Je connais votre engagement à toutes deux, je connais l'engagement du Gouvernement et je connais l'engagement de la France pour faire valoir, sur notre territoire et dans le monde, ces principes fondamentaux que sont l'égalité et le respect de la personne humaine.
Cette proposition de loi est en tout point remarquable, et je voudrais en féliciter les auteurs, notamment Guy Geoffroy et Danielle Bousquet. Elle contient des avancées fortes.
L'ordonnance de protection apporte une réponse juridique et matérielle aux femmes qui décident de s'affranchir de la violence, et instaure, ce qui est très important, un statut de victime, seul moyen de franchir le premier seuil, celui de la reconstruction personnelle.
Il faut que nous nous donnions les moyens de réussir ; il faut mobiliser tous nos efforts pour que cette mesure soit appliquée sans attendre l'aggravation des violences dont nous connaissons tous le coût moral, humain, économique et social.
La reconnaissance et la prise en compte des violences psychologiques constituent une autre avancée importante. Le harcèlement moral, chacun le sait sur ces bancs, peut conduire à des comportements suicidaires. Il est donc indispensable d'identifier les causes, de sanctionner les auteurs et de faire que les médecins s'engagent fortement dans cette démarche – et ce d'autant plus que nous avions commencé, avec le conseil de l'Ordre des médecins, à travailler sur cette prise de responsabilité ; il serait souhaitable que les questions de violences soient mieux intégrées aux études de médecine.
J'exprime aussi ma satisfaction de voir élargie la saisine du CSA aux associations, et je rends un hommage tout particulier à toutes les associations qui ont accompagné ce mouvement de modernisation et de prise de conscience. Elles constituent un capital précieux, indispensable à l'application du droit.
Je voudrais insister sur ce point. Madame la garde des sceaux, madame la secrétaire d'État, les principes ne sont rien si les dispositions ne sont pas appliquées en réalité. L'accès au droit est probablement, ici et dans le monde, le vrai problème. Nous pouvons bien voter toutes les dispositions législatives, toutes les avancées possibles : si les femmes, dans la réalité quotidienne, ne sont pas informées, ne sont pas sensibilisées, n'ont pas les moyens de prendre conseil, d'une association ou d'un avocat, et d'engager une action en justice, cette loi, même exemplaire, restera lettre morte.
Nous devons aussi agir sur la transversalité des politiques publiques. Des mécanismes interministériels doivent être mis en place pour que l'égalité devienne un principe actif de l'ensemble des politiques publiques, et il serait utile d'intégrer la dimension du genre dans l'évaluation de leur impact. À cet égard, il est important que nous disposions de nouveaux indicateurs, de statistiques par sexe, afin de dresser un tableau de l'application réelle du droit dans la vie quotidienne.
Un effort très net dans le domaine de la sensibilisation doit être fait. Puisque nous avons la chance d'avoir signé un certain nombre d'accords internationaux sur ces questions, comme par exemple la convention des Nations unies sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, nous devons renforcer la diffusion de l'information sur ces questions : je pense aux maisons du droit, aux services de proximité, aux associations. Grâce à l'usage des nouvelles technologies, nous devons rendre tout à fait performante l'information sur nos dispositifs juridiques.
Les forces de police et de gendarmerie, l'ordre des avocats, l'ensemble du monde judiciaire sont d'ores et déjà mobilisés. Je n'y reviens pas, sauf pour rappeler qu'une instruction pénale prise il y a quelques années avait considérablement aidé à la prise de conscience et à l'engagement collectif des acteurs concernés.
Trop souvent, les principes ne suffisent pas ; nous devons absolument faire en sorte que ces dispositions prennent toute leur place dans la réalité quotidienne des femmes concernées.
Je voudrais enfin m'arrêter sur un point abordé à cette tribune il y a un instant : la question des femmes migrantes. Trop souvent isolées physiquement et moralement, parfois privées de leurs papiers d'identité, elles sont parfois dans une impasse. Le texte prévoit que les femmes victimes de violences bénéficieront d'une autorisation de séjour : c'est heureusement une pratique déjà répandue, et je m'en suis toujours félicitée.
Mais il faut envisager cette question des femmes migrantes dans sa globalité. Il y a beaucoup à faire pour l'accès au droit, à l'apprentissage du français, à l'information. Il y a aussi beaucoup à faire sur une question qui aurait pu figurer dans la loi, même si elle échappe au champ strict des violences familiales : celle de la traite, du trafic des êtres humains. C'est un sujet considérable, c'est un fléau qui frappe la France et qui appelle une triple intervention, nationale – puisqu'il faut prendre en compte ces victimes, les aider à se réinsérer socialement et psychologiquement, et les aider éventuellement à rentrer dans leur pays avec des garanties et des solutions –, européenne, internationale. Je crois utile de suggérer une réflexion approfondie sur ce point.
Je voudrais préciser que le comité des Nations unies en charge de la lutte contre toutes les formes de discrimination envers les femmes tiendra à Paris, dans quelques semaines, une réunion exceptionnelle.
Ce que nous faisons aujourd'hui pour la France, nous le faisons aussi pour le reste du monde : l'Europe est, pour les femmes qui se battent partout dans le monde pour leur vie et leur survie, une référence et une espérance.
Permettez-moi, en m'éloignant un peu de notre sujet du jour, madame la secrétaire d'État, de demander que le Gouvernement français fasse tous les efforts possibles pour que la reconstruction des pays comme Haïti ou l'Afghanistan se fasse non seulement pour les femmes, au bénéfice des femmes, mais aussi avec elles. Je soutiens donc les initiatives prises en ce sens, notamment celles de Françoise Hostalier.
C'est un message d'espoir que la France doit porter ; elle est en mesure de le porter, et c'est le moment de le faire. C'est dans ces pays, et c'est partout dans le monde, qu'il faut rappeler qu'il n'y a ni démocratie, ni développement durable, ni, devrais-je dire, d'humanité possible tant que les femmes restent les premières victimes des souffrances, des conflits et des violences. (Applaudissements sur tous les bancs.)