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Intervention de Jean Gaubert

Réunion du 17 février 2010 à 10h30
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean Gaubert, co-rapporteur :

Mes chers collègues, je tiens également, comme l'ont fait avant moi les présidents Poignant et Ollier, à rendre hommage à Jean-Paul Charié. J'ai travaillé avec lui depuis quelques années car nous avions les mêmes thèmes de prédilection : c'est une personne que j'ai appris à connaître, très différente de l'image qu'elle pouvait donner au premier abord. Ainsi, s'il semblait dur a priori, ce n'était qu'une apparence. Humaniste, rigoureux, passionné, parfois angélique, je dois dire que j'ai commencé à travailler avec un collègue et que je crois avoir fini de travailler avec un ami.

Je tiens à dire, en préambule, que cette loi a été votée : même si je n'ai pas voté en sa faveur, c'est aujourd'hui une loi de la République et on doit tous faire en sorte qu'elle soit pleinement mise en oeuvre et appliquée. Il convient notamment de vérifier si les décrets annoncés ont été pris, si les griefs reprochés existent toujours, si des lacunes existent... C'est dans ce cadre que j'ai travaillé avec Jean-Paul Charié mais nous avons pu constater à cette occasion que l'imagination du législateur était fréquemment dépassée par l'imagination de ceux qui doivent en principe être les premiers à respecter les textes votés.

Dans notre mission de contrôle et d'évaluation de la loi, nous avons privilégié certains axes de réflexion : l'urbanisme commercial, la réforme des relations commerciales et les délais de paiement.

Mais avant d'en venir à ces thèmes, je souhaiterais vous livrer quelques éléments quantitatifs sur la mise en oeuvre des mesures d'application de cette loi.

Sur les 175 articles de la loi, 111 étaient d'application immédiate et 57 requéraient des mesures d'application, Mme Christine Lagarde s'étant engagée à ce que ces décrets interviennent dans les six mois suivant la publication de la LME.

Six mois après la publication de la loi, 26 articles avaient fait l'objet de toutes les mesures d'application prévues par le texte et 6 articles faisaient l'objet de mesures d'application partielle. Il faut toutefois tempérer ce bilan quantitatif décevant par le constat que les décrets d'application de certaines des mesures essentielles du texte ont été publiés par la suite, de sorte que l'engagement souscrit par Mme Lagarde a pu être respecté : je mentionnerai notamment la création d'un statut d'auto-entrepreneur, la réforme du régime des équipements commerciaux, l'équipement des immeubles pour le haut débit. En outre, de nombreux décrets concernant des dispositifs importants sont parus sept mois après la publication de la loi.

Le bilan est plus nuancé s'agissant notamment de l'application de la neutralisation de l'impact financier du franchissement des seuils sociaux prévue par l'article 48, de la délivrance de carte de résident pour contribution économique exceptionnelle introduite par l'article 124 ou bien encore du rescrit en matière de crédit d'impôt recherche. Les décrets ont été publiés respectivement en juillet, septembre et août 2009, ce qui constitue un retard d'autant plus difficile à justifier qu'il s'agissait de mesures prévues dès le projet de loi initial.

Enfin, certains « abcès de fixation » demeurent, alors qu'on se situe plus d'un an après la publication de la loi : fin octobre 2009, 4 articles dont 3 d'origine parlementaire n'avaient toujours pas reçu de mesure d'application ; 5 articles avaient reçu des mesures d'application incomplètes, notamment ceux relatifs à la généralisation du rescrit fiscal et au guichet unique pour l'exercice des activités de service, articles également d'initiative parlementaire. On peut comprendre que l'élaboration des textes d'application de mesures d'initiative parlementaire exige davantage de temps que celui nécessaire à l'élaboration des mesures d'origine Gouvernementale. Pour autant cela ne doit pas constituer un prétexte pour ne pas appliquer des dispositions qui, pour avoir été parfois adoptées contre l'avis du Gouvernement, n'en sont pas moins légitimes ! D'après les informations que nous a communiquées le Gouvernement, ces abcès sont en voie de résorption, même si certaines mesures sont renvoyées à 2012, comme celle permettant la mise en oeuvre de l'obligation pour l'État d'accepter des factures dématérialisées.

