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Intervention de Jean-Paul Garraud

Réunion du 23 février 2010 à 15h00
Réduction du risque de récidive criminelle — Discussion du texte de la commission mixte paritaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Paul Garraud, rapporteur :

de la commission mixte paritaire. Madame la présidente, monsieur le ministre chargé des relations avec le Parlement, mes chers collègues, très impliqué depuis plusieurs années dans l'évaluation et la prise en charge de la dangerosité, je suis particulièrement heureux de m'exprimer devant vous à l'occasion de l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire sur un projet de loi qui marque l'aboutissement d'une évolution législative indispensable.

Nombreux sont les travaux qui, depuis des années, prônent le développement, à côté des peines, qui ont pour vocation de sanctionner les faits commis, de mesures de sûreté destinées à prévenir la commission de nouveaux faits criminels : la mission d'information de l'Assemblée nationale présidée par Pascal Clément et à laquelle j'ai appartenu, la mission d'information du Sénat de MM. Goujon et Gautier, le rapport de la commission Santé-Justice de Jean-François Burgelin, ancien procureur général de la Cour de cassation, et le rapport sur la prise en charge de la dangerosité, intitulé Réponses à la dangerosité, que j'avais eu l'honneur de remettre au Premier ministre le 18 octobre 2006.

Dans la lutte que nous menons contre les récidivistes, il faut prendre toutes nos responsabilités et aller au bout de notre logique. Il est intolérable d'admettre des « sorties sèches » – c'est-à-dire sans aucune surveillance – de détenus ayant déjà commis des faits gravissimes et dont on sait pertinemment qu'ils vont recommencer.

Pour éviter cela, la logique est simple et s'applique en deux temps. D'une part, à la culpabilité correspond la peine : l'individu est condamné en fonction de la gravité des faits qu'il a commis. Il doit être puni, mais cette sanction doit aussi lui être utile, son parcours en détention est individualisé, sa réinsertion constituant l'objectif final. Nous avons d'ailleurs vu tout cela dans le cadre de la loi pénitentiaire qui a été votée récemment.

D'autre part, à la dangerosité correspond la mesure de sûreté. C'est une évolution juridique majeure dans notre pays. Cette mesure de sûreté ne doit pas être confondue avec la peine : bien qu'ayant purgé leur peine pour des faits graves, certains individus restent particulièrement dangereux. En cas de risque élevé de récidive, il faut continuer de les surveiller, de les contrôler, de leur imposer des traitements médicaux, aussi longtemps que durera cette dangerosité. Il faut non seulement individualiser la peine, dans le prononcé de la sanction, mais aussi le parcours en détention – ce que nous avons voté dans la loi pénitentiaire – et aussi la mesure de sûreté : c'est une nécessité qui répond à une vision juridique et pragmatique que de nombreux pays, notamment la Belgique, les Pays-Bas ou le Canada, ont adoptée depuis longtemps, sans que cela soit considéré, pour les pays européens, comme contraire à la convention européenne des droits de l'homme.

Le présent projet de loi met pleinement en oeuvre cette logique des mesures de sûreté, sur laquelle le Sénat et l'Assemblée nationale se rejoignent largement et partagent la détermination du Gouvernement à mettre en oeuvre les mesures les plus pragmatiques et les plus efficaces pour protéger nos concitoyens des criminels récidivistes.

Adopté en première lecture, le 24 novembre 2009 à l'Assemblée nationale et le 18 février 2010 au Sénat, ce projet de loi a donné lieu, hier, à la réunion d'une commission mixte paritaire. Initialement, le projet de loi, issu du rapport de M. Lamanda, premier président de la Cour de cassation, avait surtout une dimension technique, mais j'ai souhaité le renforcer en apportant des modifications substantielles, notamment en prévoyant un renforcement important des obligations auxquelles peuvent être soumis, après leur libération, dans le cadre de ces mesures de sûreté, les criminels qui ont été condamnés à de lourdes peines et qui présentent toujours une certaine dangerosité.

