Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors de l'examen en première lecture de ce projet de loi, nous avions dit combien notre arsenal juridique était à lui seul suffisamment coercitif pour amoindrir les risques de récidive. Il ne s'agissait pas là d'un jugement présomptueux, mâtiné d'une vision angélique que nous aurions de la société. Non, ce jugement était simplement tiré de la lecture attentive du rapport commandé par le Président de la République au président Lamanda.
Ce dernier y détaille en effet les nombreuses mesures existantes permettant de contrôler les criminels dangereux lors de leur sortie de prison, et de limiter les risques de récidive. Je me permets simplement de vous les rappeler : la libération conditionnelle, le suivi socio-judiciaire, le fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes, la surveillance électronique mobile, la surveillance judiciaire des personnes dangereuses et, enfin, la tristement fameuse loi sur la rétention de sûreté et la surveillance de sûreté du 25 février 2008 qui permet l'enfermement à vie des criminels jugés les plus dangereux.
Je vous invite à relire ce rapport du premier magistrat de France avec toute l'attention nécessaire, tant les coauteurs du présent texte semblent ne pas s'en être imprégnés. En effet, la leçon essentielle à tirer de ce rapport était on ne peut plus limpide : pour lutter contre la récidive, la loi ne fait pas défaut, bien au contraire. Ce qui fait défaut, en revanche, ce sont les moyens accordés au juge d'application des peines, à la pénitentiaire, au service pénitentiaire d'insertion et de probation. C'est cette absence cruelle de moyens qui empêche une application effective de toutes les mesures contribuant à la prévention de la récidive.
Ainsi, bien qu'annoncées à grand renfort de plans de communication, ces mesures n'ont jamais réellement pu être mises en oeuvre, faute de moyens humains et matériels mis à la disposition de celles et ceux qui ont la charge de les appliquer. Gageons qu'il en sera de même pour les nouvelles mesures que vous vous apprêtez à voter aujourd'hui ! En tout état de cause, rappelons, comme M. Lamanda l'a fait lui-même dans son rapport, que le risque zéro en matière de récidive n'existe pas dans une société humaine.
Nous avions regretté, lors de la première lecture, que ce texte ne permette pas la mise en oeuvre des recommandations du rapport Lamanda, qui en appelaient notamment à la formation, au renforcement des moyens humains ou bien encore aux nouvelles technologies, afin de permettre une application effective des lois existantes. Aujourd'hui, nous réitérons ces regrets.
Manifestement, le Président de la République, le Gouvernement et les coauteurs du texte n'ont pas voulu prendre en compte l'essentiel de ce rapport. Peu importe qu'il émane du premier magistrat de France, au fait des dispositions législatives et de la pratique judiciaire : il ne correspond pas à leurs voeux. Sans doute, l'auraient-ils préféré plus « vendable » !
Ce projet de loi, ressorti des cartons à l'occasion d'un fait divers – une fois de plus ! – s'est transformé en un formidable instrument d'affichage, que la majorité et le Gouvernement ont adapté à l'actualité en introduisant des mesures susceptibles d'impressionner les médias et l'opinion publique, et cherchant à faire croire que le Gouvernement agit. La logique est implacable : stigmatiser la loi plutôt que l'État en charge de son application et permettre ainsi une répression toujours renforcée - mais qui n'est pas moins inefficace -, fût-ce au prix d'une atteinte à nos valeurs et à nos principes fondamentaux.
La procédure accélérée ayant été engagée sur ce texte, nous n'aurons eu droit qu'à une lecture dans chacune des chambres. Est-ce à regretter ? Pour la première fois, je m'interroge, car une seconde lecture par notre assemblée et sa majorité aurait probablement encore aggravé les dispositions proposées.
Notre assemblée, lors de la première lecture, ne s'était pas privée, en effet, d'introduire des amendements toujours plus répressifs. Ces amendements, écrits et adoptés par la majorité, nous éclairent sur la philosophie qui l'anime, au même titre que le Gouvernement. Je ne résiste pas à l'envie de vous livrer certains commentaires des rapporteurs du Sénat, M. Lecerf et M. About, qui ont jugé « indispensable d'apporter ou de rétablir certaines garanties pour mieux encadrer plusieurs des dispositions votées par l'Assemblée nationale ».
Il faut préciser, à cet égard, que le Sénat n'en est pas à son premier fait d'armes. Déjà, lors de l'examen du texte sur les violences de groupe, il avait su s'abstraire des consignes venues du Gouvernement et du Président de la République pour corriger, autant que faire se pouvait, le texte de l'Assemblée, tant les bornes étaient parfois grossièrement dépassées. Tout en restant fidèle à la majorité, la chambre haute avait tenté de faire primer les principes de notre droit sur la surenchère répressive de notre chambre basse. En vain !
Mais revenons-en au texte sécuritaire – néanmoins insécurisant – qui nous préoccupe aujourd'hui et aux modifications souvent éclairées des sénateurs.
L'article 1er bis, introduit à l'initiative de Mme Barèges et de M. Ciotti, porte d'un an à deux ans renouvelables la durée de la surveillance de sûreté. La commission des lois du Sénat a jugé nécessaire de préciser les conditions dans lesquelles l'intéressé pourrait demander la mainlevée de la mesure.
L'article 2 bis, issu d'un amendement des mêmes auteurs, prévoit que le refus de mise en oeuvre du placement sous surveillance électronique par une personne placée sous surveillance de sûreté peut constituer un motif de placement en rétention de sûreté. Le Sénat a jugé que cela ne serait possible que si les autres conditions posées pour une telle décision étaient satisfaites.
S'agissant de l'article 4, complété par l'Assemblée à l'initiative de son rapporteur, M. Garraud, qui abaisse de quinze à dix ans le seuil de peine prononcée permettant d'ordonner le placement sous surveillance de sûreté, M. Lecerf souligne qu'il soulève de « sérieuses objections de caractère constitutionnel ». Il a proposé de maintenir le seuil à quinze ans.
L'article 5 bis, introduit par le Gouvernement et instituant un énième fichier pudiquement appelé « répertoire de données à caractère personnel collectées dans le cadre des procédures judiciaires », a été réécrit par la commission des lois sénatoriale afin de « clarifier les dispositions et d'encadrer plus strictement l'accès à ce répertoire en le réservant à l'autorité judiciaire ».
Concernant l'article 5 ter, introduit par le rapporteur M. Garraud, qui concerne le traitement antihormonal, le rapport de la commission des lois souligne qu'un tel traitement ne peut relever que de la seule compétence du médecin traitant. De même, il a prescrit la suppression de l'obligation pour le médecin traitant d'informer le juge de l'application des peines du refus ou d'une interruption d'un traitement inhibiteur de libido. La commission des affaires sociales du Sénat, quant à, elle soutient les modifications ainsi proposées par la commission des lois. À cet égard, elle regrette que « la séparation claire entre justice et soins soit aujourd'hui remise en cause. On demande en effet à la médecine d'assurer une mission qui n'est pas la sienne, la défense sociale, c'est-à-dire empêcher les personnes criminellement dangereuses de nuire. »