Plus inexplicable en revanche est le retard pris pour l'application de certaines mesures phares du texte, qui figuraient pourtant dans le projet de loi initial, comme celles relatives à la mise en oeuvre de la réforme de la distribution du livret A. Le problème du contrôle et de la lutte contre la multidétention, qui coûte très cher à l'État et aux finances sociales, n'est toujours pas réglé. Le Gouvernement y travaille, mettant en oeuvre un contrôle a posteriori de déclarations sur l'honneur, mais ce n'est pas satisfaisant et des discussions sont actuellement en cours dans le cadre d'un groupe de travail regroupant l'administration et les principales banques en vue de mettre en place un contrôle a priori. On peut se féliciter que le Gouvernement manifeste sa volonté de prendre le problème à bras le corps mais, dans le même temps, on peut regretter malgré tout qu'il faille attendre plus de deux ans, si le calendrier indiqué par le Gouvernement devait être respecté, pour qu'une disposition qu'il a lui-même proposée puisse enfin recevoir des mesures d'application.

Pour en venir au fonds du texte, j'aborderai dans un premier temps la question de l'urbanisme commercial, en distinguant le bilan de la période transitoire et celui du « régime de croisière ». La période transitoire a été chaotique. Nous nous souvenons tous de l'imbroglio causé par une circulaire de feu la DECASPL (direction du commerce, de l'artisanat, des services et des professions libérales), dont nous avons pu obtenir le retrait rapide grâce à l'intervention du président Ollier. S'agissant de l'évaluation du nombre de m2 ouverts sans autorisation, nous disposons de quelques éléments. La préfecture du Finistère a indiqué avoir reçu 95 déclarations d'intention de création ou d'extension de surfaces commerciales, soit une surface globale de 57 000 m². La préfecture du Nord a reçu 80 dossiers, déclarations d'intention ou déclaration d'ouverture d'extension, soit 80 000 m², c'est-à-dire l'équivalent d'un an d'activité de la CDEC. Ces déclarations concernaient principalement les secteurs du bricolage, du jardinage et des centres automobiles. De plus, l'enseigne Leroy Merlin nous a indiqué avoir eu vent de la circulaire du 28 août 2008 et avoir demandé confirmation auprès du ministère de l'économie de l'interprétation donnée des règles applicables à la période transitoire. Une fois cette confirmation obtenue, la quasi-totalité des magasins de l'enseigne (70 ou 80 sur une centaine) ont réalisé des extensions de 999 m² et certains magasins en ont même réalisées plusieurs.

Des demandes de régularisation ont été déposées là où l'enseigne avait le sentiment que les responsables politiques contestaient cette démarche.

La plupart du temps, ces extensions étaient réalisées par l'ouverture de locaux jusque là utilisés comme réserve, afin de n'avoir pas à solliciter de permis de construire et donc ne pas être susceptibles de faire l'objet de la procédure dérogatoire prévue pour les communes de moins de 20 000 habitants.

Par ailleurs, dans un courrier adressé le 14 mai 2009 au Président Patrick Ollier, le secrétaire d'État chargé de l'industrie et de la consommation, M. Luc Chatel, indiquait fort justement que « la réalité de surfaces de vente nouvelles ouvertes en 2008, y compris celles qui l'ont été sur le fondement de la circulaire du 28 août, pourra être connue dans le détail lorsque les établissements auront déclaré les surfaces correspondantes à l'organisme gérant le régime social des indépendants (RSI) en vue du paiement de la taxe sur les surfaces commerciales (TASCOM) au titre de l'année 2008. Une demande destinée à collecter ces informations a d'ores et déjà été adressée à cet organisme. Je ne manquerai de vous tenir informé des résultat du dépouillement de ces données ».

Interrogé par vos rapporteurs, le Gouvernement explique désormais que « le transfert de la collecte de la TASCOM au profit des collectivités locales, du RSI vers la DGFIP (service fiscal aux entreprises), adopté en loi de finances 2010, sera effectif en 2011. De ce fait, l'exploitation de ces données risque de se heurter aux principes du secret fiscal et cette solution pourrait ne plus être possible, comme le recours au RSI le permettait. Néanmoins, des données devraient être prochainement disponibles dans les prochaines semaines, pour les surfaces de plus de 400 m². »

Aucun bilan chiffré des m² ouverts pendant cette période transitoire n'est donc disponible. Une évaluation empirique effectuée au regard des éléments transmis à vos rapporteurs et rappelés plus haut laisse toutefois supposer que ce bilan pourrait être très lourd.

Notons de surcroît que les opérateurs, qui ont abondamment profité de l'interprétation contestable faite par la DECASPL dans sa circulaire du 28 août, des règles fixées par le législateur pour la période transitoire, ont saisi la juridiction administrative pour contester la circulaire du 24 octobre, pourtant plus respectueuse de la volonté des élus. Aucune date d'audience n'a été fixée à ce jour par le Conseil d'État. Dernier élément, le dispositif concernant les extensions d'ensembles commerciaux était également mal ficelé, et il a fallu un amendement sénatorial pour y mettre bon ordre.

On ne peut qu'être critique à l'égard de ce bilan.