Grâce au travail approfondi et à la réflexion menés par sa commission des lois, en particulier par le rapporteur de celle-ci, M. Jean-René Lecerf, le Sénat a apporté de nouvelles modifications au texte. Pour une très large part, le texte adopté par le Sénat correspond à l'esprit des évolutions adoptées par l'Assemblée nationale. Au terme de ses lectures successives et après son adoption par le Sénat, le nombre d'articles du projet de loi est passé de neuf dans le texte initial à vingt-deux.

Parmi eux, six ont été adoptés conformes. J'en citerai deux, qui illustrent pleinement le fait que, sur la question du développement des mesures de sûreté, le Sénat et l'Assemblée nationale partagent la même philosophie et le même objectif : tout d'abord, l'article 1er A, qui répare un oubli de la loi du 25 février 2008 en permettant de placer en rétention ou surveillance de sûreté une personne condamnée en récidive pour les crimes non aggravés de meurtre, torture ou actes de barbarie, viol, enlèvement ou séquestration ; ensuite, l'article 8, qui prévoit la possibilité d'inscrire au casier judiciaire les décisions d'irresponsabilité pénale assorties d'une hospitalisation d'office ordonnée par la juridiction. Il est important, pour ne pas dire essentiel, de permettre aux juridictions d'ordonner une hospitalisation d'office ; cela a été relevé au cours de nos travaux.

S'agissant d'onze autres articles modifiés par le Sénat ou ajoutés par lui au texte de l'Assemblée nationale, la CMP a adopté le texte du Sénat, sous réserve d'un certain nombre de précisions rédactionnelles présentées conjointement avec M. Lecerf. Je citerai deux de ces articles : l'article 1er bis, par lequel le Sénat a maintenu l'allongement d'un à deux ans de la durée du placement sous surveillance de sûreté, ce qui est, bien sûr, une mesure d'efficacité et de bon sens ; l'article 8 bis, qui permettra de rendre plus efficaces les conditions d'enregistrement des données au fichier national des empreintes génétiques.

Un certain nombre de désaccords qui demeuraient sur cinq articles ont été tranchés par la commission mixte paritaire. L'équilibre atteint par la CMP sur ces différents points apparaît satisfaisant, même si je dois émettre quelques réserves sur certaines dispositions pour lesquelles la réflexion devra, à mon sens, être poursuivie.

La question la plus importante qu'avait à trancher la CMP était celle du seuil de placement sous surveillance de sûreté. En effet, alors que la loi du 25 février 2008 avait prévu des seuils de peine identiques pour le placement sous surveillance de sûreté et le placement sous rétention de sûreté, l'Assemblée nationale avait, à mon initiative et conformément à une logique de gradation des mesures de sûreté à laquelle je suis très attaché, voté l'abaissement du seuil de placement en surveillance de sûreté de quinze à dix ans. Le Sénat n'avait pas souhaité conserver cette évolution, qui répondait pourtant à une logique de gradation : la mesure la plus coercitive, la rétention de sûreté, aurait nécessité le seuil de peine le plus élevé pour pouvoir être décidée ; la mesure la moins coercitive, car non privative de liberté, c'est-à-dire la mesure de surveillance de sûreté, aurait pu être prononcée pour des personnes condamnées à des peines lourdes – dix ans – mais moins lourdes que celles requises pour la rétention de sûreté.

Au terme d'un passionnant débat, la CMP a décidé de maintenir le même seuil de quinze ans de peine prononcée pour la rétention et la surveillance de sûreté. A notamment été avancé, pour justifier ce maintien du droit actuel, le risque de censure constitutionnelle, en raison du fait que la violation de la surveillance de sûreté peut donner lieu à un placement en rétention de sûreté, ce qui aurait pu être considéré indirectement comme un abaissement du seuil de la rétention de sûreté. À titre personnel, je continue de penser, comme d'autres députés membres de la commission des lois, qu'il aurait été préférable de courir le risque allégué d'inconstitutionnalité, plutôt que de courir celui de voir un individu commettre prochainement un crime affreux à la suite d'une libération qui ne serait assortie d'aucune mesure de surveillance de sûreté au motif qu'il aurait été condamné à une peine de seulement, si j'ose dire, dix à quinze ans de réclusion criminelle, et ce alors même qu'il aurait manifesté, tout au long de sa détention, une certaine dangerosité et un risque élevé de récidive à sa sortie.

