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Intervention de Danielle Bousquet

Réunion du 25 février 2010 à 15h00
Prévention et répression des violences faites aux femmes — Discussion d'une proposition de loi

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDanielle Bousquet, présidente de la commission spéciale chargée d'examiner la proposition de loi renforçant la protection des victimes et la prévention et la répression des violences faites aux femmes :

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, madame la ministre, mes chers collègues, « ce que j'appelle mon présent empiète tout à la fois sur mon passé et sur mon avenir », écrivait Henri Bergson.

Je voudrais mettre à profit cette maxime pour replacer la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui dans une perspective d'ensemble, car ce texte ne saurait suffire, à lui seul, à éradiquer les violences faites aux femmes. À l'évidence, il a vocation à s'inscrire dans un dispositif cadre, qui existe déjà pour partie, mais qui doit incontestablement être amendé et complété.

Sur le chemin qui doit nous mener à ce dispositif cadre, je distinguerai trois moments clefs au cours desquels interviennent différents acteurs.

Le premier moment a été celui de la prise de conscience et de la mobilisation de l'opinion publique. Il était le fruit, pour l'essentiel, du travail des chercheurs et, surtout, des associations de femmes. Je salue d'ailleurs leurs représentantes présentes dans les tribunes du public. Je tiens à dire que nous avons effectué avec ces associations un travail remarquable. (Applaudissements sur tous les bancs.)

En effet, la connaissance des violences faites aux femmes est le préalable indispensable à toute action résolue pour les combattre. La mission a pu en faire le constat : c'est à partir du moment où les violences sont nommées que les personnes qui les subissent peuvent prendre conscience de leur statut de victime et solliciter les moyens de les faire cesser. Ce processus s'est produit aussi bien pour le viol que pour les violences conjugales, les mutilations sexuelles et le harcèlement. J'espère qu'il se reproduira pour les violences psychologiques que nous souhaitons spécifiquement incriminer.

Mais, pour caractériser ces violences, encore faut-il que les recherches soient suffisamment nombreuses et complètes. L'enquête nationale sur les violences faites aux femmes réalisée en 2000 a été, à ce titre, exemplaire. Elle a mis en évidence le fait qu'une femme sur dix était victime de violences en France, et a ainsi permis à l'ensemble de la société de prendre conscience de la gravité de violences qui concernent plus d'un million de femmes. De même, une étude récente portant sur les mutilations sexuelles a permis de recueillir les informations indispensables à leur prévention.

En conséquence, madame la ministre, au nom de l'ensemble des membres de la commission spéciale, je souhaite que le Gouvernement rétablisse par amendement les trois articles de la proposition de loi qui ont été déclarés financièrement irrecevables. L'un d'entre eux tendait à créer un Observatoire national des violences faites aux femmes, ayant pour mission de collecter les données relatives à ces violences et de les transmettre aux administrations.

Je tiens également à saluer le travail exemplaire des associations qui viennent en aide aux femmes victimes de violences. « Si l'on parle de ce sujet aujourd'hui, c'est grâce aux associations », disait récemment Mme Marie-France Hirigoyen, psychiatre qui a consacré une grande part de ses travaux aux femmes victimes de la violence de genre. Qu'elles soient petites ou grandes, qu'elles interviennent pour la prévention des violences ou pour aider les femmes qui en sont victimes, qu'elles prennent en charge l'ensemble des violences faites aux femmes ou qu'elles se limitent à certaines de leurs formes, ces associations sont des acteurs de terrain absolument incontournables. La mission, qui a eu l'occasion d'entendre un grand nombre d'entre elles, a pu mesurer leur professionnalisme et leur engagement total en faveur de cette cause. Il n'est donc pas étonnant qu'elles aient joué un rôle moteur dans l'élaboration de la présente proposition de loi.

Le Collectif national pour les droits des femmes avait ainsi élaboré une proposition de loi cadre, déposée le 20 décembre 2007 sur le bureau de l'Assemblée nationale par certaines de nos collègues. Une pétition de ce collectif avait alors réuni des milliers de signatures, ce qui avait conduit à la création par la Conférence des présidents de l'Assemblée nationale, en décembre 2008, d'une mission d'évaluation.

Nous sommes alors entrés dans le second temps : celui de l'évaluation de l'ensemble des politiques existantes et de leur adaptation. Ce temps est aussi, naturellement, celui du travail parlementaire.

La constitution d'une mission d'évaluation des politiques de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes correspond pleinement aux nouvelles attributions du Parlement en matière d'évaluation des politiques publiques.

Puisque j'évoque le travail de la mission d'évaluation, je veux rendre hommage à mon collègue Guy Geoffroy, et saluer l'excellente collaboration qui, durant des mois, a marqué nos travaux. Il n'y a jamais eu entre nous le moindre différend sur le sujet essentiel que nous traitions ensemble : cela méritait d'être dit. (Applaudissements sur tous les bancs.)

