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Intervention de Gérard Rameix

Réunion du 24 février 2010 à 9h30
Commission des affaires économiques

Gérard Rameix, Médiateur du crédit :

Concernant la signification des chiffres des problèmes de trésorerie des entreprises dont je vous ai fait part précédemment, il faut distinguer deux choses. D'une part le besoin de financement de pertes, important au début de la crise mais qui a rapidement diminué grâce à des baisses de coûts : il a alors fallu davantage recourir aux fonds propres. Aujourd'hui, la plupart des entreprises que je vois sont plutôt à l'équilibre puisque, dans un souci de très grande réactivité, elles ont adapté leurs coûts. D'autre part, on constate des besoins en fonds de roulement (donc à court terme), qui servent à combler la différence entre les décaissements et les encaissements : ce phénomène, qui tient à ce que les commandes sont exécutées avant d'être payées, la recette n'arrivant qu'ensuite, représente aujourd'hui l'essentiel des demandes que nous recevons. Le principal besoin d'investissement est donc un besoin de financement pour développer l'activité.

Nous nous déplaçons énormément : pour ma part, depuis mon entrée en fonction, je suis allé dans une quinzaine de départements pour voir comment les choses se passent sur le terrain. Nous allons voir si nous pouvons faire davantage pour écouter et rassurer nos interlocuteurs.

Concernant l'assurance-crédit, particulièrement développée en France, les assureurs privés ont fait un vrai effort de transparence. Le système public spécifique qui a été mis en place a pris le relais pour les dossiers les plus difficiles (ce sont les dispositifs « CAP », « CAP + » et « CAP export »(1) selon qu'il s'agit du financement d'un risque partagé ou d'un risque purement public) : il représente une proportion marginale des encours avec 1,5 milliard d'euros sur un volume global de plusieurs centaines de milliards mais il a joué un rôle important. C'est un très bon outil d'accompagnement de la croissance. Par ailleurs, je constate que les fonds propres des assureurs crédits ne sont pas suffisamment élevés.

Est-ce que la Médiation du crédit prouve l'inefficacité des banques ? Il faut être pondéré sur ce point. Je rappelle que la très grande majorité des demandes de crédits ne passe heureusement pas par la médiation : nous ne traitons que 20 000 dossiers par an, alors qu'il existe plus de deux millions d'entreprises en France. Beaucoup de contrats de prêt sont passés sans notre intervention : les rapports existent directement entre les banques et les entreprises. Même pour les entreprises en difficultés, nous ne traitons qu'un petit nombre de dossiers puisqu'il y a 60 000 dépôts de bilan par an. Ainsi, naturellement, certaines entreprises sont tellement en difficulté qu'elles peuvent préférer aller directement devant le tribunal de commerce plutôt que de faire appel à la Médiation du crédit pour essayer de régler leurs affaires. Je note que la médiation peut d'ailleurs se poursuivre après le dépôt de bilan et participer à la procédure ouverte par le tribunal de commerce.

Les chiffres précis sont dans le rapport annuel : les deux tiers environ des dossiers de médiation aboutissent, et parmi le tiers restant, les deux tiers des entreprises réussissent à trouver une solution elles-mêmes par d'autres biais (limitation de leur activité, rapprochement avec d'autres entreprises…) tandis que le reste dépose le bilan. Ainsi, il semblerait qu'un tiers des entreprises pour lesquelles la médiation a échoué déposent le bilan dans les mois qui suivent cet échec. Nous ne pouvons pas boucler tous les dossiers parce que nous n'avons pas de pouvoir d'injonction vis-à-vis des banques : je ne considère d'ailleurs pas qu'il serait souhaitable que nous disposions d'un tel pouvoir car, lorsque nous échouons à trouver une solution, c'est que les banques trouvent que ce que nous leur proposons est trop risqué. Heureusement, ce n'est pas le cas la plupart du temps.

Certains d'entre vous ont parlé de banques « prêteurs sur gage » et de « taux usuraires ». Je rappellerai à ce propos que la forte baisse des taux d'intérêt a permis aux banques de reconstituer leurs marges, qui ont été très faibles pendant longtemps du fait de la concurrence, tout en continuant la plupart du temps à offrir aux entreprises des taux raisonnables. Il est vrai que dans certains cas, les financements sont très coûteux, notamment lorsque la garantie OSEO est nécessaire pour les projets où le risque est le plus élevé : cette garantie est coûteuse (environ 5 %) et s'ajoute à un taux de financement du risque par la banque au moins égal, ce qui aboutit à au moins 10 % d'intérêt. Même si cela dépend beaucoup de la nature du risque, je ne crois pas qu'on puisse parler d'usure. Je le dis nettement : j'ai été très frappé depuis ma prise de fonction par la présence d'OSEO sur nos dossiers, notamment pour les dossiers d'entreprises de plus de 100 salariés, qui remontent très souvent au niveau national de la Médiation car ce sont là les problèmes les plus importants, les dossiers étant supérieurs au million d'euros. Il faut donc un temps minimal d'instruction et les problèmes se règlent souvent grâce à l'intervention d'OSEO. Par ailleurs, je n'ai pas connaissance de cas dans lesquels l'action d'OSEO ait été exagérément lente.

