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Intervention de Bernard Lesterlin

Réunion du 25 février 2010 à 15h00
Prévention et répression des violences faites aux femmes — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBernard Lesterlin :

Monsieur le président, madame la présidente de la commission spéciale, madame la garde des sceaux, madame la secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le texte que nous examinons a ceci de particulier qu'il aborde un mal de notre société trop longtemps resté tabou.

Il touche aux pulsions les plus méprisables de l'être – pour ce qui concerne les auteurs de violences –, mais aussi aux peurs, à la culpabilisation ou à la honte que peuvent ressentir les victimes elles-mêmes.

Pour être efficace aux côtés des autres acteurs que sont les travailleurs sociaux, les éducateurs, les médecins et les associations, la justice, madame la garde des sceaux, doit adapter son organisation et ses méthodes. Dans ces domaines, nous sommes conscients que tout ne relève pas de la loi : il en va aussi du règlement – en matière d'organisation judiciaire –, ainsi que de vos instructions, s'agissant des méthodes de travail des magistrats et des objectifs qu'ils doivent poursuivre.

Mais la loi doit fixer un cadre pour l'action. Si les modalités de l'organisation judiciaire relèvent essentiellement du règlement, ses principes – collégialité dans l'examen des situations, proximité du justiciable, réactivité – peuvent et même doivent découler de la loi.

Telle fut bien la position de votre anté-prédécesseur, au moins en ce qui concerne la collégialité, quand il proposa à la représentation nationale de regrouper la fonction d'instruction dans des pôles où la délibération devenait collégiale, suite aux conclusions unanimes de la commission d'enquête parlementaire sur l'affaire d'Outreau.

On sait malheureusement ce qu'il est advenu de ce projet après les déclarations du Président de la République et le calamiteux épisode de la carte judiciaire. Mais cela ne peut être pris comme prétexte pour ne pas retenir, dans le texte que nous examinons, les principes conjugués de collégialité, de proximité et de réactivité de la justice, afin d'apporter une réponse adaptée à la question des violences faites aux femmes.

Madame la garde des sceaux, lors de votre audition devant la commission spéciale, vous nous avez dit qu'il serait possible, comme je le suggérais, de créer des pôles spécialisés ou « pôles de la famille », mais, selon vous, seulement dans les grandes juridictions ayant à traiter suffisamment d'affaires de violences familiales. Vous indiquiez en revanche que, dans la majorité des cas, cela ne se justifierait pas et entraînerait « un éloignement géographique incompatible avec la gestion de ces situations, qui exige une certaine proximité. »

Mais il n'y a pas d'incompatibilité entre un minimum de spécialisation des magistrats désignés à cet effet, la collégialité systématique pour examiner ces affaires et la proximité indispensable des justiciables concernés. Il suffit de désigner dans chaque TGI – je veux parler de ceux que votre prédécesseur, Mme Dati, a daigné conserver – un magistrat du parquet, un juge aux affaires familiales et un juge des enfants qui devront systématiquement évoquer ensemble toute affaire de violence conjugale ayant fait l'objet d'une plainte ou d'un signalement auprès d'un service de police ou du procureur.

Mais, s'il y a bien un procureur dans chaque TGI, encore faut-il que tous les postes de juges aux affaires familiales ou de juges des enfants soient effectivement pourvus, ainsi que ceux de greffiers ! L'efficacité de la loi passe par un minimum de moyens.

Au sein de la mission d'évaluation, nous nous sommes donné la peine, comme l'a rappelé sa présidente, d'aller sur place, dans le ressort de plusieurs cours d'appel, et de consulter les acteurs. Nous avons constaté de grandes disparités d'une juridiction à l'autre. Pourquoi doit-on s'affranchir du mythe selon lequel il existe une incompatibilité entre spécialisation – ce qui ne signifie pas compétence exclusive – du juge et collégialité dans l'examen des situations de violence, entre proximité du justiciable et réactivité de la justice ?

Je vois trois raisons. D'abord, la disparité de traitement de ces affaires d'une juridiction à l'autre est considérable et dépend donc inévitablement de la sensibilité des acteurs.

Ensuite, sans collégialité, on n'est jamais à l'abri d'une erreur d'appréciation s'agissant d'une situation de violence si l'on s'en tient à la lecture d'une plainte, d'un signalement ou d'un rapport de police. Oui, en matière de violences faites aux femmes, comme dans d'autres domaines, beaucoup trop de plaintes sont encore classées sans suite.

Enfin, nous sommes justement face à un sujet tabou pour la société dont nous tous – y compris les magistrats – faisons partie. On s'est beaucoup interrogé, dans le cadre de la commission spéciale, pour savoir si un mari violent pouvait être un bon père. Mais s'est-on demandé s'il pouvait être un bon maire, un bon conseiller général ou un bon chef d'entreprise ? Ne sait-on pas que les violences familiales n'épargnent aucun milieu social, pas même les notables ?

Dans ce domaine tabou, il ne s'agit pas de stigmatiser les serviteurs de la justice qui ont prêté serment – nous en avons rencontré de remarquables. Mais il ne faut pas pour autant leur demander d'être totalement insensibles à toutes les influences de l'environnement social dans lequel ils vivent, ou encore de rester sourds aux sollicitations du pouvoir politique. Alors, pour éviter ces risques, il vaut mieux être trois que seul et, si possible, être indépendant.

La confrontation des points de vue, bien plus que le respect des instructions de la hiérarchie, permettra à la magistrature de contribuer à l'objectif que nous nous assignons tous : extirper de notre société ce mal odieux que sont les violences faites aux femmes. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

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