S'agissant du répertoire des données à caractère personnel collectées dans le cadre des procédures judiciaires, le RDCPJ, la CMP a précisé les données devant y figurer, en rétablissant l'enregistrement des examens – c'est un point très important –, que le Sénat avait supprimés du texte. Cette modification permettra de donner sa pleine efficacité au RDCPJ, dont les décrets d'application seront pris, je le souhaite, dans les plus brefs délais possible.

S'agissant de l'article 5 ter, l'Assemblée nationale avait voté la suppression de l'avis obligatoire de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté avant un placement sous bracelet électronique dans le cadre d'une surveillance judiciaire, mais le Sénat avait rétabli ce cas d'avis obligatoire. Sur ma proposition, la CMP est revenue au texte de l'Assemblée nationale, ce qui permettra de lever le frein au développement du placement sous surveillance électronique mobile, frein que constitue cet avis obligatoire, et d'harmoniser les procédures de placement sous bracelet électronique. Cela doit d'ailleurs être mis en perspective avec une autre disposition adoptée par l'Assemblée nationale et maintenue par le Sénat, qui consacre le principe d'un examen systématique de la situation des personnes entrant dans le champ de la surveillance judiciaire par le juge d'application des peines, le JAP, ou le procureur de la République six mois avant leur libération et, au besoin, après une période d'observation de deux à six semaines et un avis de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté.

Au même article, la CMP est parvenue à un équilibre satisfaisant sur la mise en place d'une information obligatoire du JAP par le médecin traitant, via le médecin coordonnateur, en cas d'interruption, contre son avis, d'un traitement qu'il a prescrit dans un cadre judiciaire. La CMP a utilement complété cette disposition, en prévoyant qu'en cas d'indisponibilité du médecin coordonnateur, le médecin traitant aura la faculté d'informer directement le JAP de l'arrêt du traitement. Si le principe de l'intermédiation entre le médecin et le JAP est conservé, la souplesse nécessaire a été donnée au dispositif pour éviter le risque que l'autorité judiciaire ne soit pas prévenue d'un arrêt de traitement créant un risque fort de récidive, simplement parce que le médecin coordonnateur n'aurait pas pu être joint par le médecin traitant. Très clairement, il s'agit de permettre au médecin traitant, en cas d'urgence et d'indisponibilité du médecin coordonnateur, d'informer l'autorité judiciaire de l'arrêt d'un traitement, qui pourrait être préjudiciable au sort de nos concitoyens car une récidive pourrait en résulter.

S'agissant enfin de l'article 8 ter et de la date d'entrée en vigueur des dispositions de la loi, le Sénat avait prévu un report au 1er janvier 2012 de l'examen systématique par le JAP ou le procureur de la situation des personnes susceptibles de faire l'objet d'une surveillance judiciaire. Ce report aurait été préjudiciable à l'effectivité des nouvelles dispositions du projet de loi, raison pour laquelle la CMP l'a fort justement supprimé. Je pense évidemment qu'en cette matière, la loi doit pouvoir s'appliquer immédiatement.

Voilà, très brièvement présentées, les conclusions de la CMP sur ce projet de loi et les remarques que je souhaitais formuler sur le texte auquel nous sommes parvenus. La logique et la philosophie de ce texte me paraissent aller dans la meilleure direction possible pour assurer à nos concitoyens une meilleure protection contre le risque de récidive criminelle en organisant une véritable surveillance des criminels particulièrement dangereux, même après qu'ils ont fini de purger leur peine.

Pour ces raisons, je vous invite à adopter le présent projet de loi tel qu'il résulte des travaux de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

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