En ce qui concerne le « régime de croisière », le bilan n'est pas beaucoup plus satisfaisant : il a fallu attendre neuf mois les arrêtés d'application du décret du 29 novembre 2008 ; en d'autres termes, les CDAC ont commencé à fonctionner sans que l'arrêté fixant le contenu de la demande du pétitionnaire ait été pris ! A ce relatif empirisme dans le fonctionnement des commissions s'ajoutent des difficultés liées aux critères d'appréciation en fonction desquels les CDAC doivent statuer, qui sont jugés trop flous, à la contestation des règles de non cumul pour les élus représentés dans les CDAC, au raccourcissement des délais de traitement des demandes alors que le formalisme reste lourd… Tout ceci contribue sans doute à fragiliser juridiquement les décisions prises.

Quant au bilan en terme d'animation de la concurrence, qui était l'objectif affiché par le Gouvernement, celui-ci nous indique que le « hard discount » aurait doublé ses projets de surface et qu'un magasin serait venu animer la concurrence dans 40 % des villes les plus chères de France.

Nous n'avons pas eu ces études entre les mains, donc nous ne pouvons juger de la solidité des résultats qui sont présentés et, en tout état de cause, ils ne concernent que les surfaces de plus de 1000 m², les seules pour lesquelles on dispose des chiffres des CDAC. En deçà, il n'existe plus d'inventaire des surfaces commerciales. Le Gouvernement nous a indiqué travailler sur ce problème et rechercher des solutions permettant la mise en place d'un outil de mesure fiable et exhaustif.

Devant ce bilan fort peu probant, on ne peut que réaffirmer l'urgence de la réforme sur laquelle Jean Paul Charié avait tant travaillé, consistant à fusionner urbanisme commercial et urbanisme de droit commun.

S'agissant des délais de paiement, le Gouvernement fait état d'une réduction moyenne de 11 jours. C'est bien, en particulier dans le contexte de crise très difficile que nous avons connu et de tarissement des flux de financement bancaire.

Mais le tarissement des flux du crédit bancaire explique sans doute également le succès de la formule des accords dérogatoires : 39 ont été conclus avant l'échéance du 1er mars 2009 et soumis à l'Autorité de la concurrence ce qui a représenté environ 20 % de l'économie marchande d'après les chiffres du Gouvernement. Les secteurs bénéficiant de dérogations couvrent de larges pans de l'économie : bricolage, horlogerie, animaux de compagnie, agroéquipements, compléments alimentaires, pêche de loisir, outillage industriel, articles de sport, optique et lunetterie, pisciculture continentale et marine, activités manuelles et artistiques, pour ne citer que quelques exemples.

On peut regretter des exceptions aussi larges au principe de réduction que nous avions fixé ; rappelons toutefois que quoi qu'il arrive, ces accords organisent en douceur un basculement vers le droit commun au plus tard en 2012.

Mais la mise en oeuvre de cette réforme a donné lieu à plusieurs abus :

- des négociations commerciales avaient pu être conclues aux termes desquelles le distributeur obtenait de son fournisseur une contrepartie à la réduction du délai de paiement ; entre-temps un accord dérogatoire est venu relever ce plafond, sans que la contrepartie soit restituée ;

- les modes de computation des délais ont fait l'objet de deux interprétations par la DGCCRF et la CEPC : les deux méthodes conduisent à un même délai moyen de 60 jours, mais la méthode « DGCCRF » est plus favorable au fournisseur que la méthode « Sénat » pour les factures émises au cours des quinze premiers jours du mois ; à l'inverse, elle s'avère moins favorable pour les factures émises au cours des quinze derniers jours. Or il semblerait que certains clients choisissent l'un ou l'autre mode de calcul en fonction de la date d'émission de la facture afin d'obtenir le délai qui leur est le plus favorable…

- Enfin, la réduction des délais de paiement a conduit au développement de nouvelles méthodes de gestion des stocks, qui consistent en en faire assumer le risque financier au fournisseur.

On voit là encore que, dès qu'il s'agit de détourner la loi, l'imagination est sans limite.

Enfin, s'agissant de la réforme des relations commerciales, on constate la persistance des abus malgré une diminution sensible des marges arrière.

Les marges arrière ont baissé et témoignent du retour à des pratiques « normales » de négociation, c'est-à-dire « normales » par rapport aux contorsions qu'imposait l'interdiction de la discrimination tarifaire. Les témoignages des acteurs concordent sur ce point et corroborent les chiffres du Gouvernement faisant état d'une baisse de 30 à 10 % en moyenne des marges arrière. Cette normalisation des négociations se traduit également par une différenciation croissante des prix entre enseignes.

