Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, depuis quelque mois, de rapport Lambert en Livre noir des régions, de déclarations ministérielles en articles complaisants et parfois désinformateurs, nous assistons à une offensive de grande ampleur contre les collectivités territoriales, offensive destinée à préparer une succession de textes qui visent d'abord à revenir sur la décentralisation, cette forme moderne de la gestion des territoires et des politiques publiques, et, ensuite, à reprendre par des modifications législatives le terrain perdu par la majorité dans les urnes. Cette curiosité, pour ne pas dire cet ectoplasme, qu'est le conseiller territorial n'a pas d'autre objectif.
On reproche aux collectivités territoriales de laisser filer leurs dépenses de personnel. Je peux témoigner que l'augmentation des effectifs des régions résulte d'abord des réformes engagées par votre majorité, monsieur le secrétaire d'État.
Lorsque je suis devenu président de la région Basse-Normandie en 2004, elle comptait 237 agents. Elle en compte aujourd'hui 1 880. Excellente démonstration de la gabegie régionale, me direz-vous. Eh bien non puisque l'on compte 1 390 TOS transférés par la loi de 2004 à la région, auxquels il a bien fallu ajouter une cinquantaine d'agents parce que l'État n'avait pas remplacé les retraités depuis plusieurs mois, quarante salariés transférés dans le cadre de la décentralisation des ports nationaux, et une dizaine de fonctionnaires de l'inventaire transférés du ministère de la culture à la région.
Parlons de la gestion. Les collectivités territoriales équilibrent leur budget, c'est la loi. Elles ne s'endettent que pour investir, ce qui n'est pas le cas de l'État. Quant à la qualité de la gestion des régions de gauche, elle est reconnue par les agences de notation. Fitch Ratings, dans un récent rapport, vient d'attribuer une note AA + à la région Basse-Normandie, mais indique que les réformes engagées par le Gouvernement pourraient cependant dégrader cette bonne notation. On ne peut mieux dire, mais mon intervention portera sur un autre aspect de votre projet de loi, l'article 25, qui supprime l'article 22 de la LOADDT de 1999.
Depuis quelques mois, nous pressentions que les pays serviraient de victime expiatoire à la simplification du millefeuille territorial. Dans l'impossibilité constitutionnelle et politique où vous êtes de supprimer un niveau de collectivité, notamment le conseil général, l'annonce de la fin du pays vous permet en quelque sorte de donner le change.
Le débat au Sénat a mis en évidence la grande ignorance ou la mauvaise foi des pourfendeurs du pays. Permettez à l'ancien rapporteur auprès de notre assemblée de la loi Voynet du 25 juin 1999 et au président du pays de Caen de rappeler quelques évidences et quelques vérités.
Le pays n'est en rien une collectivité territoriale, il n'entre donc pas dans ce millefeuille dont on se régale tant. Son émergence, dans l'Ouest de la France notamment, préexiste à sa reconnaissance législative par la LOADT de 1995, la loi Pasqua-Hoeffel, et à sa définition plus précise et plus volontaire avec la loi Voynet. La rédaction de l'article sur le pays avait fait consensus à l'époque lors de l'examen du texte par la commission de la production et des échanges de notre assemblée.
Avec cette dernière loi, il s'inscrivait dans une trilogie territoriale cohérente voulue par le gouvernement Jospin, après la loi pour le renforcement et la simplification de l'intercommunalité, la loi Chevènement, et la loi de solidarité et de renouvellement urbain, la loi Gayssot. Avec Gérard Gouzes et Patrick Rimbert, les rapporteurs de ces deux lois, nous avions veillé à la cohérence des trois lois. Supprimer aujourd'hui les pays, c'est remettre en cause une architecture territoriale cohérente.
