Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, l'initiative qui nous est proposée est parfaitement justifiée. À l'évidence, notre assemblée doit prendre en compte la préoccupante multiplication des recours en justice engagés contre des personnes amenées à témoigner devant des commissions d'enquête parlementaires. Comment ne pas constater que ces actions en diffamation émanent souvent de mouvements détenant un savoir-faire éprouvé en matière de manipulation des foules, dont l'objectif est de décrédibiliser les individus ou de déstabiliser les organisations qui se sont donné pour objectif de dénoncer leurs agissements ?
L'arrêt rendu par la Cour de cassation le 23 novembre 2004 soulignant que le droit commun de la diffamation s'appliquait à tout individu auditionné par une commission d'enquête parlementaire, il était légitime de réfléchir à partir de son contenu. Cet arrêt revient en effet à permettre à tout groupement mal intentionné d'exercer d'inadmissibles pressions sur un témoin pour affaiblir son témoignage, voire le condamner au silence. Si cette logique d'intimidation atteignait son objectif, c'est le pouvoir de contrôle du Parlement lui-même, fondement de notre République, qui s'en trouverait altéré. Il est donc tout à l'honneur de notre assemblée de tenter, par cette proposition de loi, de remédier à ces graves dysfonctionnements qui, s'ils se multipliaient, ne manqueraient pas de porter gravement atteinte à nos institutions démocratiques.
Nous avons, sur la nature du mal et sur sa gravité, des avis convergents. En revanche, après réflexion, il nous apparaît que la thérapeutique préconisée par le texte tient du remède de cheval qui, au lieu de revigorer le patient, risque de l'abattre plus encore. Dans le souci légitime de mettre fin à des travers assurément répréhensibles, la proposition de loi emprunte des chemins tortueux dont le juge constitutionnel, s'il était saisi – ce que nous ne ferons pas, pour notre part –, pourrait considérer qu'ils posent des difficultés sur le plan du droit.
Pour tout dire, je ne trouve pas la proposition aussi équilibrée que notre rapporteur a bien voulu la présenter. D'abord, elle vise à étendre par une loi ordinaire aux témoins des commissions d'enquête un principe de valeur constitutionnelle, qui, depuis 1789, n'a jamais été remis en cause, écorné tout au plus. Loin de nous l'idée, dans un réflexe corporatiste, d'en réclamer la jouissance exclusive : l'immunité parlementaire n'est pas un privilège, mais un moyen de placer le pouvoir législatif à l'abri des atteintes de l'exécutif. Le législateur s'est déjà aventuré sur ce terrain et mal lui en a pris. Le Conseil constitutionnel, dans une décision du 7 novembre 1989, a en effet considéré que la mission confiée par le Gouvernement à un parlementaire ne pouvait exonérer celui-ci de façon absolue de toute responsabilité pénale et civile, les actes en question étant distincts de ceux accomplis dans l'exercice de ses fonctions. Un parlementaire en mission n'est pas couvert par l'immunité parlementaire.