Monsieur le président, je commencerai mon propos par une sorte de rappel au règlement.
Monsieur le rapporteur, nous ne sommes pas le 9 février 2002, mais le 9 février 2010. Votre discours sur le soi-disant laxisme des socialistes et leur incapacité à s'occuper de l'importante question de la sécurité ne passe plus. Nous avons pu avoir des torts dans le passé. Nous avons essayé de les analyser et, je le dis à Thierry Mariani, il peut venir dans toutes les municipalités socialistes : nous y avons implanté sans aucun scrupule des caméras et nous travaillons quotidiennement avec les commissaires de police pour le bien de nos populations. Oui, nous travaillons avec les forces de police afin que les délinquants soient arrêtés, remis à la justice et lourdement sanctionnés. Nous n'avons plus aucun problème avec cela, à supposer que nous en ayons eu un, un jour ! Vous avez pu le faire croire aux Français, mais je tiens à vous rassurer : tel n'est plus le cas aujourd'hui.
En revanche, j'ai le sentiment que, de votre côté, vous commencez à avoir certains défauts que nous avions à l'époque : vous n'entendez pas ce que l'on vous dit. Monsieur le ministre, vous pouvez croire aux statistiques et être rassuré par les rapports de vos services, place Beauvau. Vous pouvez vous faire plaisir en disant que cela va mieux. Toutefois si vous allez sur le terrain et si, comme nous, vous rencontrez quotidiennement des Français, vous ne pouvez pas avoir ce sentiment. L'insécurité est en effet redevenue une préoccupation première pour nos concitoyens.
Tous les jours, nous sommes contactés dans nos permanences par des gens qui ont été agressés ou cambriolés. Oui, nous avons déjà connu cette situation en 2002. Les gens se plaignaient pour les mêmes raisons. Puis ils ont eu le sentiment que les choses s'amélioraient, car nous y avons travaillé collectivement, mais, depuis trois ou quatre ans, nous avons le sentiment que la situation s'aggrave à nouveau.
On nous avait tout promis : le karcher, la racaille qui allait disparaître, le bleu qui allait être à la mode sur nos territoires. Nous allions voir de l'uniforme partout ! Nous le souhaitions et nous étions contents d'accueillir des policiers. Comme l'a souligné Claude Bartolone, des commissariats ont été financés par les régions, notamment en Île-de-France où le conseil régional a assuré 90 % du financement des commissariats dans les zones urbaines sensibles. Certains de ces locaux sont aujourd'hui fermés, faute de policiers. Je vous invite ainsi à visiter la gare de Garches-Sarcelles, où un local de police financé par la SNCF et la région Île-de-France est fermé depuis deux ans, faute d'effectifs. C'est la réalité quotidienne de nos territoires. Vous nous aviez promis beaucoup, mais nous n'avons rien.
Je pourrais même vous expliquer, monsieur le ministre – en off –, comment font certains responsables de commissariats pour que leurs statistiques soient bonnes. Le ministre de l'intérieur de l'époque, Nicolas Sarkozy, avait dit qu'il convoquerait dans son bureau les cinq préfets et les cinq commissaires les plus mauvais, autrement dit ceux qui auraient les plus mauvaises statistiques. Certains commissaires étaient venus me voir en me disant de ne pas m'inquiéter, car ils feraient en sorte de ne pas aller place Beauvau. Aujourd'hui encore, comme il faut faire baisser les statistiques, certains commissariats de police ne prennent plus les plaintes. Ils incitent à faire des mains courantes, lesquelles ne sont pas prises en compte dans les statistiques.
C'est pourquoi, monsieur le ministre, je vous fais une proposition : changeons les statistiques en comptabilisant les mains courantes et essayons d'en faire l'analyse pour tenter d'avoir une vision plus précise de ce que vivent nos concitoyens. C'est aussi cela la réalité de la vie quotidienne des Français sur nos territoires.
Revenons au texte.
Je suis contrarié par tous les éléments que je viens d'indiquer, mais je suis, je l'avoue, quelque peu admiratif, car vous êtes en train de faire le hold-up de l'année. Vous avez vidé les caisses et vous ne pouvez plus assurer le fonctionnement normal des forces de la police nationale et de la gendarmerie. Vous allez supprimer en trois ans 9 000 fonctionnaires ou gendarmes et, comme il faut tout de même continuer à assurer la sécurité sur le territoire français, vous demandez aux mairies de payer l'installation de caméras. Votre texte précise même que les sociétés privées auront le droit d'installer des caméras pour filmer ce qui se passe sur la voie publique.