Le pays est avant tout une maille d'aménagement du territoire définie à une échelle pertinente, la cible était de 100 000 habitants. C'est ainsi que certains pays s'affranchissent des limites régionales ou départementales. Le pays d'Alençon s'étend tout à la fois sur la Basse-Normandie et les Pays de la Loire. Quant au pays de Redon, il enjambe la limite entre les Pays de la Loire et la Bretagne. En revanche, ils respectent les intercommunalités, c'est-à-dire ces territoires plus récents et plus modernes. Émile Blessig, qui a présidé la délégation à l'aménagement du territoire, le sait bien.
Certains, comme Jean-Pierre Balligand, spécialiste reconnu de l'aménagement du territoire, les ont même présentés comme des fédérations d'intercommunalités. Il y a d'ailleurs un paradoxe à vouloir supprimer le pays, fédérateur des territoires ruraux, alors que le Gouvernement encourage la création de syndicats mixtes pour fédérer des villes dans les pôles métropolitains. Je ne critique pas cette dernière mesure, je l'approuve même, mais il y a là une contradiction.
On reproche au pays de créer des structures inutiles. Reconnaissez qu'elles sont le plus souvent très légères, composées de jeunes et talentueux chargés de mission qui apportent une ingénierie territoriale à des territoires ruraux qui en sont trop souvent dépourvus. Comment, en effet, concevoir des projets à la bonne échelle sans les ressources humaines nécessaires ?
Territoire de projet, le pays constitue également une maille adaptée à une contractualisation efficace. Dans ma région, la Basse-Normandie, le volet territorial du contrat de projets État-région a ainsi pu amener plus de 36 millions d'euros aux onze pays et trois agglomérations qui maillent la totalité de la région : 28,4 millions en investissements et 7,6 millions en ingénierie territoriale.
La suppression de l'article 22 ne permettra plus une telle contractualisation après 2013. Je ne suis pas sûr que toutes les communautés de communes soient en capacité de contractualiser demain avec l'État, les régions, les départements, dont on sait bien qu'ils feront preuve de plus de sélectivité et d'exigence pour répartir des crédits moins nombreux. C'est autant de moyens en moins pour les territoires, notamment pour les territoires ruraux, qui ont pourtant de nombreux défenseurs au Sénat.
Les 350 pays créés en dix ans couvrent aujourd'hui 84 % du territoire national. Ils ont souvent permis de simplifier, de donner davantage de transversalité aux politiques publiques. Ils ont facilité la mise en cohérence des zonages. C'est vrai pour les programmes européens leaders. C'est vrai pour les pays touristiques. Ils ont servi de cadre à de nombreux appels à projets, notamment ceux lancés par l'ADEME.
Les pays constituent également souvent l'échelle de mise en oeuvre des SCOT. Il en va ainsi du syndicat mixte de Caen-Métropole qui regroupe, autour de la communauté d'agglomération de Caen-la-Mer, neuf communautés de communes, soit 113 communes. Ce syndicat porte le SCOT et le pays, et constitue une véritable instance de concertation entre les intercommunalités, entre la ville, la périurbanité et le rural.
Ainsi, les pays bien constitués préfigurent et préparent les intercommunalités ambitieuses dont notre pays a besoin et que le Gouvernement semble vouloir accompagner.
Enfin, les conseils de développement, qui sont en quelque sorte des conseils économiques et sociaux locaux, ont permis d'associer les acteurs locaux à l'élaboration des projets territoriaux. Cela, c'est aussi un acquis précieux pour une meilleure appropriation des politiques publiques par les usagers. Renvoyer chez eux, après dix ans de dialogue, chefs d'entreprises, acteurs associatifs, syndicalistes, c'est se priver d'une réelle expérience territoriale. C'est aussi faire preuve de beaucoup de mépris pour les plus impliqués de nos concitoyens.
Vous l'avez compris, mes chers collègues, dix ans après la loi Voynet, je reste un fervent défenseur du pays et j'aimerais vous convaincre de leur pertinence en faveur de l'aménagement du territoire. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)