Dans un tel contexte, et face à l'absence de protection, la parole risque de ne plus être libre, et c'est alors la pertinence du dispositif qui est remise en cause.
La position des témoins s'est trouvée fragilisée au travers des évolutions successives du dispositif, mais aussi en raison des attentes sociales et de la technique.
Comme l'a indiqué tout à l'heure notre rapporteur, c'est principalement la conjonction du caractère obligatoire du témoignage et de la publicité des débats qui expose les témoins à des répercussions judiciaires.
Cependant, tant que le secret des débats était la règle et la publicité l'exception – et je parle ici du secret des débats effectif, mais je vais y revenir –, cette obligation de témoigner n'appelait pas de protection particulière. Or, depuis la loi du 20 juillet 1991, la publicité est devenue la règle. Ainsi, au fil des années, on est passé des comptes rendus et des rapports à une diffusion la plus large possible, sous les effets conjugués de la demande croissante de transparence vis-à-vis de nos concitoyens, souvent exprimée ce matin, et de l'évolution des moyens techniques.
Dans un tel contexte, il apparaît nécessaire d'assurer la sécurité juridique des témoins au regard des obligations que l'on fait peser sur eux, notamment de les prémunir des actions en justice au titre de la diffamation, de l'injure et de l'outrage.
Au-delà de cette exigence morale envers les témoins, c'est l'efficacité même de la commission d'enquête qui peut être remise en cause par un usage abusif des procédures de justice.
Alors que l'on peut imaginer que les évolutions institutionnelles actuellement envisagées conduisent les commissions d'enquête à se saisir de faits faisant l'objet de procédures judiciaires, il est inconcevable que les témoins ne puissent pas bénéficier de la même protection que celle octroyée par les tribunaux.
Si la nécessité d'instaurer une protection s'impose de manière indiscutable, il convient néanmoins de proposer une solution équilibrée, qui respecte les droits des tiers. C'est ce à quoi s'attache la présente proposition de loi de Bernard Accoyer.
On pourrait imaginer l'extension aux témoins de l'immunité dont bénéficient les parlementaires en raison de leur participation à des travaux de nature parlementaire. Cette solution, retenue notamment au Royaume-Uni, n'est pas conforme à notre tradition juridique, qui donne à l'immunité dont bénéficient les parlementaires un caractère exceptionnel – ce terme n'est d'ailleurs peut-être pas très bien choisi – qui ne doit comporter aucune extension. De même, la notion de travaux parlementaires ne peut être extensive.
Au demeurant, je me permettrai, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, de regretter, comme l'a fait tout à l'heure Jean-Pierre Brard, la protection toute relative que représente, pour le parlementaire l'immunité dite « dans l'exercice de ses fonctions », si j'en juge par les difficultés rencontrées par un certain nombre d'entre nous, confrontés au harcèlement judiciaire de mouvements sectaires.
Une autre possibilité aurait été d'instaurer à nouveau le secret et l'anonymat par le huis clos et la publication des témoignages sous X. On voit bien que cette solution, évoquée à plusieurs reprises, et encore ce matin par notre collègue Hunault, n'est pas satisfaisante, dans la mesure où la publicité des auditions participe du retentissement des travaux et permet l'appropriation du débat par nos compatriotes.
Des événements passés nous ont montré la grande relativité de l'efficacité du huis clos. Lorsque notre excellent rapporteur dit que « le filtre du huis clos devenait de plus en plus mince », c'est un euphémisme. Notre assemblée, mes chers collègues, a connu, ici même, en 1995, les limites du huis clos.
À l'époque, en qualité de président de la commission d'enquête sur les sectes, j'ai été confronté à la relativité de ce fameux secret des débats : avant même la fin des auditions, qui se déroulaient à huis clos, il a été porté à ma connaissance que la liste des personnes auditionnées, l'ordre des auditions et le contenu de celles-ci avaient été débattus à l'occasion d'un colloque d'organisations à caractère sectaire. Cette découverte a provoqué une émotion légitime et le dépôt d'une plainte par le président de l'Assemblée nationale. Toutefois, cette plainte n'a malheureusement pas permis d'établir les conditions ni les auteurs des fuites. Elle a surtout démontré la totale inefficacité du recours au secret des débats face à la dérive totalitaire de certains mouvements sectaires. Une ancienne adepte venue témoigner devant la commission d'enquête s'était d'ailleurs retrouvée entraînée dans une procédure judiciaire.
Le présent texte a donc fait le choix d'une solution médiane qui permet de concilier efficacité et publicité des débats : une immunité partielle de nature législative, similaire à celle octroyée aux témoins judiciaires par l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Cette immunité est partielle dans la mesure où elle préserve les droits des tiers. Son champ d'application est restreint à la diffamation, l'injure ou l'outrage, mais, tout ne pouvant être dit devant une commission d'enquête, les propos mensongers et subordonnés demeurent sanctionnables par la loi. De plus, cette immunité, qui s'applique également aux publications parlementaires et à leurs auteurs, est circonscrite par la bonne foi qui repose, selon la jurisprudence, sur quatre critères cumulatifs : l'objectivité, la prudence, l'absence d'animosité personnelle et la légitimité du but. Un amendement adopté en commission a apporté un encadrement supplémentaire à cette immunité en excluant de son champ de protection les propos qui n'ont pas de lien avec l'objet de l'enquête et les faits examinés par la commission. J'y souscris tout en espérant qu'il ne donnera pas lieu à des interprétations allant dans un sens que nous ne souhaiterions pas.
L'auteur de la présente proposition de loi, notre président Bernard Accoyer, doit être remercié, car il a trouvé une réponse équilibrée qui, tout en sécurisant les témoins, n'omet pas de poser les garde-fous nécessaires pour préserver les droits des tiers. Les missions du Parlement s'en trouveront confortées. C'est la raison pour laquelle, au nom du groupe UMP, je vous invite à adopter ce texte. (Applaudissements.)