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Intervention de Catherine Coutelle

Réunion du 25 février 2010 à 15h00
Prévention et répression des violences faites aux femmes — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCatherine Coutelle :

Le début de mon mandat de député en juin 2007 a été marqué par un fait divers tragique. Une jeune femme, professeure de lycée professionnel, après s'être décidée à dénoncer son mari très violent et à se séparer de lui, a été assassinée en pleine rue par lui, qui devait répondre à une convocation de la justice le soir même.

La semaine dernière, une jeune mère de famille est venue plusieurs fois au commissariat de sa commune, car elle se sentait menacée. Elle n'a pas été écoutée comme elle aurait dû l'être, et est morte sous les coups de celui dont elle était séparée.

Entre ces deux dates, plus de 300 femmes sont mortes sous les coups de leur conjoint.

Les violences conjugales sont une des principales causes de la mortalité des femmes. Elles représentent 20 % des homicides en France.

Cette situation est dramatique.

Nous devons rechercher les réponses les plus efficaces, les plus sûres, les plus rapides pour réduire ce fléau. C'est la mission que nous nous sommes donnés sous la présidence de Danielle Bousquet et avec Guy Geoffroy, que je remercie à mon tour.

Après de nombreuses auditions et visites, il ressort que l'augmentation et la diversité des formes de violences requièrent des réponses complexes.

Il faut sans doute compléter l'arsenal juridique, et c'est l'objet du texte que nous examinons en voulant obtenir des résultats.

Il faut surtout mettre en place un dispositif global et cohérent, un dispositif cadre, qui coordonne toutes les politiques de prévention et de lutte contre les violences, d'accompagnement des victimes, y compris les enfants, et de soins des auteurs de violences – c'est la proposition qui conclut notre rapport –, un dispositif qui s'applique sur l'ensemble du territoire avec la même efficacité.

Cependant, pour bien agir, il faut d'abord – je voudrais insister sur ce point – prendre la mesure de la gravité des faits. Il faut connaître très exactement l'ampleur et l'évolution du phénomène.

En 1995, à Pékin, la conférence internationale des femmes avait encouragé les États à mieux mesurer les violences liées au sexe. En 2000, le secrétariat aux droits des femmes a réalisé la première et seule enquête exhaustive, l'enquête nationale sur les violences faites aux femmes en France. Par son ampleur – 6 970 femmes âgées de 20 à 59 ans ont été interrogées – et par sa méthodologie très adaptée et approfondie, cette enquête fut un jalon important. C'est encore celle qui nourrit aujourd'hui le débat public

Deux chiffres, que nous répétons tous, avaient frappé l'opinion : 10 % des femmes sont victimes de violences au sein du couple ; une femme meurt tous les trois jours sous les coups de son conjoint. Aujourd'hui, c'est malheureusement tous les deux jours et demi qu'une femme meurt sous les coups de son conjoint.

Personne n'imaginait l'ampleur, la gravité, et la diffusion du phénomène. Les femmes de tout âge, tout milieu, tout territoire et toutes origines sont concernées, les femmes migrantes étant victimes d'une sorte de double peine.

Ce fut un révélateur d'une violence de masse, d'une violence quotidienne dans le huis clos du conjugal – le domicile est plus dangereux pour les femmes que l'espace public – d'une violence non dite, aux formes variées, d'une violence physique dont les femmes sont les premières victimes.

Depuis, ces chiffres sont en augmentation : plus 20 % de femmes victimes de violences, entre 2006 et 2007, avec, semble-t-il, une stabilisation en 2008.

C'est une violence qu'il est nécessaire de bien connaître pour bien la combattre. Malheureusement, cette enquête d'envergure reste unique, et cela fragilise les données sur lesquelles nous travaillons.

Actuellement, nous disposons de trois sources d'information régulières mais incomplètes : les enquêtes de victimisation conduites par l'Observatoire national de la délinquance – celle de 2007 comporte un volet sur les violences intrafamiliales ; les données de la Délégation aux victimes, qui publie chaque année, depuis 2006, une étude nationale des décès au sein des couples ; les statistiques judiciaires, qui livrent le nombre de condamnations.

Toutefois, il y a un écart entre le réel connu et le réel vécu, selon M. Saliez de l'OND. Ces sources ne permettent de comptabiliser et d'étudier que les faits portés à la connaissance des autorités. Or le taux de plainte contre un conjoint violent est très faible : de 8 à 9 %, c'est le taux le plus faible de toutes les infractions. Cela signifie que 91 % des affaires restent impunies.

En 2000, l'enquête nationale sur les violences faites aux femmes constatait déjà que 45 % des femmes qui évoquaient une situation de violence conjugale en parlaient pour la première fois. L'incapacité à recenser les violences au sein du couple contribue à la difficulté d'appréhender l'ampleur et l'évolution du phénomène et, par suite, l'efficacité des interventions publiques, comme le soulignait déjà en 2004 le guide de l'action publique.

Dix ans après, madame la ministre, il est urgent qu'une nouvelle enquête de même ampleur soit diligentée pour connaître un phénomène qui touche 1,3 million de femmes ; pour connaître les évolutions de la société ; pour identifier toutes les formes de violences subies par les femmes, y compris celles de l'immigration, dans l'espace privé, public et au travail ; pour évaluer les conséquences économiques et sociales de ces violences physiques et psychiques – ces femmes victimes perdraient un à quatre ans de vie en bonne santé.

Si quelques phénomènes sont mieux connus aujourd'hui – coût des violences, mutilations sexuelles ou nombre de décès au sein du couple –, des chantiers majeurs demeurent. L'élaboration d'indicateurs et la création de statistiques sexuées sont indispensables. Disposer de données quantitatives et qualitatives est un préalable à toute action. Le vice-procureur d'Albi, lors de son audition, nous a déclaré : « Respecter les femmes battues, c'est faire des enquêtes ».

C'est pourquoi, en conclusion, madame la ministre, nous vous demandons la création d'un Observatoire national spécifique – non pas général, comme l'a dit Mme Alliot-Marie – chargé de coordonner la collecte de données sexuées et d'organiser des enquêtes sur les violences faites aux femmes. Amnesty International vient de nous adresser son rapport selon lequel, en matière de violences faites aux femmes, « la France doit mieux faire ». Alors, tous ensemble, avançons ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

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