En six mois, notre mission a dressé un état des lieux complet de ces politiques après avoir auditionné plus d'une centaine de personnes et s'être rendue en banlieue parisienne, à Marseille, ainsi qu'à Saint-Brieuc, au coeur d'un département mi-urbain, mi-rural. Ses travaux ont porté aussi bien sur les violences conjugales que sur les violences commises sur le lieu de travail, dans l'espace public ou à l'encontre de jeunes filles mineures. Elle n'a négligé aucun aspect de ces violences, s'intéressant à leur quantification, à leur prévention et à leur répression. Nous nous sommes aussi intéressés à la protection des femmes victimes et des enfants témoins. Car nous sommes convaincus, comme Mme la ministre d'État, que les enfants sont directement victimes, eux aussi, des violences dont ils sont les témoins. Nous nous sommes enfin penchés sur le pilotage national et local des politiques de lutte contre les violences faites aux femmes.

De nombreuses personnes et associations qui oeuvrent contre ces violences nous ont indiqué que le rapport de la mission constituait désormais pour elles un document de référence. C'est d'ailleurs parce qu'il dresse un bilan incontestable des acquis et des lacunes de ces politiques qu'un consensus a pu être réuni, tant sur les propositions qu'il contient que sur la proposition de loi qui en est directement issue.

Finalement, sur la base de ce bilan partagé, nos collègues qui avaient soutenu la proposition de loi cadre initiale ont accepté de souscrire à notre proposition de loi. Cette mission a donc montré que majorité et opposition peuvent travailler de concert, dans un esprit constructif, et aboutir à un texte signé par tous. Le fait est assez rare pour que nous y insistions : les trente membres de la mission, représentatifs des différentes familles politiques de l'Assemblée, ont tous cosigné la proposition de loi. Il s'agit d'une conception du travail parlementaire qui fait honneur au pouvoir législatif, et qui montre que nous sommes à la fois une force d'expertise et de proposition. Je tiens d'ailleurs à rappeler que la loi du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein d'un couple ou commises contre les mineurs résultait d'une initiative sénatoriale prise par la majorité et l'opposition réunies ; elle avait été adoptée à l'unanimité.

Mais le vote d'une proposition de loi ne saurait suffire. Un simple constat permet d'étayer cette opinion : alors que le rapport de la mission comportait soixante-cinq propositions auxquelles nous tenons, la proposition de loi ne compte que vingt articles.

Après le temps de l'évaluation et de la modification du droit applicable, vient en effet un troisième temps : celui de l'application qui relève de la responsabilité du gouvernement. Trois missions principales incomberont alors à ce dernier.

La première sera de rendre rapidement applicables les dispositions législatives que nous aurons créées ou modifiées. Mme la ministre d'État nous a donné de solides assurances au cours de son audition, en indiquant que les décrets d'application étaient en cours de rédaction et qu'ils seraient publiés peu de temps après la promulgation de la loi.

La seconde obligation du Gouvernement consistera à mettre en oeuvre les propositions de la mission d'évaluation qui ne relèvent pas du domaine de la loi. Elles sont nombreuses et concernent des domaines variés de l'action du Gouvernement. Or le dispositif cadre global, cohérent et coordonné que nous appelons de nos voeux, et dont les travaux de la mission ont montré qu'il était indispensable, ne pourra être mis en oeuvre que si nos propositions sont mises en application. Il serait donc souhaitable que, comme nous l'a proposé Mme la secrétaire d'État lorsque nous l'avons rencontrée, le Gouvernement dresse périodiquement un bilan de la mise en oeuvre de ces propositions.

Enfin, nous ne pouvons pas ne pas évoquer la question des moyens financiers consacrés à la lutte contre les violences faites aux femmes. À l'heure où de nombreuses associations peinent à boucler leur budget faute de versement des subventions promises, nous considérons que ce point est essentiel. Le rapport de la mission a en effet démontré que les associations devaient bénéficier de financements pluriannuels pour pouvoir mener des actions efficaces sur le long terme. Il a également souligné le manque flagrant de moyens consacrés au suivi des auteurs de violences. Des méthodes existent, qui réduisent considérablement le taux de récidive, mais elles ne peuvent être mises en oeuvre, faute de crédits dédiés.

Madame la ministre d'État, que pèsent quelques centaines de milliers d'euros face au coût estimé des violences conjugales, que l'on peut chiffrer à plus de 2,5 milliards d'euros chaque année ? Une étude récente a montré que, pour chaque euro supplémentaire investi dans la prévention des violences conjugales, nous pourrions économiser jusqu'à 87 euros. L'argument de la contrainte financière est donc irrecevable.

Mes chers collègues, si la proposition de loi que nous examinons constitue incontestablement une étape importante, dont nous pouvons être collectivement très fiers, elle n'est pas pour autant un aboutissement. Le Parlement devra suivre la bonne application des textes qu'il adopte et des propositions qu'il formule. Nous travaillerons ainsi de concert avec les associations et le Gouvernement, pour lutter contre des violences inacceptables dont nous avons connu récemment, hélas ! des exemples dramatiques. (Applaudissements sur tous les bancs.)

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