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Intervention de Pierre Lequiller

Réunion du 28 janvier 2010 à 15h00
Débat sur la mobilité des patients

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre Lequiller, président de la commission des affaires européennes :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, c'est l'application pratique de trois des quatre libertés fondamentales sur lesquelles a été construit l'édifice du traité de Rome qui est en jeu dans la mobilité des patients, c'est-à-dire les soins transfrontaliers : la libre prestation de services, la libre circulation des personnes, la libre circulation des biens. C'est donc un sujet plus vaste que l'appellation, courante mais réductrice, de « tourisme médical » ne le laisse supposer.

Il s'agit de répondre à la question suivante : où est-il légitime de se faire soigner ? Dans son pays ou dans l'un des autres États membres, selon son libre choix ? Cela fait débat.

Certes, la philosophie et les objectifs profonds de la construction européenne conduisent à permettre au patient de choisir librement ses prestataires de santé au sein du marché intérieur. Néanmoins, l'application pure et simple de ce principe n'est, en pratique, pas envisageable.

La dépense de santé n'est pas une dépense banale. Dans tous les pays européens, elle est prise en charge par les régimes de sécurité sociale, avec, par conséquent, un financement public ou, pour le moins, mutualisé. Il y a donc des équilibres financiers et des équilibres de solidarité à maîtriser et à préserver le mieux possible. En découle l'impératif d'une gestion rationnelle de l'offre de soins, notamment d'une planification des équipements les plus lourds, les équipements hospitaliers.

Ce financement collectif de la dépense de santé est un élément essentiel du modèle social européen. Aucun principe ne saurait le mettre en péril.

Historiquement, la question de la prise en charge des soins reçus par le patient hors de son État d'affiliation s'est posée très tôt. Dès la CECA, il a fallu prévoir la continuité des droits des salariés du charbon et de l'acier se déplaçant d'un pays à l'autre pour des motifs professionnels. Elle a été ultérieurement abordée par les textes européens de manière prudente et méthodique. Tout d'abord, les solutions ont été dégagées pour les salariés, centrées sur une logique professionnelle et fondées sur le principe de libre circulation des travailleurs. Ensuite, de manière progressive, il y a eu à la fois prise en compte des déplacements privés et extension à l'ensemble des catégories d'assurés sociaux.

Sur le fond, la solution dégagée par le règlement de coordination des régimes de sécurité sociale est très rationnelle. Elle repose sur la distinction fondamentale entre les soins inopinés, ceux qu'exige une dégradation imprévue de l'état de santé du patient lors d'un séjour à l'étranger, et les soins programmables. Les premiers sont systématiquement pris en charge ; les seconds ne le sont que sur autorisation préalable.

Cette solution avait a priori vocation à durer, d'autant que le règlement de coordination des régimes de sécurité sociale ne peut être modifié qu'à l'unanimité du Conseil et que le traité de Lisbonne n'a pas apporté de changement en la matière.

Tel n'a cependant pas été le cas. En 1998, dans les arrêts Kohll et Decker, le premier portant sur la lunetterie, le second sur les soins dentaires, la Cour de justice des communautés européennes a estimé que les patients ressortissants des États membres pouvaient faire valoir des droits qui leur sont directement reconnus par le traité de Rome. Elle a donc jugé qu'ils pouvaient, même sans autorisation préalable, obtenir remboursement de certaines dépenses de santé engagées à l'étranger, soit au titre de la libre circulation des biens, soit au titre de la libre prestation de services. La Cour a ultérieurement distingué, d'une part, les soins ambulatoires et les médicaments, dont le remboursement est de droit, sans autorisation préalable, et, d'autre part, les soins hospitaliers, dont le remboursement pouvait légitimement être soumis par les États membres à une telle autorisation.

Sur cette base, de nombreux contentieux ont été portés devant la Cour de Justice. Plusieurs arrêts ont été défavorables aux États membres. Il est significatif que les plus emblématiques d'entre eux concernent le National Health Service britannique, avec ses files d'attente, et le Luxembourg, entouré de grands pays disposant par définition d'une offre de soins plus large.

Même pour les tenants les plus enthousiastes du marché intérieur, la jurisprudence de la Cour n'a pas eu que des avantages. La Cour n'a pas invalidé les dispositions concernées du règlement de coordination des régimes de sécurité sociale, que les États membres ont souhaité conserver telles quelles lors de sa révision ; elle a développé, à côté et en parallèle, d'autres règles. Il en résulte une situation complexe avec deux corps de règles applicables : d'une part, le règlement de coordination et ses règlements d'application ; d'autre part, la jurisprudence. Ces règles sont partiellement contradictoires, notamment sur les montants remboursés.

