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Intervention de Jean-Luc Warsmann

Réunion du 3 avril 2008 à 9h30
Fonctionnement des assemblées parlementaires — Discussion d'une proposition de loi

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Luc Warsmann, président et, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement, mes chers collègues, le président de notre assemblée nous propose ce matin de travailler sur le fonctionnement des commissions d'enquête avec beaucoup de raison, tout d'abord parce que celles-ci sont évidemment aux avant-postes de la revalorisation du Parlement : ces dernières années, elles ont été un des vecteurs privilégiés de la fonction de contrôle – il me suffit de rappeler l'affaire d'Outreau –, une fonction qui prend une part de plus en plus grande dans notre travail et doit participer au rééquilibrage du rôle du Parlement voulu par le Président de la République.

Le mode de travail dans les commissions d'enquête a été l'objet de nombreuses expérimentations puis d'évolutions : je pense à l'initiative, prise par notre ancien président, Jean-Louis Debré, de partager les responsabilités entre la majorité et l'opposition, – à l'une la présidence, à l'autre le poste de rapporteur – ; à l'évolution sensible en matière de publicité des auditions ; à l'élargissement du champ d'intervention du Parlement – libération des infirmières bulgares ou domaine judiciaire. Bref, les domaines d'intervention se sont multipliés et diversifiés.

Dans cette évolution les témoins que nous entendons sont placés dans une position de visibilité sans cesse accrue. Il se pose dès lors plusieurs questions relatives à leur obligation de témoigner, à la publicité donnée à ces auditions et à la responsabilité qui en découle. C'est donc dans un contexte en pleine évolution que le président de notre assemblée nous propose de légiférer.

Le constat est clair : le besoin de protection des témoins entendus par les commissions d'enquête se fait de plus en plus pressant. Depuis un siècle un équilibre s'est progressivement construit visant à la mise en place d'un dispositif complet pour contraindre les témoins à prêter leur concours aux commissions. Leur devoir est désormais clairement établi : obligation de comparaître avec, si nécessaire, recours au procureur, à la gendarmerie ou à la police, prestation de serment et levée du secret professionnel, le tout étant assorti de l'épée de Damoclès que constitue l'éventualité de fortes sanctions : amendes allant de 7 500 euros pour un refus de déposer à 100 000 euros pour un témoignage mensonger aggravé et peines d'emprisonnement – maximum de deux ans pour refus de comparaître et de sept ans pour témoignage mensonger aggravé avec privation éventuelle des droits civiques. Le moins qu'on puisse dire est que le dispositif est complet et dissuasif.

En contrepartie se pose le problème de la protection relative à offrir au témoin : en effet, alors que la contrainte qui pèse sur celui-ci – participer à la manifestation de la vérité devant la commission d'enquête – pouvait auparavant s'exercer sans conséquence dommageable pour lui dans le cadre de débats se déroulant le plus souvent à huis clos, la situation a évolué en raison du caractère désormais public des comptes rendus et des auditions.

À l'origine de cette évolution, qui a duré une vingtaine d'années, la loi de juillet 1991, qui a posé en principe que la publicité est la règle et le huis clos l'exception. À son tour, un arrêt de la Cour de cassation de 2004 a soumis sans ambiguïté toute personne appelée à témoigner devant une commission d'enquête au droit commun de la diffamation, écartant toute assimilation du témoignage apporté devant une commission d'enquête avec celui effectué devant un tribunal, qui lui est protégé des actions en diffamation. À ce nouveau contexte juridique s'est ajouté un nouveau contexte technique : retransmissions fréquentes et souvent en direct des auditions sur la Chaîne Parlementaire, reprises par d'autres médias, ou mise en ligne sur Internet des comptes rendus. Il convient enfin de ne pas oublier un nouveau contexte social : la société a en effet un appétit renforcé pour une meilleure transparence et un nombre toujours plus élevé d'images, obtenues autant que possible en temps réel.

Ces évolutions ont eu des conséquences pour les témoins, qui sont menacés de plaintes en diffamation, ce qui risque de les dissuader d'apporter, au travers de leur témoignage, leur pierre au travail des commissions parlementaires. N'oublions pas en effet que, dans le cadre d'une société de plus en plus médiatisée, la simple annonce d'une plainte pour diffamation suffit à assurer à son auteur une importante publicité. Dans une telle situation, les témoins peuvent être, plus que jamais, tiraillés entre l'obligation de se présenter devant la commission d'enquête pour témoigner et les risques contentieux que leurs propos, tenus en toute bonne foi, pourraient leur faire courir. Cette évolution – est-il besoin de le souligner ? – n'est pas favorable au travail des commissions d'enquête, qui ont évidemment besoin de ces témoignages du fait qu'ils sont le plus souvent une source essentielle de données.

La proposition de loi, visant à apporter une réponse au besoin de protection des témoins, va donc dans le bon sens, mais à la condition qu'elle permette de trouver un équilibre, tout d'abord entre l'obtention par la commission d'informations sensibles – la commission a donc besoin que les personnes auditionnées coopèrent – et la publicité la plus large possible des débats, ensuite entre l'obligation de comparaître et la protection, qui seule permet de s'exprimer librement, enfin entre la liberté d'expression garantie par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme ou l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, la protection de la réputation ou des droits d'autrui – article 10 de la Déclaration –, le droit au recours effectif – article 16 de la Déclaration et article 13 de la Convention européenne – et l'exercice par le Parlement de sa mission de contrôle.

La réponse qui nous est proposée est celle de la création d'une immunité relative qui, à la fois, protège les propos des témoins, ce qui permet de veiller à la liberté d'expression, et protège ces mêmes témoins contre les actions en diffamation, pour outrage ou injure, avec l'objectif de libérer leur parole et donc de faciliter la manifestation de la vérité. C'est un modèle apparenté à la protection des témoins judiciaires, avec toutefois une différence majeure : lors des commissions d'enquête les médias sont présents et retransmettent le plus souvent en direct, ce qui n'est pas le cas dans les tribunaux. Une telle immunité permettra également de protéger les comptes rendus faits de bonne foi des propos tenus par les témoins, ce qui sera valable pour les comptes rendus publiés en annexe des rapports des commissions d'enquête comme pour la diffusion télévisée ou la reprise dans les différents médias.

Toutefois cette immunité ne doit en aucun cas être absolue du fait que le témoin ne doit pas pouvoir dire n'importe quoi et qu'il nous faut préserver les droits des tiers. Seront donc exclues du champ de la protection les fautes disciplinaires et les infractions graves visées à l'article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse – provocation à commettre des atteintes volontaires à la vie, à commettre des agressions sexuelles, des vols ou des actes terroristes, appel à la haine raciste, apologie des crimes, des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité. De plus, la commission des lois a limité la portée du texte en adoptant un amendement visant à exclure du champ de cette immunité relative les propos étrangers à l'objet de l'enquête.

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