Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Jean-Louis Borloo

Réunion du 27 janvier 2010 à 11h30
Commission des affaires économiques

Jean-Louis Borloo, ministre d'état, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat :

Ma lecture de la conférence de Copenhague est, quitte à être politiquement incorrect, très différente de celle qui a été communément admise.

Avant Copenhague, nous étions dans un système – celui du protocole de Kyoto – dans lequel l'Europe pour l'essentiel, aux côtés du Japon et du Canada, s'engageait à réduire les émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2012. Même si le protocole a été une grande avancée en étant une première mise en mouvement du monde en la matière, seule l'Europe, qui représente 17 % des émissions de gaz à effet de serre, était donc réellement engagée. Pour autant, les engagements n'ont été honorés que grâce à la modification du mix énergétique et industriel des anciens pays de l'Est – si l'Allemagne respecte le protocole de Kyoto c'est grâce à l'ex-Allemagne de l'Est. Finalement, dans les pays industrialisés, il n'y avait guère que la France et la Grande-Bretagne qui honoraient le traité, alors que le Danemark et l'Espagne enregistraient respectivement une dérive de 22 % et de 56 % par rapport aux objectifs de ce dernier.

Ce qui était en débat à Copenhague, c'était donc le régime post 2012, l'objectif étant non pas que l'Europe fasse plus – non seulement elle avait annoncé qu'elle ferait plus, mais elle avait déjà adopté en interne des systèmes contraignants pour réduire les émissions de gaz à effet de serre de 20 % d'ici à 2020 par rapport à 1990 et de 30 % en cas d'accord international –, mais que s'engagent dans la même voie les pays émettant les 83 autres pour cent de gaz à effet de serre.

S'agissant d'enjeux industriels et sociaux majeurs, un tel engagement ne pouvait être pris qu'au niveau des chefs d'État et de Gouvernement, contrairement aux procédures onusiennes habituelles. Tout le monde savait donc qu'il serait difficile de renouveler ce qui avait été une performance « invraisemblable » à vingt-sept, à savoir l'accord européen sur le paquet énergie-climat du mois de décembre 2008, lors de la présidence française, alors même qu'il concernait des pays qui avaient l'habitude de travailler ensemble et qui avaient déjà concédé des abandons de souveraineté – c'est ainsi que s'est construite l'Europe de la paix. En effet, de tels accords contraignants à la mode européenne n'ont pas de sens dans le reste du monde. L'enjeu de Copenhague était pourtant bien d'accrocher à un mouvement mondial de lutte contre le réchauffement climatique les très puissants pays émergents – Chine, Inde, Brésil, Afrique du Sud, Corée du Sud et un certain nombre de pays d'Amérique centrale et latine – ainsi que les États-Unis afin que soient pris en compte non plus 17 %, mais 95 voire 100 % des émissions de gaz à effet de serre.

De ce point de vue, la conférence de Copenhague a été un succès majeur, sous réserve bien sûr que d'ici au 31 janvier le reste du monde adresse à l'ONU ses engagements de réduction d'émission de gaz à effet de serre et les modalités pour y parvenir.

Par ailleurs rien dans le protocole de Kyoto ne permettait d'instituer une solidarité internationale. Or, à Copenhague, a été décidé le début d'un processus d'adaptation et d'atténuation en faveur des pays les plus vulnérables. C'est ainsi qu'un plan justice-climat – ou Fonds vert – a été doté de 10 milliards de dollars par an pour la période 2010-2012, l'objectif étant d'atteindre 100 milliards par an à l'horizon 2020. Un tel engagement constitue une avancée formidable. On ne peut en effet imaginer de lutter contre la déforestation qui représente 20 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, sans un financement international en faveur des États sur le territoire desquels se trouvent les forêts, qu'il s'agisse de l'Indonésie, des pays du bassin du Congo ou de l'Amazonie.

En tant qu'accord politique, Copenhague représente donc bien à la fois l'implication de tous les pays du monde et la mise en place d'un financement international. Évidemment, on ne pouvait pas, avec des procédures onusiennes inadaptées, rédiger en une journée, de manière parfaite, un accord définitif entre 130 chefs d'État et de gouvernement – dont je rappelle qu'ils n'étaient pas convoqués mais qu'ils sont venus volontairement. Tout l'enjeu de l'année qui vient de s'écouler a donc été de passer de l'engagement politique extrêmement fort des chefs d'État à quelque chose d'organisé et de structuré.