Un nouveau texte est donc nécessaire pour codifier la jurisprudence, clarifier les choses et, au-delà, jeter les bases d'une coopération entre les États membres en matière de soins transfrontaliers. Tel est l'objet de la proposition de directive dont notre Assemblée est saisie.

C'est dans un esprit constructif, pour faire avancer l'Europe de la santé d'une manière adaptée, que la commission des affaires européennes et la commission des affaires sociales ont demandé plusieurs améliorations au texte proposé. Ce sont, madame la ministre, celles figurant dans la résolution sur l'application des droits des patients en matière de soins transfrontaliers qui vous a été transmise.

Pour l'essentiel, elles se déclinent selon quatre orientations : une meilleure information des patients, notamment sur le droit applicable en cas de litige – celui du pays de soins et non celui de leur pays de résidence – et sur les frais restant à leur charge ; une plus grande autonomie des États membres, notamment pour être en mesure de contrôler tant les flux sortants que les flux entrants de patients nécessitant des soins hospitaliers ou spécialisés ; une prise en compte des attentes des Européens avec des initiatives pour déboucher à terme sur l'intégration des progrès de la télémédecine, sur un règlement facilité des litiges transfrontaliers et sur une carte européenne d'assurance maladie médicalisée permettant le transfert de données personnelles en toute sécurité ; une plus grande sécurité juridique, notamment avec un texte qui évite de prendre ses distances avec la jurisprudence de la Cour et ainsi de rendre la situation encore plus complexe qu'elle n'est en créant une « troisième voie ». La commission souhaite que l'ensemble des dispositions traitant des soins transfrontaliers soient, à terme, réintégrées dans un seul corps de règles, celui du règlement de coordination des régimes de sécurité sociale.

Depuis cette prise de position, les travaux ont avancé. Le Parlement européen s'est prononcé en avril 2009, et son rapporteur, M. John Bowis, a été remplacé par Mme Françoise Grossetête.

Sous présidence suédoise, deux propositions de compromis ont été faites. Aucune n'a cependant abouti, notamment la dernière, que la France, dans un esprit de conciliation, était pourtant prête à soutenir.

Sur le fond, il y a deux principaux sujets de blocage au sein du Conseil. Le premier d'entre eux, qui concerne d'ailleurs – mais pas seulement – l'Espagne, laquelle assure la présidence du Conseil, est la différenciation selon le statut – public, privé conventionné, privé non conventionné – de l'établissement prestataire. Certains États membres conservent, pour le dire de manière schématique, la vieille distinction suivant laquelle le public et le privé conventionné sont gratuits, et le privé non conventionné payant. Ils souhaitent une exclusion de ce dernier du champ de la directive. Cette démarche est juridiquement délicate, car elle peut être considérée comme créant une discrimination.

L'État membre d'affiliation des retraités fait également débat. Les États d'accueil, notamment l'Espagne, souhaitent une dérogation au règlement de coordination des régimes de sécurité sociale. Une telle mesure n'apparaît pas nécessairement justifiée.

En outre, deux autres questions sont apparues depuis la proposition initiale et l'examen de celle-ci par notre Parlement. D'une part, certains de nos partenaires, dont l'Allemagne, souhaitent fortement exclure les soins de longue durée, c'est-à-dire les soins de la dépendance ; ceux-ci sont pourtant inclus dans la coordination réglementaire. D'autre part, les dispositifs de collecte et d'allocation d'organes seraient également exclus et continueraient à relever du droit national ou d'une directive spécifique. Une telle exclusion est nécessaire pour la gestion des transplantations d'organes, qui relève de dispositifs nationaux coûteux, dans un contexte général de pénurie, d'autant que l'on peut prévoir en la matière des coopérations entre États sans pour autant créer, pour les patients, de droits à la mobilité transfrontalière.

Une telle situation soulève quatre questions. Tout d'abord, les aménagements demandés par l'Assemblée ont-ils pu être pris en compte et, si ce n'est pas le cas, pour quelles raisons ? Ensuite, quel est le point de vue du Gouvernement sur les sujets de blocage que je viens d'évoquer ? En outre, quelle base d'accord avec le Parlement européen le Gouvernement voit-il ? Enfin, compte tenu de ces difficultés, quel calendrier envisagez-vous, madame la ministre ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

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