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Intervention de Michèle Alliot-Marie

Réunion du 25 février 2010 à 15h00
Prévention et répression des violences faites aux femmes — Discussion d'une proposition de loi

Michèle Alliot-Marie, ministre d'état, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés :

Monsieur le président, madame la présidente de la commission spéciale, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, le Premier ministre a fait de 2010 l'année de la lutte contre les violences faites aux femmes, ainsi que l'a rappelé votre rapporteur.

La proposition de loi que vous avez élaborée, et que nous examinons aujourd'hui, représentera un temps fort de cette année. Les travaux effectués sur ce texte démontrent l'investissement remarquable de l'ensemble de la représentation nationale sur ce sujet. C'est au-delà des clivages partisans que ce texte a été élaboré et examiné. Je salue le travail de toutes celles et tous ceux qui y ont contribué, en particulier Mme Danielle Bousquet et votre rapporteur M. Guy Geoffroy.

En 2008, 156 femmes sont décédées sous les coups de leur compagnon, et bien des blessures non connues marquent leurs victimes à vie. Personne ne peut l'accepter, et c'est bien le sens de votre engagement. Ce n'est pas parce que ces violences sont commises au sein de la sphère privée qu'elles ne regardent pas l'ensemble de la société. Ce n'est pas parce qu'on a trop longtemps fermé les yeux sur elles qu'elles doivent être considérées comme une fatalité.

Lutter contre les violences faites aux femmes, c'est affirmer les valeurs de notre pacte républicain : refus de la violence, qu'elle soit publique ou privée ; défense des plus fragiles ; égalité entre hommes et femmes.

La justice est entièrement mobilisée dans la lutte contre ce fléau. J'ai fait de la lutte contre les violences faites aux femmes l'une des priorités de ma circulaire de politique pénale. J'ai notamment souhaité que des mesures d'éviction du conjoint violent soient plus largement requises dans le cadre des alternatives aux poursuites ou dans celui des sursis avec mise à l'épreuve. Il est paradoxal que ce soit la victime qui soit obligée de quitter le domicile conjugal, ou au contraire d'y rester malgré le risque encouru.

Aujourd'hui, il faut aller plus loin et, pour cela, faire évoluer notre droit. Nadine Morano et moi-même sommes heureuses de participer à ce débat et d'y apporter notre contribution, sur la base de votre proposition de loi.

Cette proposition élargit la gamme des actions possibles contre les violences conjugales. En amont, il faut améliorer la prévention des actes de violence et essayer d'en dissuader autant que possible les auteurs potentiels. En aval, il faut renforcer la répression des coupables et, dans le même temps, le soutien aux victimes.

Prévention et dissuasion de la violence conjugale exigent des moyens renforcés et renouvelés. Des moyens juridiques tout d'abord : en situation d'urgence, les victimes de violence conjugale doivent pouvoir compter sur une réponse réactive, efficace et cohérente de la justice. C'est l'objet de la création d'une ordonnance de protection temporaire, prise par le juge des affaires familiales. Cette ordonnance répond à un triple objectif : articuler les réponses civiles et pénales, prendre en compte l'évolution des modèles familiaux, étendre la protection à toute la famille.

Les mesures civiles prises à titre temporaire couvriront un large champ. Elles permettront l'éviction du domicile du conjoint violent, comme je viens de l'évoquer. Elles permettront également d'attribuer à la victime une aide matérielle car, dans un certain nombre de cas, l'un des problèmes qui empêche certaines femmes de déposer plainte ou de venir au commissariat est qu'elles se demandent comment elles pourront vivre, faute de moyens. La possibilité d'attribuer une aide matérielle est donc importante, de même que celle d'attribuer un logement, car les victimes doivent savoir où se réfugier le soir, avec leurs enfants le cas échéant. Autres mesures enfin, la fixation d'une pension alimentaire, ou la possibilité pour la victime de dissimuler son domicile quand elle craint la vengeance du conjoint violent.

Ces mesures sont importantes, et l'ordonnance de protection temporaire constitue à cet égard une véritable avancée. Pour autant, elles sont mises en oeuvre sans préjudice des poursuites engagées au plan pénal. Il faut donc une communication étroite entre le juge civil et le juge pénal. Des instructions ont été données en ce sens, et seront complétées.