S'agissant de l'évaluation de Copenhague, je suis très frappé que les pays occidentaux aient voulu imposer leur culture « notariale », c'est-à-dire faire signer un contrat comprenant dates et sanctions. C'était une folie culturelle qui ne pouvait conduire qu'à des incompréhensions majeures. Comment voulez-vous que la grande démocratie qu'est l'Inde, qui compte 1,2 milliard d'habitants dont 450 millions vivent largement sous le seuil de pauvreté, qui émet 1,2 tonne de CO2 par habitant et par an et qui est soumise plus que nos pays au dérèglement climatique, appose sa signature sur un document qui, au fond, imposerait au peuple indien, en raison de nos propres émissions de gaz à effet de serre, des choix pouvant entraver la sortie de la pauvreté ?

En revanche, que l'Inde – car les Indiens savent pertinemment que leur modèle de développement ne peut être fondé sur les mêmes réalités énergétiques ou industrielles que les nôtres – présente, comme il y a trois mois, un plan en neuf points de modification profonde de son développement et que ce plan soit transformé en normes internationales comparables, est une démarche qui traduit exactement ce dont nous avons besoin, à savoir une mise en mouvement du monde, dans laquelle tous les pays prendront le même chemin que nous.

La perception que nous avons donnée de Copenhague, souvent de bonne foi d'ailleurs, est très dangereuse parce qu'elle fait le lit de l'« à-quoi-bonisme ».

Parler d'abord d'échec en rejetant la faute sur les Chinois, les Indiens ou les Brésiliens, c'est laisser accroire que nous, Européens, sommes isolés, que ce que nous faisons n'est pas de notre intérêt – alors qu'abaisser de 20 ou 30 % nos émissions de gaz à effet de serre ne constitue pas un fardeau, mais prépare au contraire notre propre compétitivité –, et que nous prenons des mesures contraignantes négatives pour notre développement qui, de surcroît, ne servent à rien faute d'être suivies ailleurs. De la sorte, non seulement on ne comprend pas le reste du monde, mais on laisse se diffuser cet « à-quoi-bonisme » au sein des peuples, en donnant le sentiment que les autres n'ont cure du problème. On est ainsi perdant-perdant sur tous les tableaux, qu'il s'agisse des mesures à prendre pour continuer à améliorer le processus comme de la mobilisation des Européens.

Bien sûr, le résultat auquel on a abouti est imparfait. Mais de là à regretter qu'aucun chiffre ne figure dans l'accord, c'est oublier, d'une part, que des engagements ont été pris par des dirigeants qui, je le répète, étaient là de façon volontaire, d'autre part que les engagements de l'ensemble des grandes nations du monde seront concrétisés par écrit d'ici au 31 janvier.

Il a en outre été fait état d'un document à vingt-huit seulement. Tel n'est pas tout à fait le cas. Devant l'impossibilité des négociateurs de parvenir à un accord dans les conditions habituelles – on ne pouvait tenir une réunion avec 130 chefs d'État et de gouvernement –, la présidence danoise de la Conférence des parties (COP) a demandé à chaque grand bloc d'être représenté. Ainsi, l'Europe l'a été par la Suède, l'Allemagne, le Royaume-Uni et la France ; l'Afrique par le Premier ministre éthiopien, par le chef de la délégation algérienne et par le président d'Afrique du Sud ; l'Alliance des petits États insulaires (AOSIS) par son secrétariat permanent, assuré par le Guyana, et par le président des Maldives. Ce n'est donc que le 31 janvier que nous saurons si cet accord à vingt-huit « pour le compte de » est bien repris par les différents mandants.

Pour avoir rencontré leurs représentants la semaine dernière dans le cadre de la préparation de la réunion de New Delhi, j'ai eu la confirmation que la Chine, l'Inde, le Brésil et l'Afrique du Sud notifieront leurs engagements ainsi que leur plan de réduction d'émission de gaz à effet de serre. Une réunion à Addis-Abeba ce week-end doit conduire les cinquante-quatre pays africains à suivre le même processus. Et pour avoir rencontré à Abu-Dhabi à la fois les présidents des Maldives et du Guyana et le Premier ministre de Tuvalu, je ne doute pas que les pays membres de l'AOSIS adresseront chacun individuellement à l'ONU une confirmation officielle et précise de leurs engagements. L'on n'est donc pas dans un processus à 28 mais à 115 ou 120 pays, c'est-à-dire l'essentiel des émetteurs de gaz à effet de serre et des bénéficiaires d'aides. Et la Chine, l'Inde, le Brésil et l'Afrique du Sud ont également confirmé leur soutien au plan justice-climat.

