Depuis le début de la présente législature, notre commission a déjà examiné cinq accords bilatéraux de coopération dans le domaine de la sécurité intérieure, conclus avec la Croatie, la Slovénie, l'Albanie, Israël et la Libye. Elle se prononcera tout à l'heure sur un accord du même type avec l'Ile Maurice, tandis que des accords avec l'Arabie saoudite et la Grèce ont été examinées il y a deux jours par le Sénat.
On le voit, la France multiplie depuis quelque temps la négociation et la signature de tels accords. Ce mouvement vise à harmoniser et renforcer la cohérence de la coopération en matière de sécurité intérieure que notre pays a développée avec de nombreux Etats. En conférant une base juridique solide aux actions bilatérales de coopération opérationnelle et technique, ils permettent de les développer.
Etat du Golfe relativement atypique, qui compte 1 million d'habitants dont seulement 50 % de nationaux, sur un archipel de 711 km2, Bahreïn a, à sa demande, renforcé depuis quelques années ses liens avec la France. Si la coopération bilatérale est loin de se limiter à ce champ, elle concerne en l'occurrence la sécurité intérieure et civile, domaine dans lequel Bahreïn rencontre des difficultés particulières.
Comme ses voisins saoudiens et émiriens, Bahreïn mène une politique extérieure pro-occidentale. Il se distingue en revanche de ceux-ci par le degré d'ouverture et de diversification de son économie – les hydrocarbures n'assurent plus que le quart des recettes du pays et Manama, sa capitale, est un centre financier plus important que Dubaï –, par la composition de sa population – les trois quarts des personnes ayant la nationalité de Bahreïn sont chiites, alors que la dynastie régnante est sunnite –, et par son ouverture démocratique.
La composition de sa population, source potentielle de faiblesse, n'est pas sans lien avec le processus d'ouverture et de réforme en profondeur des institutions politiques lancé par le roi Hamad, qui est à la tête de l'Etat depuis 1999. Je rappelle que Bahreïn a acquis son indépendance en 1971, sous la forme d'un émirat, qui a été transformé en royaume en 2002.
Ce processus a conduit à la libération des prisonniers politiques, à l'abolition des lois de sûreté de l'Etat, à l'instauration d'un Parlement bicaméral et à l'organisation d'élections municipales et législatives. Le roi fait également figure de pionnier dans la région du Golfe en matière de droits des femmes : elles bénéficient du droit de vote depuis 2001, deux femmes ont été nommées membres du gouvernement en 2004, une femme a été élue au Parlement en novembre 2006.
Un « dialogue national » a été lancé avec l'ensemble des mouvements politiques du pays, y compris ceux qui avaient choisi de rester à l'écart du jeu politique en boycottant les élections de 2002 pour protester contre un système électoral défavorable à la majorité chiite. Ils ont, depuis, accepté de participer aux élections législatives de novembre 2006. L'opposition chiite et le gouvernement prônent tous deux l'apaisement et le consensus. Les autorités royales mettent plus que jamais en avant leur attachement au respect des droits de l'Homme en favorisant, notamment, la liberté d'expression et de réunion. Le roi a aussi lancé plusieurs initiatives en faveur de la réconciliation et du rejet de tout sectarisme.
Le récent développement des libertés publiques a entraîné la multiplication des manifestations sur la voie publique, dont certaines ont dégénéré en affrontements avec des incendies de bennes à ordure et de véhicules. Elles sont le fait de la population chiite, qui se dit victime d'inégalités et de discriminations, surtout en matière d'emploi – le taux de chômage atteint 15 % de l'ensemble de la population –, de logement et d'accès à la propriété. Des policiers – qui sont tous sunnites – sont régulièrement pris à parti dans certains quartiers de l'archipel. Les autorités ont donc à coeur d'adapter les techniques d'intervention de la police à la nouvelle donne démocratique afin de concilier liberté d'expression et maintien de l'ordre.
La coopération établie depuis quatre ans entre la France et Bahreïn a permis d'accompagner la professionnalisation des unités anti-émeute et d'améliorer la gestion des foules.
Deux menaces de nature très différentes affectent en effet particulièrement Bahreïn : le terrorisme, la menace étant à la fois interne – du fait de la coexistence entre communautés religieuses – et externe – al-Qaïda est très présente dans la région et l'archipel abrite la Vème flotte américaine –, et l'insécurité routière.
Ces deux domaines de coopération figurent donc en bonne place dans le vaste champ d'application de l'accord franco-bahreïnien, signé le 30 novembre 2007.
L'article Ier de l'accord prévoit en effet que la France et Bahreïn s'accordent mutuellement assistance dans une série de domaines : la lutte contre la criminalité organisée et le terrorisme, le trafic de stupéfiants, les infractions économiques et financières comme le blanchiment, la traite des êtres humains, le faux et les contrefaçons, la cybercriminalité, ainsi qu'en matière de police scientifique et technique. S'y ajoutent des domaines liés à la sécurité civile : la sûreté du transport aérien, maritime et ferroviaire, la défense civile et la sécurité routière.
L'article III de l'accord énumère « les moyens et les procédures » par lesquels cette coopération peut être menée. Il s'agit surtout d'une coopération technique en matière de formation – formation générale et spécialisée, formation opérationnelle et administrative des agents, formation des personnels responsables de la défense civile –, complétée par des échanges d'informations et d'expériences, d'experts et de spécialistes, de conseils techniques et de documentation. S'y ajoute la possibilité d'envoyer dans l'autre pays des équipes de soutien spécialisées dans la défense civile en fonction de la nature des catastrophes et des moyens de la partie dont l'aide est sollicitée.
L'article IV aborde la coopération opérationnelle en stipulant que chaque partie fournit à l'autre « toute information qui lui parviendrait sur une action criminelle visant l'autre partie, que cette action soit commise ou en préparation sur le territoire de l'une ou de l'autre partie ou dans un pays tiers ». Cette stipulation est minimale, aucune possibilité d'échanger des objets ou des échantillons, voire des informations nominatives, n'étant mentionnée, contrairement à ce qui est le cas dans certains accords de ce type. Il est évident que le système de protection des données personnelles en vigueur à Bahreïn n'offre pas de garanties suffisantes pour autoriser la France, très exigeante en la matière, à transmettre des informations de cette nature.
Comme il est d'usage, les stipulations de cet accord sont très respectueuses des normes nationales et de la souveraineté de chaque Etat partie.
L'article Ier mentionne la prise en considération des « règlements nationaux » ; l'article IV conditionne la transmission d'informations au « respect des législations nationales ».
Surtout, comme c'est toujours le cas dans les accords de ce type, l'article VI permet à une partie de rejeter toute demande de coopération si elle juge que son exécution est susceptible de porter atteinte à sa souveraineté, à sa sécurité, à l'ordre public, aux règles d'organisation et de fonctionnement de l'autorité judiciaire ou – formule très large – à d'autres intérêts essentiels de son Etat.
Par les actions de coopération qu'elle mène à Bahreïn, la France contribue à améliorer les pratiques des organes chargés de la sécurité intérieure et de la défense civile, dans le sens de la conciliation de l'efficacité et du respect des droits et libertés des individus.
Le Sénat ayant adopté le présent projet de loi le 21 décembre dernier, le vote de notre Assemblée permettra au Gouvernement de ratifier l'accord, qui pourra entrer en vigueur rapidement, puisqu'aucune procédure de ratification n'est légalement nécessaire à Bahreïn.