Autrement dit, n'importe qui, une société ou un bailleur, pourra installer une caméra en toute tranquillité et surveiller ce qui se passe sur la voie publique. C'est un dispositif extrêmement nouveau, qui peut être considéré comme dangereux. Cela est peut-être nécessaire pour lutter contre l'insécurité, mais j'espère que vous accepterez au moins, lors de notre débat, que ce soit le maire qui coordonne l'ensemble des caméras sur le territoire communal, que la lecture des images filmées soit placée sous la responsabilité du maire et que seul un officier de police judiciaire puisse saisir ces images.
Tous les commissaires souhaitent disposer de caméras et veulent, en cas de besoin, pouvoir récupérer, auprès des maires ou des sociétés privées qui auront payé ces caméras, les images filmées par les mairies. Les municipalités et les sociétés privées installent des caméras, mais ce sont les forces de police nationale qui récupèrent et utilisent les images payées par le contribuable. C'est un aveu d'échec de la police nationale qui reconnaît ne pas pouvoir payer les caméras. Elle demande donc aux élus locaux de le faire, alors que c'est elle qui utilisera les images filmées.
Après un tel constat, on peut se demander si tous les Français seront traités de la même façon sur l'ensemble du territoire national. En effet, les communes riches vont pouvoir installer, comme elles le font déjà, des caméras partout, permettant d'assurer une plus grande sécurité de nos concitoyens. Dans les territoires pauvres en revanche, les habitants, du fait du manque de moyens, n'auront pas le même droit à la sécurité. Où est l'égalité du citoyen devant la loi et devant la sécurité ? Ce sera la richesse de la collectivité qui déterminera le nombre de caméras et le nombre de sociétés implantées sur le territoire communal. Vous allez, monsieur le ministre, créer des citoyens de seconde zone.
On peut tout à fait imaginer que le niveau de financement de la vidéosurveillance ne soit pas le même suivant les communes. Est-il normal que l'État finance la vidéosurveillance de la même façon dans les communes très riches et dans les communes très pauvres ? Dès lors que vous décidez de faire payer la vidéosurveillance par les collectivités locales, monsieur le ministre, nous devons y réfléchir ensemble.
Un autre point me gêne dans votre texte, qui vise à ce que le chef de la police municipale devienne adjoint de police judiciaire : vous le placez sous l'autorité d'un OPJ dans un commissariat, donc sous l'autorité du procureur. Cela signifie que, demain, les polices municipales seront sous les ordres de la police nationale, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Dans ce cas, disons-le haut et fort : l'État n'a plus les moyens d'assurer le fonctionnement normal de la police nationale. Par conséquent, on municipalise la police et on demande aux collectivités de mettre à disposition des policiers municipaux.
Voilà ce qui se cache derrière ce texte ! Cela peut choquer certains, d'autres peuvent estimer que c'est tout à fait normal, mais au moins, ayons ce débat car aujourd'hui – je le dis avec solennité – c'est peut-être la fin de la police nationale, si chère au coeur des Français puisqu'elle leur assure d'être traités de la même façon sur l'ensemble du territoire national, d'où qu'ils viennent et quels qu'ils soient. Voilà ce qui est en jeu dans ce texte et nous devons en débattre tous ensemble. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)
Quelle est votre vision de la police nationale, monsieur le ministre ? Comment va-t-elle se développer sur le territoire national ? Quel rôle doit jouer le maire ?
Depuis de nombreuses années, le maire a été placé, quelle que soit la majorité, au coeur d'un dispositif de sécurité sur un territoire communal, dans le cadre du conseil local de prévention de la délinquance. Nous avions inventé collectivement la coproduction de sécurité. Sur le territoire d'une commune, en effet, si le commissaire ne parle pas au maire, les choses ne peuvent pas se passer normalement. C'est ensemble qu'ils peuvent faire reculer l'insécurité sur un territoire communal. Or dans votre texte, le maire n'est plus associé au dispositif ; on lui demandera seulement de payer les caméras et c'est le préfet qui décidera du couvre-feu pour les mineurs de moins de treize ans. Le maire ne pourra pas non plus contrôler les caméras implantées par des sociétés privées. Peu à peu, on le dépossède d'un rôle important, même s'il s'agit de coproduction, car il n'est pas question pour le maire de se substituer au commissaire. Ils assurent ensemble la sécurité sur le territoire communal.
Ce qui me gêne le plus dans ce projet, c'est l'amendement que vous avez retiré en commission, mais que vous avez l'intention, si j'ai bien compris, de déposer à nouveau en séance et selon lequel le préfet pourra décider de l'implantation de caméras dans une commune et envoyer la facture au maire. Où est la libre administration des collectivités locales ?