Le deuxième objectif de la proposition de loi est de prendre en compte les évolutions des modèles familiaux. Pour bien protéger, il faut bien connaître la réalité de la situation. Aujourd'hui, le juge des affaires familiales peut prononcer une mesure d'éviction contre le conjoint violent – mais cette disposition ne s'applique pas aux concubins ou aux personnes liées par un PACS. La proposition de loi comble donc un vide juridique, en étendant son champ à toutes les situations de vie en commun.

Le troisième objectif de prévention est d'étendre la protection à toute la famille. Dans un contexte de violence conjugale, les enfants sont directement victimes lorsqu'ils subissent eux-mêmes des violences, ou indirectement lorsqu'ils sont témoins de la violence exercée sur leur mère dans une situation traumatisante. Dans ce cadre, la mise en oeuvre du droit de visite, voire du droit d'hébergement, représente un risque psychologique pour les enfants. Dans de telles situations, le juge doit pouvoir donner mandat à une institution habilitée ou à une association pour assurer l'accompagnement des enfants à l'occasion du droit de visite ou du droit d'hébergement.

Tels sont les moyens juridiques apportés par la proposition de loi. Ils sont renforcés par des moyens technologiques. Un certain nombre d'expérimentations innovantes permettent le signalement instantané de tout danger afin d'empêcher la commission d'actes de violence conjugale, tels que les téléphones portables d'alerte mis en place dans le ressort du tribunal de grande instance de Bobigny, en partenariat avec les collectivités locales. J'ai souhaité généraliser cette expérimentation en dotant les victimes qui le souhaitent de ce dispositif de téléprotection. Un décret a été pris en ce sens.

Deuxième élément technologique complétant le dispositif, le bracelet électronique, inspiré de l'exemple espagnol que Nadine Morano a étudié, vise à garantir le respect d'une décision judiciaire d'éloignement prise par le juge. J'ai tenu à ce que, dans le cadre du projet de loi sur la récidive, cette mesure devienne automatique dans certains cas. Ce dispositif électronique permet de signaler à distance que l'ex-conjoint, ex-concubin, ou ex-partenaire de PACS de la victime se trouve à proximité de celle-ci. La victime pourra se le voir proposer dans plusieurs hypothèses, mais il n'est pas question que ce soit systématique. Le dispositif sera disponible avant le jugement, dans le cadre d'une assignation à résidence avec surveillance électronique, ou après le jugement, dès lors que la peine encourue – et non pas la peine prononcée, j'y insiste – est au moins égale à cinq ans d'emprisonnement, ainsi qu'en cas de menaces au sein du couple – et non pas uniquement de violences avérées, l'actualité récente en a malheureusement montré la nécessité. Un amendement, déposé par le Gouvernement, précisera le cadre juridique de cette première étape.

L'élaboration juridique et technique du dispositif sera effectuée par les services du ministère de la justice. Je veillerai à l'efficacité du travail engagé, qui devra également mobiliser les services du ministère de l'intérieur. Des moyens humains et financiers sont bien sûr prévus à cet effet, qu'il faudra obtenir lors des négociations budgétaires – car rien de tel n'existe aujourd'hui au sein du ministère de la justice ou d'autres ministères.

Pour autant, ni la prévention ni la dissuasion ne peuvent empêcher totalement la commission des actes, et dans ces cas, il faut redoubler de fermeté et de vigilance. C'est ce que vous prévoyez, et nous allons tenter de vous y aider.

Le texte donne aux pouvoirs publics les moyens de mieux sanctionner les coupables et de mieux soutenir les victimes de violences conjugales.

