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Intervention de Jean-Paul Delevoye

Réunion du 24 février 2010 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république

Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République :

Je vous remercie pour la pertinence de vos questions.

Je me réjouis du partenariat fort, interactif et permanent qui s'est instauré entre la commission des lois et la médiature. Nous ne nous rencontrons pas seulement lors des auditions, nous sommes en contact permanent. La médiature est ouverte aux parlementaires à qui nous demandons régulièrement de réfléchir aux simplifications administratives dont certains cas montrent la nécessité. Je remercie le président Warsmann d'avoir fait référence au Médiateur de la République dans les deux dernières lois de simplification.

Je plaide pour un renforcement de l'évaluation parlementaire et du suivi de l'application des lois. Pour prendre l'exemple des cartes d'identité des Français nés à l'étranger, leur renouvellement demande un an, voire deux. Nous avons obtenu de la précédente garde des Sceaux qu'elle prenne des circulaires à ce propos, mais elles sont sans effet dans un certain nombre d'administrations locales.

Souvent les textes de loi ne sont pas appliqués du fait du principe de précaution. En fait, la peur du lynchage médiatique est en train de neutraliser les décisions administratives : les fonctionnaires veulent à tout prix éviter qu'on leur reproche dans cinq, dix, voire quinze ans d'avoir donné une carte d'identité à telle personne ou d'avoir remis telle autre en liberté conditionnelle. Nous sommes tous en train de crier avec les loups parce que, sur cent personnes ayant bénéficié de cette liberté, une a récidivé, sans considération pour les quatre-vingt-dix-neuf qui se sont bien comportées. Est-ce que nos convictions sont guidées par nos décisions ou par nos émotions ? Lorsque Lucien Léger, le plus ancien détenu de France, qui était incarcéré dans la prison de Bapaume dont je suis le maire, a été libéré, les médias se sont précipités dans le village où un formidable monsieur avait accepté de l'accueillir pour demander aux mères si elles n'avaient pas peur pour leurs enfants. Que la réinsertion ne pose aucun problème n'empêche pas des élus et des associations de dire que M. Léger aurait dû rester en prison…

Nous avons un vrai problème de conduite de l'opinion. Soit nous la laissons sous l'empire de ses émotions et c'est la porte ouverte au populisme et à l'extrémisme, soit nous demandons à des autorités indépendantes, capables de prendre du recul par rapport aux faits, de protéger celles et ceux qui prennent des décisions au nom de l'intérêt général. La remarque vaut également pour les élus. Les décideurs doivent être fermes dans leurs convictions.

Or la société actuelle est dirigée par trois sentiments : l'espérance, la peur et l'humiliation. Faute d'être capables de recréer des espérances collectives, beaucoup misent sur les peurs et les humiliations, qui sont le terreau du populisme et de l'extrémisme. En Europe et dans le monde entier, les ombudsmans sont confrontés à de telles difficultés tandis que nos systèmes démocratiques sombrent dans l'extrémisme et le rejet de l'autre. La Hollande, par exemple, devient très intolérante. Je ne fais le procès de personne et certainement pas des politiques : bien malin qui peut dire si c'est le politique qui crée l'électeur ou l'électeur qui crée le politique. L'attente de réponses politiques est à la mesure de la pression ressentie par la population.

Cependant, de nombreux fonctionnaires ont compris que la préservation de leur carrière passait par une absence de condamnation par les médias. Le souci de protection s'ajoutant au principe de précaution, la peur des médias n'est assurément pas, dans ce cas, le commencement de la sagesse. Elle neutralise parfois l'action et la prise de décision et précipite dans la gestion des émotions.

Nous voyons l'intérêt de disposer d'une autorité indépendante capable de tordre le cou à certains procès d'intention et d'appuyer des décisions. Nous assistons parfois aujourd'hui à un décalage entre la gestion politique et la gestion administrative de certains problèmes, entre les volontés exprimées sur le plan politique et les décisions prises sur le plan administratif.

Sur la multiplication du nombre de médiateurs, vous me permettrez de jouer un joker. Je n'ai pas, au nom de la camaraderie et de la confraternité, à porter de jugement à ce sujet.

Compte tenu du nouveau rapport de l'autorité au collectif, la médiation me semble aujourd'hui plus que jamais nécessaire. Mais il faut non pas diviser pour affaiblir, mais rassembler pour renforcer.