Comment réduire les délais d'attribution de crédit ? La première réponse réside dans l'engagement des banques. La Fédération française des banques a fixé des objectifs en la matière et M. Baudouin Prot, président de la Fédération et par ailleurs président de BNP – Paribas, a évoqué le délai de 10 jours pour les dossiers concernant les TPE instruits, c'est-à-dire les dossiers pour lesquels on a déjà à disposition toutes les informations de base. Il y a eu certes des engagements au niveau central mais il faut espérer qu'au niveau des agences, les délais promis seront tenus grâce à une discipline suffisante. Le second moyen réside dans la rapidité de nos interventions : généralement, les équipes de la Banque de France contactent une entreprise dans les deux jours suivant notre intervention. Combien de temps mettons-nous de notre coté ? Aujourd'hui, les délais peuvent être de l'ordre de quelques jours pour les TPE et de quelques mois pour les entreprises de plus grande taille (un mois ou deux en général). Quant aux dossiers que nous avons en cours depuis plus d'un an, il s'agit de dossiers que nous n'arrivons tout simplement pas à résoudre. Hormis les paramètres purement économiques, il y a des paramètres particuliers qui déterminent l'attribution de crédit, notamment l'histoire des relations entre la banque et l'entreprise (lorsqu'une entreprise a déjà enregistré de lourdes pertes, et même si l'équipe dirigeante et la stratégie ont changé, les banquiers sont souvent réticents à accorder des crédits). J'ai aussi remarqué, dans cette période de crise, une forte réticence des établissements bancaires à accorder des crédits à de nouveaux clients même si une reprise de la concurrence s'observe sur un certain type de clientèle : c'est un signe encourageant.

La Médiation du crédit est-elle susceptible d'entraîner l'abstention des banques ? Je ne le crois pas. Il y a même, à l'inverse, des réseaux mutualistes qui ont mis en place des systèmes de « revoyure » interne des dossiers pour agir en amont du Médiateur et éviter ainsi sa saisine.

Concernant l'agriculture, quand je suis arrivé, il y avait un nombre non négligeable de dossiers relevant du secteur agro-alimentaire mais peu de dossiers agricoles en tant que tels. Nous avons constaté, en sillonnant le France avec M. Nicolas Jacquet, qu'il y a une crise agricole grave, indéniablement. Nous en discutons avec les préfets et parfois les présidents de chambre d'agriculture, signe que le problème est aigu au plan local. La médiation n'est toutefois qu'en « second rideau », le banquier naturel du secteur étant le Crédit agricole : il s'attache à intervenir en premier lieu. Il faut rappeler que le Crédit agricole a l'habitude de travailler avec les exploitants agricoles et qu'il fait de grands efforts à destination de son public historique. Les dossiers de médiation que nous avons et pourrons avoir seront donc vraisemblablement très difficiles à résoudre puisque tout aura échoué auparavant.

Sur les relations avec les tribunaux de commerce, aspect très important, j'ai commencé à travailler avec la directrice des affaires civiles à la Chancellerie. Procédure collective et médiation, bien que proches, sont juridiquement très différentes : il faut poursuivre la réflexion.

Concernant La Banque postale et le microcrédit, il semble que cela se passe plutôt bien sur le terrain. Il faut noter que La Poste travaille sur la base de partenariats avec des associations qui ont une longue expérience dans ce domaine.

Le capitalisme ne veut-il plus prendre de risque ? C'est une question complexe. Je me réjouis que la santé financière de la plupart des banques soit bonne, ce qui signifie qu'elles peuvent assurer le financement de l'économie et la prise de risque des entreprises. La bonne santé financière est une condition nécessaire, bien que peut-être non suffisante ; par ailleurs, je constate que les banques ont plutôt l'impression de prendre des risques. Il faut en appeler à leur civisme pour qu'elles soutiennent des secteurs qui sont un peu « limite » quoi qu'ils aient baissé leurs coûts et dont le problème principal réside dans le manque de perspectives économiques. Si on refuse de financer toute perte ou toute diminution d'activité, on risque de perdre des équipes sur le terrain. Il est en effet indispensable de financer les activités afin que les compétences industrielles dont nous disposons n'aillent pas à l'étranger ou ne disparaissent pas purement et simplement. Or cet enjeu se joue en premier lieu sur le terrain : on y veille !

