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Intervention de Marietta Karamanli

Réunion du 9 février 2010 à 21h30
Projet de loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarietta Karamanli :

Le blocage administratif ne peut être que subsidiaire et intervenir une fois que les responsables de ces images ont été repérés et poursuivis et que l'ensemble des prestataires de services a été mis en demeure sans délai, mais de façon proportionnelle au regard de leurs responsabilités respectives, de faire cesser les faits délictueux ou criminels.

La technologie ne doit pas servir seulement à « effacer » de l'accès public des images à réprimer, elle doit être le support d'une lutte sans merci contre les trafiquants et exploitants sexuels. Selon certaines expériences, le blocage ne peut constituer à lui seul le vecteur de cette lutte, car il contient en lui-même un risque de « surblocage » – des sites n'ayant rien à voir avec ces diffusions pouvant être bloqués par erreur – ou de « sous-blocage » – le ou les sites visés échappant au blocage en recourant à divers expédients tels les sites miroirs, les changements d'adresse IP plus fréquents que la mise à jour de la liste noire, le contournement dit fastflux, une technique utilisée pour dissimuler des sites de phishing ou disséminateurs de malwares, ou des réseaux anonymisants de type TOR. Le dispositif gouvernemental apparaît donc inadapté et malheureusement inefficace.

Ma troisième observation porte sur l'absence de revue d'efficacité de la vidéoprotection.

Les articles 17 et 18 visent à aménager le régime juridique de la vidéoprotection, appelée naguère vidéosurveillance. Selon le projet, il s'agit de favoriser la réalisation du plan de triplement des caméras installées sur le territoire. Au Royaume-Uni, qui en compte plus que dans tout autre pays européen – 500 000 à Londres contre 300 000 en France –, Scotland Yard a conclu à leur globale inefficacité dans un rapport publié en 2008. Plusieurs études ont montré que, dans certaines zones, une même personne pouvait être filmée trois cents fois en une seule journée !

Fixer un objectif quantitatif sans réflexion préalable sur la nature des images, leur possible utilisation devant la justice, les aléas, notamment en termes de reconnaissance fine des personnes qui y apparaissent, en déléguer la possible utilisation à des personnes privées, c'est risquer de franchir le pas entre une surveillance de dissuasion et une paranoïa inutile. Je pèse mes mots : cette expression est celle utilisée par les nombreux opposants, y compris les conservateurs anglais, pour qualifier le système dans lequel la Grande-Bretagne s'est engagée sans résultats probants sur la criminalité, et dans lequel vous nous proposez de la suivre, monsieur le ministre. La Chambre des Lords elle-même a estimé qu'un tel système est de nature à miner les libertés fondamentales.

À tout le moins, votre projet aurait dû s'accompagner d'une obligation pour l'État de rendre compte d'un suivi et d'une évaluation réguliers devant le Parlement, afin d'estimer l'efficacité de cette généralisation, ses résultats dans la résolution des affaires pénales et la prévention des infractions, son coût et, in fine, l'estimation de l'équilibre entre ses possibles avantages et ses coûts et les risques qu'elle comporte pour les libertés publiques et individuelles. Or rien n'est prévu ! En un mot, votre projet apparaît trop mal conçu pour être vraiment utile.

Ma quatrième observation est relative à l'urgence à tester des scanners dans les aéroports et l'absence de garanties données aux passagers.

Le projet tel qu'amendé va autoriser, à titre expérimental, le déploiement de scanners corporels dans les aéroports ; cette technique sera proposée comme une alternative aux passagers qui refuseront des palpations plus poussées et devrait ainsi avoir pour effet de les inciter à l'accepter.

Je rappelle tout d'abord que le Parlement européen a souhaité une étude d'impact d'ensemble, de façon à ce que l'Union européenne adopte une position commune favorable à la sécurité et à l'efficacité des mesures à prendre ; que la commission des affaires européennes de notre assemblée a exprimé sa volonté que le déploiement de tels dispositifs soit étroitement lié à la question de l'échange de données entre compagnies aériennes et États, question à traiter également au niveau de l'Union.

Dans l'hypothèse où une telle autorisation serait donnée – ce qui reviendrait à rendre légale une technique qui ne l'est pas à l'heure actuelle –, je souhaite vivement que la période d'expérimentation soit limitée strictement ; qu'il soit précisé que l'enregistrement des données est interdit ; que la consultation des clichés soit rendue impossible pour n'importe quel tiers hors l'agent autorisé.

Pour terminer, monsieur le ministre, vous nous direz certainement que votre projet n'a rien d'attentatoire aux libertés et doit permettre à chacun de vivre libre et sans crimes. Nous vous rappellerons que toute atteinte aux libertés ne peut se justifier que si elle est proportionnée à l'objectif de sécurité qu'elle poursuit, uniquement à la condition que cet objectif soit clairement défini et que cette atteinte permette de lutter efficacement contre le crime et la délinquance, et pas seulement contre la peur qu'ils suscitent. À cet égard, votre loi n'apparaît ni bien conçue ni efficace. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

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