Je suis tout à fait favorable au développement de la médiation dans les collectivités locales et les administrations. Le retour d'un « service des réclamations » permettra d'améliorer la qualité du service administratif. Cela peut être très bénéfique dans les organes exécutifs, à condition de défendre l'indépendance de ces services de médiation.

Nous sommes prêts – et nous l'avons déjà fait – à établir une coordination entre les médiateurs des collectivités locales et le Médiateur de la République afin de permettre à des dossiers dépassant le cadre de ces collectivités d'être étudiés à un échelon supérieur, voire d'être traités sur le plan législatif. C'est tout l'enjeu de la réussite de la médiation imposée par le législateur au sein des maisons départementales pour les personnes handicapées. Le fait de vous demander d'être à la fois juges et parties ne me semble pas être une bonne formule. La loi sur les tutelles et curatelles devra également faire l'objet d'une évaluation parlementaire pour éclairer notamment le partage entre la chancellerie et les conseils généraux.

Je n'avais pas vu le passage de « Médiateur de la République » à « Défenseur des droits » comme une absorption de la Défenseure des enfants, madame Mazetier.

L'intérêt de vos débats sur les lois organiques est de conserver à la France son identité dans le respect des conventions internationales, l'objectif étant de rassembler afin de renforcer et d'avoir plus de pouvoir et, par conséquent, plus de moyens.

La plaidoirie de Mme Claire Brisset en tant que Défenseure des enfants lors de l'affaire du procès d'Outreau aurait gagné en force, me semble-t-il, si elle avait été Défenseure des droits de niveau constitutionnel. Peut-être n'aurions-nous pas passé par pertes et profits les douze enfants reconnus victimes dont plus personne ne parle aujourd'hui. Une institution forte est nécessaire pour peser sur certains dossiers très compliqués.

Vous avez mille fois raison, madame Mazetier, de déplorer le manque de bon sens et de courage actuel. Le système administratif souffre d'une absence de gestion des ressources humaines et d'une incapacité à prendre des décisions. Comme je l'ai dit aux syndicats, la pérennité du service public passera par la défense non pas de son statut, mais de la qualité du service rendu. Donc toutes celles et tous ceux qui, par leur comportement et leur attitude, manquent à l'éthique et fragilisent le service public n'y ont pas leur place ou, en tout cas, ne méritent pas d'occuper la place qu'ils ont.

Or aujourd'hui, on défend souvent l'indéfendable. Dans le domaine de la santé, le signalement d'une erreur pour qu'elle ne se renouvelle pas est perçu comme une trahison vis-à-vis des collègues. 85 % des médiations que nous avons intentées dans la santé ont réussi parce qu'il a été possible de renouveler le dialogue car, en règle générale, les gens ne veulent pas aller au procès.

Nous devons développer la culture de l'erreur et sanctionner les fautes. C'est un combat qu'il faut mener pour développer la qualité du service public. Ce combat est difficile mais, en tant que tiers acteur et autorité indépendante, nous avons déjà pu peser sur certaines décisions qui, sans notre intervention extérieure, auraient pu engendrer des crispations au sein de la structure.

Il est un autre paradoxe dont nous sommes prisonniers aujourd'hui. Si la loi est censée protéger le faible, force est de constater que ce n'est malheureusement pas le cas dans la pratique. Alors que les lois brassent des principes généreux, ambitieux et intelligents, alors que nul politique ne pourrait avoir envie de forger une loi contraire à l'intérêt général, on s'aperçoit que le faible finit toujours par plier devant celles et ceux qui savent se servir des procédures et user de leur influence.

Cela soulève un problème que j'ai posé à l'échelon européen mais qu'en tant que Défenseur des droits je n'arrive pas à trancher. La préservation de l'indépendance de l'acte judiciaire n'est pas discutable mais peut-on distinguer l'acte judiciaire de l'acte administratif judiciaire ?

Aujourd'hui 90 % de nos saisines se font de façon directe par courriel. La totalité de la population carcérale a un accès direct à nos délégués. Dans le projet de loi sur le Défenseur des droits, il est prévu que celui-ci puisse être saisi directement. Il faudra veiller à maintenir une relation particulière et privilégiée entre lui et les parlementaires car cette relation est essentielle.

La LOLF donne une prime au procès et non à la médiation. Il est, actuellement, plus facile d'obtenir des sommes de Bercy pour payer un procès – car les fonds sont déplafonnés – que pour organiser une médiation… Il n'est pas question de condamner la LOLF, mais accepter un procès dont le coût est deux fois supérieur à celui d'une médiation, tout en respectant les procédures, heurte le bon sens.

Je suis tout à fait favorable à ce que des questions écrites soient posées au Gouvernement à la suite de la publication de mon rapport. En matière d'évaluation, j'ai soutenu la proposition du ministre Éric Woerth. Nous allons également recenser les administrations qui répondent et celles qui ne répondent pas. Il est absolument anormal que des administrations soient aux abonnés absents, notamment dans le domaine social et le domaine de l'agriculture.

L'augmentation du nombre de saisines et la modernisation du service public ne doivent pas être mises en parallèle car, si la formidable amélioration de l'administration fiscale donne beaucoup de satisfaction, nombre de situations anormales perdurent, notamment dans la gestion de l'attente et dans l'organisation de l'accueil.

L'important concernant les différents médiateurs, qu'ils soient fiscaux ou non, sont les relations qu'ils entretiennent les uns avec les autres.

Quel est le bilan du Médiateur de la République depuis 2004 ? En retire-t-il un sentiment de puissance ou d'impuissance ?

Premier constat : la relation médias-Médiateur est intéressante. La condamnation médiatique est une arme absolue qui nous a permis d'obtenir un certain nombre de réformes et de changer certains comportements. Dans beaucoup de cas, elle est le commencement de la sagesse.

Deuxième constat : il importe de réfléchir à la notion de recommandation en équité. La société évolue tellement vite que le législateur, quelle que soit sa qualité, ne peut pas prévoir quelles sont les situations pour lesquelles une application stricte de la loi ne peut avoir de conséquences inéquitables. Cette question était déjà en débat du temps d'Aristote et de Platon.

Comment éviter que la recommandation en équité soit une interprétation systématique de la loi et comment la mettre à profit ? Il n'y a pas longtemps, le Gouvernement a pu s'appuyer sur une recommandation en équité que nous avions faite pour indemniser des familles dont la réclamation n'était plus recevable du fait du dépassement des délais.

Avant la disparition de Philippe Séguin, nous travaillions avec lui pour faire en sorte qu'une recommandation en équité, qui consiste à interpréter la loi, n'engage pas la responsabilité de celui qui l'a décidée par rapport à sa hiérarchie, à la Cour des comptes ou la Cour de discipline budgétaire et financière, c'est-à-dire de concilier recommandation en équité, limite du pouvoir de celle-ci et exonération de responsabilité de celui qui la prend.

Troisième constat : il est important de poser une exigence de délai pour les réponses des administrations et de prévoir une sanction lorsque les délais – de réponse ou, plus généralement, de non-réponse – sont exagérément longs. La longueur des délais nous frustre actuellement et nous sommes parfois obligés de nous déplacer au sein des administrations pour obtenir réponse à nos demandes.

Je ne me suis servi qu'une seule fois de mon pouvoir d'injonction. Cinq administrations de l'État étaient condamnées par la Cour européenne à verser deux millions d'euros. Or aucune ne voulait payer. Quand la Cour européenne les a condamnées, l'année suivante, à payer 200 000 euros d'intérêts moratoires, j'ai saisi le Premier ministre et l'affaire a été réglée en vingt-quatre heures.

Je fais partie de ceux qui pensent que le Médiateur de la République – et demain le Défenseur des droits – doit bénéficier d'un magistère d'influence. Mais qui dit pouvoir d'exécution, dit possibilité de contestation de ce pouvoir et de recours contre lui, ce qui fait perdre au Défenseur des droits son indépendance. Il y a là une contradiction à laquelle vous devrez réfléchir lorsque vous examinerez le projet de loi.

Nous avons actuellement des difficultés à suivre les dossiers en cas de changement d'adresse et à établir des connexions entre eux. La décentralisation est un formidable facteur d'accélération de l'amélioration de la qualité des services publics mais, lorsqu'une personne doit changer de département pour des raisons de travail ou de divorce, la connexion des dossiers relève souvent du parcours du combattant, et cela vaut encore plus pour les transfrontaliers.

La médiation est « réussie » quand les deux parties parviennent à un accord. Nous traitons 50 % des dossiers que nous recevons et, sur ce nombre, 80 % des médiations sont réussies.

Telles sont les réponses que je voulais apporter, de façon concise, aux questions qui m'ont été posées. Je reste à votre disposition. Je me réjouis de la relation très efficace et très proche qui existe entre nous et la commission des lois, ses membres et son président.

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