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Intervention de Jacques Barrot

Réunion du 24 février 2010 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république

Jacques Barrot :

Il existe maintenant un ordre juridique communautaire intégré à l'ordre juridique interne. En cas de transposition d'un texte communautaire, le Conseil constitutionnel se contente de vérifier la conformité de la loi à la directive ou au règlement, comme il l'a fait en 2005 pour la loi relative à l'énergie : il a considéré que la loi était fidèle à la directive dans la mesure où elle instaurait une mise en concurrence, mais que les tarifs réglementés lui étaient contraires. Il y a là un contrôle qui doit encore être perfectionné. Il ne faudrait pas que le juge constitutionnel en vienne à contrôler la directive au regard des droits fondamentaux, car ce serait ouvrir la voie à des jurisprudences contradictoires entre les cours constitutionnelles des différents États membres. Laissons la Cour de justice des communautés européennes apprécier la conformité des directives et des règlements aux principes du droit communautaire et aux droits fondamentaux.

Une bonne connaissance du processus d'adoption des textes communautaires me paraît très importante. Même si je ne saurais émettre de jugement à ce sujet, il est probable que certains membres du Conseil constitutionnel n'avaient pas tout à fait perçu les contraintes imposées par la directive sur les échanges de droits d'émission à un certain nombre d'industries électro-intensives, malgré la gratuité des quotas. Une bonne connaissance de la genèse des textes communautaires faciliterait le travail du Conseil constitutionnel. Nous sommes, pour le moment, au milieu du gué.

D'autres États membres font des anciens Présidents de la République des sénateurs, formule que nous aurions pu adopter en France. Mais c'est au constituant de trancher. Il n'appartient pas aux membres du Conseil constitutionnel de prendre position sur cette question.

J'étais personnellement favorable à une référence aux racines chrétiennes de l'Europe, mais il me semble plus important de garantir la liberté d'exercice des religions.

À mon âge, on a tendance à penser que les limites d'âge présentent beaucoup d'inconvénients : elles empêchent l'expérience et la mémoire de s'exprimer. Ce qui importe, c'est de savoir quitter ses fonctions quand on n'est plus capable de les exercer. C'est une question de déontologie.

Notre tradition politique repose sur la volonté populaire. C'est pourquoi le Conseil constitutionnel a souvent pris soin de rappeler qu'il ne jouissait pas d'un pouvoir général de décision et d'appréciation de même nature que celui du Parlement : lorsque les modalités retenues par la loi ne sont manifestement pas inappropriées, il ne vérifie pas si les objectifs que le législateur s'est assignés auraient pu être atteints par d'autres voies. Il n'y a donc pas de risque, aujourd'hui, que le Conseil constitutionnel se substitue au pouvoir législatif même s'il est allé jusqu'à exercer un contrôle sur des déductions fiscales accordées par la loi sur le pouvoir d'achat aux contribuables qui avaient acheté ou une construit une habitation au cours des cinq années précédentes.

La question des langues régionales pourrait, en effet, faire l'objet de questions préalables d'inconstitutionnalité. Il m'a semblé, lorsque j'étais à la Commission européenne, que nous serions peut-être appelés à évoluer sur cette question. Nous verrons comment nous pourrions tenir compte en droit interne de l'ordre juridique communautaire.

Je partage l'avis de M. Sébastien Huyghe en ce qui concerne les opinions contraires. Pour avoir été membre de la Commission européenne, je mesure l'importance de la collégialité, qui est une richesse. Il faut veiller à ne pas amoindrir la force des décisions du Conseil. Je rappelle également que les débats du Conseil seront désormais rendu publics dans un délai de 25 ans. On peut naturellement débattre de ce délai, mais il est positif que les archives soient ainsi ouvertes.