Mais les résultats sur les prix sont modestes : d'après l'INSEE, les prix de grande consommation auraient crû de 0,4 % entre septembre 2008 et septembre 2009, chiffre à mettre en parallèle avec les baisses de 2 ou 3 % avancées par les distributeurs lors des débats sur le texte, et à placer dans le contexte d'un dégonflement du prix des matières premières agricoles et de hausse importante des prix au cours des années 2007-2008 ; le rapport d'application de la LME publié par le Gouvernement fait état d'une baisse de 0,65 % depuis décembre 2008.

En tout état de cause, ce résultat doit être d'autant plus relativisé que dans le même temps, on assiste à un développement rapide des marques de distributeurs (MDD) : l'an passé, les ventes des produits à marque de distributeurs ont progressé de 3,2 %, soit deux fois plus vite que les années précédentes. Désormais, les MDD représentent près de 40 % des produits achetés dans les hyper et supermarchés et près de 30 % du chiffre d'affaires.

Or si les prix des MDD de produits de grande consommation dans la grande distribution alimentaire ont baissé de 0,2 % en octobre 2009 par rapport à octobre 2008 selon Nielsen, cette baisse modeste est la première depuis septembre 2006.

S'agissant de l'équilibre des relations entre fournisseur et distributeur, on constate que les conditions particulières de vente, dont l'opacité permet d'exercer une certaine pression sur les fournisseurs, se développent.

Le plan d'affaires que nous appelions de nos voeux n'est pas entré dans les moeurs. Les distributeurs répugnent toujours à s'engager dans un véritable « business plan » avec leurs fournisseurs. La plupart du temps, les contrats sont fournis par le distributeur, pré-rédigés et identiques pour chacun de ses fournisseurs : on comprend l'intérêt pratique d'une telle formule lorsqu'un distributeur travaille avec plusieurs centaines de fournisseurs pour des milliers de référence, mais le fournisseur devrait en théorie pouvoir conserver la faculté de faire modifier ce contrat, sans quoi celui-ci révèlerait alors un déséquilibre entre droits et obligations des parties, sanctionné par l'article L. 442-6 du code de commerce. Or, bien souvent, le fournisseur n'osera pas demander la modification d'une clause. Ces contrats vont parfois même jusqu'à préciser que les conditions d'achat du distributeur se substituent purement et simplement aux conditions générales de vente (CGV) du fournisseur alors même que l'article L. 441-6 disposent que ces CGV constituent le socle de la négociation commerciale !

Et ce n'est pas le seul abus : application unilatérale des tarifs de l'année précédente à l'année en cours, pénalités qui explosent (260 000 euros entre janvier et juin 2008 pour un grand groupe du secteur de l'ultra frais, 2,8 millions d'euros entre janvier et juin 2009), remise en cause immédiate des contrats qui viennent d'être signés, apparition de clauses de « garanties de marge »…

Nous avons durci les sanctions applicables, l'essentiel est maintenant de les appliquer.

C'est pourquoi les assignations de neuf grandes enseignes par le Gouvernement constituent un signal courageux et nécessaire. Une première décision a été rendue par le tribunal de commerce de Lille le 11 janvier dernier, qui a condamné l'enseigne Castorama au paiement d'une amende de 300 000 euros.

Cette tentative d'amélioration a donc produit un certain nombre de bons effets (délais de paiement dans un contexte pas facile). La meilleure nouvelle, c'est la saisine par le Gouvernement de tribunaux d'un certain nombre d'abus, ce qui devrait servir d'avertissement à beaucoup d'acteurs. Il y a encore beaucoup à faire néanmoins. Ainsi, pour l'urbanisme commercial : comment faire en sorte que les élus locaux reprennent la main ? Il convient de préciser davantage la loi car des dérives ont été constatées.

En conclusion, si l'on constate effectivement une tentative d'amélioration de l'existant ainsi qu'un certain nombre d'effets positifs, par exemple sur la réduction des délais de paiement (et ce en dépit de la crise), de nombreux abus, analysés en détail dans le rapport, sont encore à déplorer. La saisine des tribunaux par le Gouvernement et la réponse rapide de ceux-ci constituent donc à bien des égards la meilleure nouvelle qui nous soit parvenue récemment, notamment en ce qu'elle vient bousculer un milieu habitué à l'impunité. Mais beaucoup de choses restent à faire, en particulier en matière d'urbanisme commercial où il semble indispensable que les élus locaux reprennent la main. Enfin, il n'est pas exclu qu'un certain nombre de points soient de nouveau réexaminés dans le cadre d'un texte de loi afin d'être améliorés, points qui, pour la plupart, avaient d'ailleurs déjà été signalés par l'opposition lors de l'examen de la LME. Comme nous le disions à l'époque, s'il y a un domaine dans lequel il n'y a pas de place pour l'angélisme, c'est bien celui des relations commerciales.

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