…et abandonné plusieurs heures, là où une commission d'enquête parlementaire aurait pu jouer un rôle positif pour examiner les défaillances de la chaîne de commandement dans la gestion des manifestations, lors de ce somment à Strasbourg, on réduit le débat public au port des cagoules à quelques dizaines de manifestants. Gageons que si cette loi passe, les conditions de son application seront problématiques. Il suffira au quidam interpellé d'enlever et de jeter sa cagoule, après avoir commis ses actes délictueux, pour se retrouver dédouané.
L'affaire de Strasbourg permettait, à peu de frais, de procéder à un nouvel amalgame entre bandes à caractère politique, bandes à caractère criminel et bandes de jeunes des cités. Tous devenaient des cagoulés, un peu à la manière des neuf de Tarnac, hâtivement assimilés à des terroristes. Les mêmes experts étaient convoqués pour commenter le phénomène, tel M. Alain Bauer qui avait découvert les « saboteurs » de la SNCF en rachetant à la FNAC des exemplaires de L'Insurrection qui vient, qu'il s'est empressé de transmettre à la hiérarchie duministère de l'intérieur. La boucle du scénario de la loi de circonstance est donc bouclée : dans un premier temps sont mis en exergue des faits divers survenus dans l'éducation dont les syndicats enseignants disent eux-mêmes qu'ils ne sont pas l'expression d'une violence plus importante que celle constatée depuis des années ; dans un deuxième temps, on s'appuie sur des images de manifestation que l'on a provoquées en refusant aux autorités locales de Strasbourg la protection des quartiers ; dans un troisième temps, les plus hautes autorités de l'État proposent un agenda politique et législatif en mettant à contribution l'administration du ministère de l'intérieur qui fait sortir dans la presse proche du Président un rapport démontrant l'opportunité de la proposition de loi !
Plus préoccupant encore au regard de la situation sociale de la France, cette initiative du chef de l'État stigmatise, une fois de plus, les quartiers populaires par l'importation totalement fictive et décalée de la notion de « gang à l'américaine ».
Voici comment M. Estrosi, le rapporteur de l'époque, avait qualifié cette proposition de loi devant la commission des lois : « Il faut toujours avoir une guerre d'avance. » Diantre ! la France était en guerre contre une partie de sa population. Mais quand la guerre a-t-elle été déclarée ? Je pensais que depuis la révision de la Constitution, en juillet dernier, tout engagement de la France dans une guerre devait faire l'objet d'un débat préalable ! En fait, M. Estrosi n'a fait que répéter ce que M. Sarkozy pratique depuis 2002, une guerre d'avance dans les banlieues, une guerre non pas contre les inégalités, le chômage et la misère, mais une guerre contre un ennemi dont on ne veut pas dire le nom. Il a renoncé à la première, puisque le fameux plan Marshall des banlieues, dont Mme Fadela Amara devait porter le projet, n'est toujours qu'un mirage. Comme l'on se refuse à investir dans ces quartiers que l'on stigmatise en les laissant à l'abandon, il est plus facile d'adopter le ton martial du va-t-en-guerre.
Essayons de voir si cette stratégie de guerre de basse intensité a un fondement ou si elle repose sur une thèse fausse mais qui fonctionne bien dans les médias car elle rassure l'opinion. Cette thèse, c'est celle du « noyau dur » qui veut voir dans la violence urbaine de groupe le fait de quelques meneurs, la quasi-totalité des jeunes des cités se comportant normalement – faut-il le rappeler ?
Si l'on comprend bien, on supprimerait le problème posé par la violence urbaine en éliminant des regroupements de trente à cinquante adolescents formés autour d'une demi-douzaine, voire d'une quinzaine de meneurs. Ce discours policier repris par l'État est dangereux et inefficace.
Lors des émeutes de 2005, alors que l'on a procédé à 4 402 gardes à vue et à 763 mises en détention, les fameuses bandes n'ont pas été décapitées pour la bonne raison que les meneurs n'existaient pas et qu'ils étaient en tout cas inconnus des tribunaux. La plupart étaient des jeunes ordinaires, âgés de seize à dix-sept ans, souvent français. La plupart étaient inscrits dans des stages de formation. Les bandes structurées autour du business de la drogue sont, elles, de véritables petites entreprises qui ne veulent pas voir des bagarres dégénérant en émeutes nuire à leurs grands et petits profits. Comme le notait un rapport de la Direction des renseignements généraux, les islamistes sont eux aussi étrangers aux émeutes de 2005 de peur d'être amalgamés à des fauteurs de troubles. Il faut donc comprendre avant d'agir, comprendre et lutter contre la désespérance. La bande est le produit de la dislocation…