Sur les dix premiers milliards de dollars affectés chaque année aux pays en développement, quatre doivent être consacrés à la protection des forêts. Dans ce cadre, la France a proposé de réunir à Paris, au cours de la première quinzaine de février, les quatre grands bassins forestiers du monde : Amazonie, Congo, Indonésie et Sibérie.

Si j'ai fait part de ma conviction quant au résultat de la conférence de Copenhague, il n'en demeure pas moins que rien n'a encore été fait car les mécanismes prévus sont compliqués à mettre en place. Certes, une telle métamorphose du monde ne se fait pas en une réunion, les enjeux sont trop considérables. Ce dont je suis convaincu, c'est que nous sommes parvenus à une étape de mutation fondamentale et que les objectifs définis par la France ont été atteints, à savoir que, rien ne pouvant se faire sans les chefs d'État et de gouvernement, il fallait dépasser le niveau des négociateurs de l'ONU, réunir 100 % des émetteurs de gaz à effet de serre, et mettre en oeuvre un système de solidarité internationale.

Notre seule déception tient à l'attitude des États-Unis qui, en dépit de la présence de leur président, sont restés sur leurs engagements précédents, encore que j'ai cru comprendre qu'ils pourraient accentuer fortement leur effort pour la période 2020-2030. Mais, même si un pays est en retard – il n'y a pas de système parfait –, l'essentiel est le saut considérable accompli entre l'avant Copenhague et la période d'aujourd'hui, celle de l'avant Cancun.

Faut-il solidifier le G28 informel issu de la réunion restreinte de 28 chefs d'État et de gouvernement à Copenhague, afin de disposer d'un groupe avancé pour préparer Cancun ? Ce serait selon moi une bonne idée, à condition que l'on ne donne pas le sentiment d'exclure les autres. J'en discuterai avec les Chinois lundi matin à Pékin, et avec les principaux pays leaders en la matière à New Delhi à la fin de la semaine prochaine.

Il nous faut enregistrer quelques vraies victoires pour les pays les plus vulnérables, notamment dans les domaines des énergies renouvelables et de la forêt. À cet égard, le processus onusien classique est-il parfaitement adapté ? S'il faut travailler par consensus, comment le définir et doit-on, à défaut, passer à un vote ? Je finis par me demander si la logique d'imposition à des tiers est raisonnable eu égard au principe de souveraineté.

Il n'en reste pas moins que l'on a assisté, d'un côté à une très grande incompréhension de l'Europe, et de l'Occident d'une manière générale, vis-à-vis du reste du monde en voulant projeter ses propres modèles – alors que l'abandon de souveraineté, en particulier, est un concept qui, je le répète, n'est pas partagé par le reste du monde –, d'un autre côté, à un moment exceptionnel de mobilisation. Tel est mon sentiment général, sachant bien entendu qu'il faut continuer à travailler afin de donner du souffle à un processus qui doit également donner envie.

Je conclurai par deux observations. La première pour me féliciter que, selon un sondage international, les Français soient les mieux informés dans le monde des enjeux du sommet de Copenhague, 70 % de nos concitoyens se déclarant impliqués.

La seconde pour faire part du malaise de nos interlocuteurs quant à notre lecture de l'accord. Qu'il s'agisse de la Première ministre du Bengladesh, du Premier ministre indien, des présidents africains ou encore du président des Maldives, nul n'a compris nos réactions. Ils se demandent même si, au fond, nous ne sommes pas des tricheurs : parler d'échec, n'est-ce pas pour rester à 20 % de réduction des émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2020 – alors que les pays en développement, conformément à la feuille de route de Bali, sont dans la ligne des 25 % à 40 % –, voire pour éviter de devoir verser les 10 milliards d'aide annuelle ? Ce malaise n'est pas encore dissipé.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion