Or il me semble essentiel que nos concitoyens puissent disposer d'une visibilité concernant le format des forces de sécurité pour les années à venir.
Il ne s'agit pas, de ma part, de demander des créations de postes qui seraient incompatibles avec notre situation budgétaire. Néanmoins ce projet de loi ne pourrait-il pas, ne devrait-il pas garantir une stabilisation des effectifs des forces de sécurité ? Dans la mesure où les missions que doivent assumer policiers et gendarmes se multiplient et se diversifient, il me semble que, comme l'ont souligné plusieurs de mes collègues en commission, la règle du non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant en retraite ne devrait pas leur être appliquée mécaniquement. Une telle décision aurait le mérite de rappeler que la sécurité est bien un droit inaliénable et que, de ce fait, sa protection ne peut être traitée par le biais d'une règle qui a ses mérites, mais ne peut pas être appliquée de manière indifférenciée.
Les forces de l'ordre sont garantes de la sécurité et de la liberté de nos concitoyens. Dans notre pays, elles sont organisées selon un schéma dualiste qui a prouvé toute son efficacité et une heureuse complémentarité. L'existence des deux corps reste, aujourd'hui comme hier, parfaitement justifiée par la pluralité des missions et la complémentarité des compétences. Elle permet une saine émulation entre policiers et gendarmes et constitue une garantie démocratique.
Il est certain que toutes les économies d'échelle doivent être recherchées. Le rattachement de la gendarmerie au ministère de l'intérieur, auquel je n'étais personnellement pas favorable, a été décidé principalement dans cette perspective. Il faudra prendre garde que, à la faveur de ce transfert, le concept original, que de nombreux pays nous envient, de force de police à statut militaire, ne soit progressivement altéré.
Je suis inquiet lorsque j'entends certains responsables de syndicats de policiers prétendre que « rapprochement » et « complémentarité » sont synonymes de fusion. Il faudra veiller avec beaucoup d'attention, monsieur le ministre, à ce que l'objectif de mutualisation ne se transforme pas, par glissements successifs, en processus de fusion. Si la gendarmerie venait à perdre sa culture et ses valeurs propres, si les préoccupations corporatistes venaient à prévaloir sur le sens du service public et le devoir de loyauté, nous aurions tout à y perdre.
Il est indispensable que, par-delà le socle commun qui réunit police et gendarmerie – leur mission de sécurité intérieure –, nous gardions deux institutions distinctes dans leur organisation et leur fonctionnement. L'uniformisation des formations, des organisations, des statuts, des missions et la suppression de la formation militaire de base des gendarmes produiraient en effet un nivellement dont il n'est pas sûr que la sécurité des Français serait bénéficiaire.
Je suis particulièrement attaché, comme beaucoup de nos collègues, au modèle de proximité de la gendarmerie, avec son statut militaire, parce que j'ai constaté sur le terrain sa remarquable efficacité. Il faut absolument que nous conservions, en particulier dans nos départements ruraux, cette culture de proximité avec le territoire et la population que la gendarmerie a élaborée et tissée à travers les siècles.
En effet, c'est une composante de notre identité nationale, dont nous venons de débattre. Elle constitue un instrument irremplaçable de sécurisation de nos concitoyens, aujourd'hui comme hier, car la délinquance est de plus en plus mobile et choisit souvent de se développer en milieu rural pour échapper aux zones urbaines, davantage quadrillées. L'importance des prises de drogue effectuées récemment dans les zones rurales l'atteste par exemple.
Nous devons donc faire attention de ne pas dépouiller inconsidérément nos brigades opérant en zones rurales : la sécurité des Français, qu'ils soient ruraux ou urbains, n'aurait rien à y gagner.