Tout d'abord, pour mieux sanctionner les coupables, la répression doit davantage tenir compte de la réalité des violences conjugales, ce qui suppose une meilleure connaissance du phénomène. Je m'étais penchée sur ce point dans mes fonctions précédentes, en cherchant à analyser les circonstances dans lesquelles sont commises ces violences. Pour cela, je souhaite que l'Observatoire national de la délinquance et de la réponse pénale, qui vient d'élargir son champ de compétence à la réponse pénale, développe une évaluation spécifique des actes de violences conjugale. J'ai donc demandé à Alain Bauer, président de l'Observatoire, de se pencher sur cette question. En particulier, je lui avais déjà demandé il y a plusieurs mois, en ma qualité de ministre de l'intérieur, d'étudier le rôle joué par l'alcool dans les violences conjugales. J'avais été frappée, en effet, par la fréquence avec laquelle revenait, dans les rapports, la mention d'un état d'alcoolémie du conjoint violent. Ce n'est pas le seul élément, mais c'est un phénomène dont nous devons mesurer l'importance.

Mieux sanctionner les coupables exige également une adaptation du droit pénal. Certaines sanctions déjà prévues seront alourdies : c'est le cas des peines prévues contre les violences conjugales habituelles. De nouvelles incriminations sont en outre créées pour mieux répondre aux situations de violences conjugales, car toutes les violences ne sont pas de nature physique. La notion de violence psychologique, reconnue par la jurisprudence, sera désormais inscrite dans le code pénal, ce qui est une avancée importante, et les sanctions seront aggravées au regard de cette situation particulière. Les violences accompagnant, précédant ou suivant les mariages forcés, violences dont la pression psychologique constitue un élément, seront également combattues sans faiblesse.

La sanction doit également aller de pair avec un soutien accru aux victimes. Tout d'abord, l'accès au juge doit être garanti : sur le sol français, toute victime de violences conjugales a le droit de voir le coupable sanctionné par les tribunaux. C'est une question de justice, non de ressources ou de régularité du titre de séjour. C'est pourquoi l'aide juridictionnelle sera étendue à toutes les victimes, y compris aux étrangères en situation irrégulière. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP et sur les bancs des groupes SRC, GDR et NC.) Je sais que vous aviez prévu de prendre des dispositions en ce sens mais qu'elles en ont été écartées de la proposition de loi en application de l'article 40 de la Constitution. Je précise, pour que ce soit bien clair, qu'aujourd'hui l'aide juridictionnelle est parfois accordée à ces victimes, même si cela reste tout à fait exceptionnel. Cela dit, j'estime qu'elle doit bénéficier à toutes les personnes qui ont obtenu une ordonnance de protection, sans condition de résidence. Le Gouvernement proposera un amendement en ce sens.

Le soutien aux victimes suppose aussi la formation des professionnels chargés de les accompagner. Des formations spécialisées en matière de prévention et de prise en charge des violences faites aux femmes sont déjà dispensées par l'École nationale de la magistrature. Je veillerai à ce qu'elles soient consolidées et étendues à d'autres professionnels du droit. L'ENM a l'habitude et la capacité de dispenser des formations de qualité, qui doivent bénéficier largement aux professionnels concernés. Je travaillerai avec mes collègues du Gouvernement au développement de cette formation au-delà du secteur de la justice. Elle devra profiter à l'ensemble des acteurs concernés, notamment aux policiers, aux gendarmes, aux professionnels de santé et aux fonctionnaires de l'éducation nationale.

Mesdames et messieurs les députés, devant l'ampleur des enjeux soulevés par les violences faites aux femmes, le temps de la résignation ou de la seule compassion est révolu. Tel est je crois, le sens de votre proposition de loi ; telle est la raison pour laquelle Nadine Morano et moi-même soutenons et accompagnerons votre initiative.

Les Français sont de plus en plus conscients du caractère inacceptable de ces violences ; ils attendent de la fermeté, des réponses claires et concrètes, une action vigilante, déterminée et sans faiblesse contre les auteurs de ces violences.

En adaptant les modalités d'intervention de la justice, cette proposition de loi amplifiera les efforts déjà engagés. Elle montrera à toutes les femmes victimes de violences sur notre sol que l'État est déterminé à les protéger. Ainsi, ensemble, nous contribuerons à garantir la sécurité des personnes, l'effectivité de leurs libertés et la réalité de nos libertés. Nous montrerons aussi la grandeur de la représentation nationale quand, unanime, elle s'attache à apporter des réponses pour lutter contre une violence qui s'exerce contre les plus fragiles. (Applaudissements sur tous les bancs.)

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