectivités détentrices de la majorité du capital.
Conscients de cette lacune, nos collègues Patrick Ollier et Jean-Pierre Grand avaient pris l'initiative de la combler à l'occasion de l'examen de la loi du 20 juillet 2005. Mais le Gouvernement, estimant nécessaire de réfléchir plus avant – on se demande bien pourquoi –, avait alors demandé le retrait de l'amendement proposé. À force d'insistance parlementaire – l'entêtement est parfois payant –, furent créées à titre expérimental par la loi du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement les sociétés publiques locales d'aménagement, les SPLA.
Une SPLA a ainsi pu être constituée par les collectivités territoriales et leurs groupements, à titre expérimental, pour une durée de cinq ans, lesdites collectivités détenant la totalité du capital.
Outre que l'on peut s'interroger sur la notion d'expérimentation à propos d'une société qui a, par définition, vocation à durer l'éternité, il était nécessaire de revenir sur les SPL. Utile, ce nouvel outil a permis de s'adapter aux exigences communautaires concernant le mécanisme dit « des prestations intégrées ». Toutefois, il était limité, puisque la loi cantonne l'objet de ces sociétés publiques à l'aménagement du territoire des collectivités concernées.
Or il est évident que de nombreux autres domaines d'activité gagneraient à bénéficier d'un tel régime. Comment ne pas évoquer notamment la gestion des services publics du logement, de l'eau et de l'assainissement, des transports interurbains ou de l'énergie ? Ces services, qui sont actuellement gérés par des sociétés d'économie mixte, pourraient profiter, demain, du nouveau statut. Dans le rapport qu'il a consacré à la proposition de loi, le sénateur Mézard évoque les avantages qui y seraient associés : « efficacité, réactivité, sécurité ». Il permettrait en effet de rétablir la sécurité juridique dans ces différents secteurs, en permettant aux collectivités de racheter les participations privées dans les SEM afin de les transformer en SPL.
Il serait donc déraisonnable de ne pas pérenniser et de ne pas généraliser cette expérimentation.
Les précautions élémentaires ont été prises, puisque l'objet des sociétés publiques locales sera cantonné aux services d'intérêt général. Ces nouvelles entités ne seront nullement concurrentes de nos sociétés d'économie mixte, mais complémentaires de ces dernières. En outre, elles seront évidemment assujetties aux règles du code général des collectivités territoriales et à l'ensemble des contrôles actuellement imposés aux sociétés d'économie mixte. Ces précautions étant prises, je le répète, il serait déraisonnable de ne pas voter cette proposition de loi.
Il ne s'agit, en vérité, que de permettre aux collectivités d'exercer librement leurs compétences dans le respect du droit communautaire et de concrétiser ainsi un peu plus le principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales.
Raisonnable, réfléchie, consensuelle : tels sont les adjectifs qui me semblent caractériser le mieux cette proposition de loi. Il est difficile, à cet égard, de résister à la tentation d'évoquer ici comme un contre-exemple malheureux la réforme des collectivités territoriales élaborée par le Gouvernement. L'adoption de la présente proposition serait donc, pour moi, une raison de rester optimiste quant à la capacité de notre assemblée à prendre les bonnes décisions et à s'opposer à celles qui s'écartent du chemin du bon sens.