Le Conseil constitutionnel s'est initialement concentré sur l'application des articles 34 et 37 de la Constitution. Il a, par ailleurs, des pouvoirs d'arbitrage dans le cadre de l'article 40, ainsi que dans le cadre de l'article 41, même si cette dernière faculté est aujourd'hui tombée en désuétude. Le Conseil a été très prudent bien qu'il soit allé, comme l'a rappelé le président Warsmann dans un article sur le dialogue entre le juge constitutionnel, le législateur et le constituant, jusqu'à imposer qu'un amendement déposé en première lecture ait un lien direct avec l'objet du texte. Il est intéressant de noter que le Conseil a dû s'incliner sur ce point à l'issue de la révision constitutionnelle adoptée en 2008. Il ne faut pas que le Conseil constitutionnel pénètre dans la « chambre des époux » qu'évoquait le doyen Vedel : il ne doit pas s'immiscer entre le pouvoir législatif et le pouvoir réglementaire. Son intervention peut, en revanche, se justifier si elle tend à rendre plus harmonieux le fonctionnement de nos institutions.

J'ai renoncé, pour ma part, à comprendre la répartition des compétences entre le Conseil d'État et le Conseil constitutionnel en matière électorale. Il conviendrait certainement de faire converger les jurisprudences.

Certaines réserves d'interprétation sont considérées comme « directives », d'autres comme « neutralisantes ». Comme le faisait observer le Président Warsmann, il s'agit d'une façon de dialoguer avec le législateur. Les réserves d'interprétation peuvent également venir en réponse à des travaux réalisés en marge de l'adoption de la loi et qui pourraient conduire à une interprétation contraire au sens du texte. Une certaine prudence s'impose, mais il ne faut pas pour autant renoncer à cette pratique.

Comme l'a indiqué M. Jean-Paul Garraud, l'instauration de la question préalable de constitutionnalité pose un certain nombre de difficultés que le Conseil constitutionnel devra trancher. La voie de l'exception d'inconstitutionnalité avait été envisagée dans les années 1990 avant d'être abandonnée, car il était paru nécessaire de préserver le contrôle de constitutionnalité abstrait qui est une spécificité française. Le Conseil pouvant désormais abroger une disposition à compter de sa décision ou définir les conditions dans lesquelles l'abrogation aura lieu, quid des décisions de justice antérieures ? C'est une terre qui reste largement à défricher.

Si l'on veut contrôler la conformité des directives, il importe de bien les connaître et d'être au fait de leur genèse, mais j'ai déjà abordé cette question.

J'en viens à la jurisprudence IVG de 1975. Il n'y a pas de raison que le Conseil constitutionnel se désintéresse des traités. Il me semble qu'il doit exercer un droit de regard dans ce domaine.

Existe-t-il une hiérarchie au sein du bloc de constitutionnalité ? En droit, non, mais elle existe de fait : certaines libertés fondamentales s'imposent avant toutes les autres dispositions.

En matière de contrôle de conventionalité, nous sommes aussi au milieu du gué. On peut se demander si le Conseil, qui exerce un contrôle sur la conformité des lois aux directives, ne devrait pas également développer un contrôle de conventionalité, mais je ne maîtrise pas encore suffisamment cette question pour vous répondre avec plus de précision sur ce point.

La loi référendaire étant l'expression de la vox populi dans notre tradition politique, que le Conseil constitutionnel a eu la sagesse de respecter, les lois référendaires ne font pas l'objet d'un contrôle, le Conseil constitutionnel étant seulement consulté en amont du processus. Il aura, en revanche, un pouvoir de contrôle sur le référendum populaire.

Le Conseil constitutionnel a exercé ses pouvoirs avec une grande prudence à l'égard des règlements des assemblées parlementaires, matière qui relève essentiellement des assemblées elles-mêmes. Là encore, le Conseil ne doit pas pénétrer avec ses gros sabots dans la « chambre des époux ». Il faut toutefois accepter que le Conseil puisse servir d'instance d'appel afin de garantir le fonctionnement harmonieux de nos institutions.

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