Monsieur Dosière, je ne suis pas responsable des nominations au sein du Conseil constitutionnel : si aucun universitaire n'est nommé, cela n'est pas de mon fait.
Cela étant, je ne crois pas qu'il soit souhaitable non plus que le Conseil constitutionnel soit composé à 80 % de membres du Conseil d'État. Serait-il utile alors d'avoir une seconde institution ? Il suffirait de les fusionner. De plus, il y a actuellement au sein du Conseil deux magistrats de l'ordre judiciaire, ce qui n'avait pas été le cas durant de très nombreuses années, de fait, depuis le départ de Jean Cabannes. Vous avez dit que les hommes politiques seront six sur onze membres : si l'on ne tient compte que des membres statutaires, ils ne seront que quatre sur neuf.
J'ai bien connu le doyen Vedel, qui avait été choisi en 1993 pour participer à une commission chargée de proposer quelques modifications d'ordre constitutionnel. Je n'aurais pas, comme lui, érigé en principe constitutionnel l'inamovibilité des professeurs de droit : c'était une mesure corporatiste.
C'est vrai, monsieur Dosière, que les constituants ont dû, en 1958, réserver un sort particulier aux présidents Auriol et Coty : c'est la raison pour laquelle ils les ont nommés membres de droit du Conseil constitutionnel. On peut, en effet, se demander si, compte tenu de l'évolution des choses, on ne risque pas, demain, d'avoir plus de deux membres de droit. Le Président Mitterrand était favorable à ce que les anciens Présidents de la République, s'ils ne devaient plus siéger de droit au Conseil constitutionnel, deviennent, comme en Italie, sénateurs à vie, afin qu'ils aient une fonction officielle. L'affaire a capoté au Sénat, en dépit de l'accord du rapporteur de l'époque, Étienne Dailly.
Je suis effectivement l'auteur de ce qu'on appelle le « statut » des anciens Présidents de la République, à la demande du président Mitterrand, qui souhaitait procurer à M. Giscard d'Estaing, qu'il avait battu mais qui était encore jeune et actif et qui ne souhaitait pas renoncer à la vie politique, les moyens de travailler. J'ai donc rédigé quelques règles relatives à l'intendance – billets d'avions ou de trains, secrétariat, nombre de collaborateurs. Ce n'est pas M. Fabius qui a signé la mesure. Le Président Mitterrand a confié au secrétariat général du Gouvernement le soin de mettre en oeuvre le dispositif arrêté. Nous n'avons pas touché, en revanche, au traitement, dont le montant a été fixé par une loi d'avril 1955 et qui correspond à celui d'un conseiller d'État en service ordinaire au niveau hiérarchique le plus élevé. Rien n'interdira au législateur de revenir sur la question.
Le Président Mitterrand avait pris ces dispositions, en accord avec le Président Giscard d'Estaing, en se référant au dispositif régissant les anciens présidents des États-Unis, lesquels disposent de véritables moyens de travail organisés autour de leur « bibliothèque », qui regroupe notamment leurs archives. Le législateur a tous les pouvoirs pour remettre en cause le dispositif actuel sans que cela passe pour une mesquinerie.
Monsieur Dosière, je ne suis pas le partisan d'une laïcité rigide. Je ne suis ni petitement ni grandement laïque, je suis laïque, point. C'est la règle de la République française et ce qui fait son originalité ainsi que, j'ai la faiblesse de le penser dans les temps que nous vivons actuellement, sa solidité, notamment dans l'ensemble européen.
Il est vrai que la situation concordataire est choquante, mais elle ne concerne pas seulement l'Alsace-Moselle. Durant quatorze ans, à l'Élysée, je me suis occupé de la nomination d'évêques. Si le Gouvernement français ne participe plus à leur nomination, il n'en demeure pas moins une procédure de nihil obstat qui remonte jusqu'à l'Élysée après étude du dossier par le Quai d'Orsay. Le Président de la République peut donc s'opposer à la nomination d'un évêque. La procédure est également de type quasi concordataire en Guyane.
Le régime concordataire a été supprimé par la loi de 1905. À l'époque, l'Alsace-Moselle étant hors du territoire de la République, cette loi ne s'y appliqua pas. Lors de l'armistice de 1918 – Clemenceau adressa de la tribune de la Chambre des députés son salut à l'Alsace-Lorraine libérée –, les Alsaciens ont demandé à conserver le régime concordataire. Bien que Clemenceau fût au moins aussi laïque que moi et qu'il fût membre de sociétés de pensée auxquelles je n'appartiens pas moi-même, il a accédé à cette demande parce que la France sortait d'une guerre longue et douloureuse et qu'il ne voulait pas ajouter aux souffrances des Alsaciens et des Lorrains. Si l'on doit solder les situations résiduelles de la guerre de 1914-1918, je ne suis pas opposé à la suppression du régime concordataire, mais la décision appartient au législateur. Du reste, en cas d'un recours devant Conseil constitutionnel relatif à une loi concernant l'application du régime concordataire, j'ignore quelle décision rendrait le Conseil au regard du principe de laïcité.