Il y a très peu de refus d'OSEO, si ce n'est lorsqu'il lui est impossible d'intervenir au regard du droit communautaire car c'est une banque publique et ses interventions peuvent être assimilées à des aides publiques, comme pour les entreprises en liquidation.

Sur les rapports entre banques et TPE, je dois signaler deux choses : la crise, d'une part, qui a vraiment dégradé la situation mais aussi un problème structurel. Les banques ont toujours eu du mal à traiter les dossiers TPE malgré le maillage bancaire existant sur le territoire, notamment parce qu'elles ne savent pas modéliser le risque qu'elles prennent. Les banquiers se félicitent d'avoir réussi à mettre en place des dispositifs spécialisés pour le financement d'entreprises mais ils reconnaissent également que ces dispositifs ne peuvent s'appliquer en dessous d'une taille limite d'entreprise : ainsi, les TPE seront toujours traitées au stade des agences bancaires. Quant au réseau de la Banque de France, il s'est clairement amélioré et s'est rapproché des TPE : même s'il n'est pas entièrement décisif, ce soutien dense et de qualité devra peut-être être maintenu à l'avenir.

Concernant les perspectives de croissance pour le premier semestre 2010, je ne suis pas économiste. Je ne vois pas de risque grave sectoriel mais plutôt une stabilisation, une croissance lente pour le premier semestre 2010. Le problème que nous avons est le renforcement des fonds propres pour que les entreprises soient prêtes lorsque la reprise viendra, sans doute au second semestre.

Sur les chiffres de l'évolution du volume des financements aux entreprises mentionnées précédemment (+ 2,7 % et -1,1 %), il n'y a pas d'incohérence et tous les deux sont exacts. Le + 2,7 % prend en compte toutes les entreprises, petites et grandes, ces dernières ayant beaucoup recouru aux financements obligataires tandis que le - 1,1% ne le fait pas. Il n'y a pas eu de recul massif du crédit, mais plutôt une progression, plus ou moins grande selon la façon dont on réalise le calcul technique. En outre, on constate que les financements des PME ont été plus rapides que le financement des grandes entreprises.

Concernant la « charte des donneurs d'ordre », nous avons souhaité être pragmatiques et nous appuyer sur un réseau de directeurs des achats dans des grands groupes. J'y ai trouvé un esprit très positif et des gens très conscients de leur responsabilité économique et de leur rôle social. Nous nous sommes mis d'accord sur une charte de bonnes pratiques signée dans un premier temps par près de vingt groupes. Dans les relations entre clients et fournisseurs, je ne pense pas qu'il puisse y avoir une place pour une transposition directe de la Médiation du crédit à ce stade, qui risquerait d'être utilisée de manière dilatoire : les clients doivent payer les fournisseurs ce qui n'est pas le cas des banques avec leurs clients. Nous serons destinataires des plaintes pour manquements aux engagements de la charte. On essaie d'internaliser les procédures : le médiateur de l'entreprise enregistre les plaintes et la Médiature du crédit n'intervient que dans un second temps pour constater s'il y a eu respect ou non de la charte. Je signale que nous participons par ailleurs à l'observatoire des délais de paiements. Il est vrai qu'il peut y avoir un problème pour les PME à être obligées d'appliquer rigoureusement la loi de modernisation de l'économie (payer dans les quarante-cinq jours fin de mois) tandis que les grands groupes peuvent ne pas les appliquer et faire pression sur leurs sous-traitants pour qu'ils s'en accommodent : un des premiers engagements de la charte est de renoncer à ce type de pratiques qui reposent sur une relation dissymétrique.

Les entreprises viennent-elles trop facilement voir la médiation ? Il ne me semble pas. Je fais tout mon possible pour qu'elles viennent nous voir suffisamment tôt, car si elles viennent alors qu'elles ne peuvent plus verser que quelques jours de salaires, la saisine du tribunal de commerce est inévitable. Nous refusons par ailleurs les dossiers en l'absence de refus formel de la banque : en effet, dans cette situation, les entreprises viennent au contraire trop tôt. C'est d'abord à la banque de se prononcer : si elle est d'accord pour accorder un crédit, nous n'avons naturellement pas à intervenir.

Je terminerai en mentionnant le fait que s'il existe un rationnement du crédit aux entreprises, c'est parce que la direction locale, dans le doute, n'accorde pas les crédits parce qu'elle préfère ne pas prendre de risques.

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