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Intervention de Jean-Jacques Urvoas

Réunion du 11 février 2010 à 9h30
Projet de loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure — Article 4

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Jacques Urvoas :

Comme l'a très justement dit notre collègue, en matière de sites pédopornographiques, personne ne cherche d'excuses à qui que ce soit, personne ne cherche à légitimer quoi que ce soit : il faut naturellement trouver et punir les personnes qui font subir de telles agressions aux enfants. C'est là un principe de base qui ne mérite même pas débat.

Nos échanges sur l'article portent donc sur la manière de donner la plus grande efficacité possible au dispositif que nous inventons, afin qu'il produise les effets que nous en attendons.

Lors du débat que nous avons eu en commission avec le rapporteur et le ministre, on nous a expliqué qu'il était beaucoup plus utile de s'attaquer aux tuyaux plutôt qu'aux hébergeurs. Le moyen d'être efficace serait de bloquer l'accès au site, non de s'attaquer à l'édition du site.

Je voudrais donc vous interroger sur cet enjeu. Comme on me l'a expliqué en commission, l'une des caractéristiques de ces sites est leur vélocité, c'est-à-dire leur capacité à migrer d'un hébergeur à l'autre. Dès lors, il va de soi que, si l'on se contente de « blacklister », si je puis dire, une adresse, la personne qui a conçu ce site migrera chez un autre hébergeur dès qu'elle s'en sera aperçue. Dès lors, en quoi l'établissement d'une liste noire est-il efficace en termes de protection ?

En Allemagne, un groupe de citoyens a adressé aux hébergeurs un simple courrier leur signalant des sites pédopornographiques qu'ils hébergeaient. À la seule réception de la lettre de ce collectif, qui n'avait pas les moyens d'une institution ni la capacité d'action d'un office central tel que celui de la police ou celui de la gendarmerie, auxquels nous avons rendu visite avec le rapporteur, lesdits hébergeurs ont immédiatement réagi, en supprimant – et non en bloquant – les sites en question. En quoi un tel procédé serait-il moins efficace que l'établissement d'une liste secrète par l'autorité administrative ? Dans les pays où de telles listes ont été établies, leur caractère secret n'a d'ailleurs guère perduré, puisque leur contenu a très rapidement été divulgué. Surtout, la réalité des sites concernés n'entretenait qu'un rapport ténu avec leur contenu allégué. N'entrons cependant pas encore dans cette discussion et tenons-nous en pour l'instant à la question de principe : en quoi est-il plus efficace d'établir une liste noire que de s'attaquer directement aux hébergeurs ?

En outre, nous visons bien ici les internautes qui tombent par hasard sur de tels sites. La difficulté qu'il y aura à y accéder devrait les décourager. À la relecture des documents fournis, cette démarche me semble assimilable à la lutte contre les spams. Or, depuis qu'internet est né, personne n'a été capable de bloquer les spams, à moins que les pare-feu dont je dispose, par exemple les outils équipant la messagerie de l'Assemblée nationale, soient déficients. Nous recevons effectivement des spams à longueur de temps…

Je ne vois donc pas comment vous réussirez à bloquer l'accès à des sites qui fonctionnent justement par l'envoi de spams. Car ce n'est pas un individu qui appuie sur un bouton pour nous envoyer les spams, ce sont – chacun le sait – des moteurs qui le font. Il suffit, pour s'en rendre compte, de voir le nombre de pages consultées sur les blogs que, les uns et les autres, nous pouvons tenir. La part des visites résultant de procédés automatiques est bien plus conséquente que la part des visites volontaires.

Une autre question est celle des moyens mobilisés par l'État pour établir et mettre à jour la liste prévue. L'effectif des personnels affectés à l'office central de la police, sur lequel je vous interrogeais hier – mais j'aurais pu vous interroger également sur l'office central de la gendarmerie –, est évidemment sans commune mesure avec la tâche qui les attend. La liste noire étant, par définition, évolutive, il faudra la mettre à jour, s'assurer que les sites que nous voulons filtrer sont les sites effectivement alimentés, et corriger quotidiennement la liste. Les coûts évoqués dans le rapport sont totalement sous-estimés, comme le montre la comparaison avec les moyens déployés par l'Australie. Je ne vois donc pas comment cette tâche considérable pourrait être accomplie.

Enfin, il faut parfois avoir l'humilité de reconnaître que nous n'inventons rien : en Allemagne, c'est exactement le même débat qui a eu lieu au début de l'année. Une loi avait été adoptée pour lutter contre les sites pédopornographiques, le dispositif a été expérimenté et, le 8 février dernier, le gouvernement allemand a annoncé son abandon, en indiquant qu'il allait très rapidement proposer au Bundestag un moyen de suppression plutôt que de filtrage de ces sites.

Encore une fois, la position du groupe SRC est radicalement pragmatique. Nous cherchons l'efficacité. Par conséquent, si vous nous démontrez que le mécanisme que vous proposez est efficace, vous aurez notre soutien. Dans le cas contraire, c'est que le dispositif juridique sera dépassé par la technique – ce ne sera pas la première fois.

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