Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État à l'intérieur et aux collectivités territoriales, mes chers collègues, à l'occasion de ce débat et en préambule à la réforme des collectivités territoriales, nous pouvons peut-être nous poser trois questions : pourquoi la réforme, comment et jusqu'où réformer ?
Pour répondre à la question « pourquoi la réforme », je partirai d'un constat qui mérite peut-être d'être rappelé. Les démocraties qui nous entourent en Europe ont toutes, sans exception, accompli de très profondes réformes de leur système de gouvernance. En dehors de l'Allemagne – qui est devenu un État fédéral après la guerre, ce qui n'est certes pas rien –, je pense essentiellement à l'Italie avec les réformes Bassanini relatives notamment à l'État, à l'Espagne dont la réforme régionale a été tellement considérable que ce pays est aujourd'hui peut-être même allé en matière de décentralisation au-delà de certains États fédéraux, je pense enfin à la loi de dévolution anglaise ; je pourrais également évoquer la Suède. Alors que tous les pays qui nous entourent ont clairement choisi la décentralisation assumée, il me semble que notre pays ne s'est toujours pas prononcé entre une décentralisation inachevée – ne parle-t-on pas, d'ailleurs, d'acte II en attendant l'acte III ? – et une centralisation perpétuée, avec, notamment, l'extension du champ réglementaire et normatif.
S'interroger sur « pourquoi la réforme » permet certainement de s'acheminer vers une réponse.
Comment réformer ? Le dernier rapport peut-être le plus célèbre parmi beaucoup d'autres commis depuis plusieurs années – celui de M. Balladur et de son comité – a soulevé de très bonnes questions, notamment sur l'ensemble de notre gouvernance territoriale, dont il a rappelé la complexité. Ce rapport mentionne très utilement que nous sommes les seuls en Europe à compter, outre l'État, quatre niveaux qui exercent, de fait – et j'insiste sur ce mot – des responsabilités de collectivités territoriales et qui lèvent l'impôt. Pourquoi dis-je « de fait » ? Il y a, certes, les régions, les départements et les communes, mais qui pourrait nier qu'aujourd'hui les communautés, dans leurs diverses formes – communautés d'agglomération, communautés urbaines, communautés de communes –, exercent, de fait, de véritables responsabilités de collectivités territoriales ? Nous sommes, je le répète, les seuls à avoir cette configuration. Ainsi, les textes que nous propose le Gouvernement – et dont nous débattrons plus tard dans le détail – reposent, me semble-t-il, très utilement et fort justement sur deux couples, appellation que je préfère à celle de « blocs », car elle est plus tendre et sans doute plus conforme à l'ouverture que vous savez marquer dans ce débat. Le premier couple est celui de l'intercommunalité et de la commune et le second celui des régions et des départements.
Le texte relatif à la relation intercommunalité-communes, en permettant une intégration certainement beaucoup plus forte, mais surtout une coordination nettement meilleure grâce à l'intercommunalité, donc en facilitant la mutualisation des ressources, ouvre des perspectives fort intéressantes. Parmi les signes forts de l'intercommunalisation des politiques communales, je citerai notamment la future élection au suffrage universel direct fléché des conseillers communautaires dans les communes de plus de 500 habitants. Ce n'est pas un signe mince. Il est évident qu'en positionnant d'emblée, dans le débat communal et dans l'élection communale, l'élection parallèle et concomitante des délégués intercommunaux, le débat communal devra s'ouvrir, au sens moral du terme, aux questions intercommunales. De ce point de vue, que des élections communales donnent l'occasion de s'interroger également sur la dimension intercommunale des problèmes me semble être une excellente initiative.
S'agissant du chapitre sur le couple intercommunalité-communes, j'indiquerai également que la question des métropoles, envisagée notamment par le Sénat, me semble avoir été quelque peu édulcorée. La façon dont les métropoles ont été traitées à l'aune de cette première lecture me laisse, je l'avoue, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, dans une grande et profonde perplexité. Quel intérêt y aurait-il, en effet, à créer une nouvelle catégorie – qui ne serait finalement qu'une communauté urbaine légèrement améliorée ou, pis, édulcorée –, donc à ajouter une collectivité territoriale à un paysage dont tout le monde s'accorde à dire qu'il est déjà aujourd'hui beaucoup trop complexe ? Le sens de ces métropoles, leur portée et leur contenu me semblent devoir faire l'objet de futures réflexions et d'un débat certainement très ouvert.
L'achèvement de la carte intercommunale n'est pas non plus une mince question. On peut certainement aussi très utilement s'interroger de nouveau sur la date de 2014. Il est probable que, plus on repoussera la date de l'achèvement de cette carte, plus on retardera le début de la réflexion sur les élus. En tout état de cause, nous pourrions également en discuter. En revanche, et comme l'a recommandé le rapport Balladur, il me semble sage, compte tenu du paysage national dans lequel nous nous trouvons, que l'Ile-de-France fasse bien l'objet d'un traitement spécial. Je ne ferai aucun commentaire sur le Grand Paris, mais je rappelle que l'Ile-de-France, avec ses spécificités, est très complexe. De toute évidence, il convient de traiter le problème en tenant compte de sa particularité. Ce ne doit pas être, en tout état de cause, le parent pauvre du traitement national.
Concernant le couple région-départements, je m'interroge toujours sur le « comment ». La création du conseiller territorial est incontestablement une bonne idée. Je ne parle pas de l'illusion juridico-lyrique des compétences exclusives, mais du fonctionnement concret de nos deux assemblées, région et département. Le fait que des élus siègent dans deux assemblées peut nous laisser un espoir. Ainsi – et je le souhaite –, quant un conseiller territorial aura instruit un dossier dans une assemblée, il n'aura pas forcément envie, s'il veut éviter d'être redondant, de le présenter de nouveau dans la seconde assemblée.