Monsieur le ministre, mon intervention concernera les amendements que j'ai déposés avec Pierre-Alain Muet et André Vallini sur la garde à vue. Vous m'objecterez sans doute que ce n'est pas le lieu d'en parler au motif qu'une réforme de la procédure pénale est prévue. À mon tour, je vous répondrai qu'il y a une certaine urgence à aborder la question, car d'autres événements, comme celui qui s'est produit hier à Paris, interviendront sans doute dans quelques jours. L'on voit bien que les incidents se multiplient et qu'ils choquent profondément l'opinion publique mais aussi nombre de responsables politiques et de parlementaires.
La garde à vue est, certes, une procédure judiciaire qui se déroule sous le contrôle du procureur, mais dans les faits nous savons que c'est la police qui en a la responsabilité principale. Il est donc assez paradoxal de parler du fonctionnement de la police et des moyens qui sont à sa disposition pour combattre la criminalité sans évoquer cette question.
Nous pourrions donc utilement en débattre et légiférer sur cette question, d'autant plus que de nombreuses propositions sont sur la table. Le rapport Léger, par exemple, suggère de limiter la garde à vue aux délits les plus importants et je présenterai un amendement dans ce sens. D'autres propositions ont été faites, notamment par les avocats, suite à certaines décisions de la Cour européenne de justice.
La garde à vue connaît une dérive extrêmement préoccupante. Le nombre de gardes à vue a littéralement explosé ces dernières années : il s'établit aujourd'hui à environ 600 000 et à 800 000, voire 900 000, si l'on ajoute les quelque 200 000 gardes à vue qui concernent les délits routiers et qui ne sont pas prises en compte, semble-t-il, dans la statistique actuelle. C'est considérable ! Nos concitoyens sont nombreux à se trouver confrontés à cette situation de manière souvent brutale – c'est un moment très difficile à vivre – et pour des délits souvent très mineurs, voire pour des infractions contraventionnelles. Nous assistons à une grande banalisation de la garde à vue, qui peut concerner beaucoup de Français.
Nous avons aussi le sentiment, monsieur le ministre, que cette procédure est utilisée d'une manière qui n'est pas conforme à l'esprit de la loi. La garde à vue devrait en effet être un moyen permettant à la police de mener ses investigations. Or, dans bien des cas, on a le sentiment qu'elle sert plutôt à impressionner, voire à intimider, que la police l'utilise comme une sorte de peine visant à ramener à la raison certaines personnes. Cela ne correspond absolument pas à l'objectif qui lui a été assigné par la loi.
Par ailleurs, certaines décisions de justice – je pense à celles de la Cour européenne des droits de l'homme – montrent que notre droit est très perfectible, s'agissant notamment de la présence de l'avocat, qui doit pouvoir assister réellement la personne mise en garde à vue, et pas uniquement de manière superficielle. Pour résoudre ces difficultés juridiques, nous vous présenterons des amendements et nous avons déposé une proposition de loi qui devrait être discutée au mois de mars dans notre niche parlementaire.
Nous avons donc l'intention de vous interpeller sur cette question, monsieur le ministre. Vous ne vous êtes d'ailleurs pas exprimé vous-même, alors que le Premier ministre et la ministre de la justice l'ont fait. Nous serions intéressés d'avoir votre point de vue. Je sais bien que le sujet relève principalement de la compétence du garde des sceaux, mais le ministre de l'intérieur a sans doute des choses à nous dire les instructions qu'il donne par circulaire aux forces de police. Il me semble fondamental d'avoir votre sentiment dans ce débat.