Il est d'ailleurs très intéressant, au moment où nous discutons de cette loi d'affichage et de circonstance, de regarder l'article du Monde de cet après-midi consacré à la grogne des parlementaires qui ne sont pas simplement ceux de l'opposition, mais aussi ceux de la majorité. J'en veux pour preuve la phrase de votre collègue de l'UMP M. Lionnel Luca : « On a une impression de bricolage afin de satisfaire l'ogre médiatique. Comme si la politique avait pour fonction de mettre le café du commerce en ordre juridique. » Et cette phrase de M. Jean Arthuis, président de la commission des finances du Sénat : « Certains textes qui nous arrivent ne sont en réalité que des véhicules de communication, parce qu'il y a eu une annonce. Sans se préoccuper de la faisabilité de cette annonce, on prend le risque d'afficher l'impuissance politique. Alors, pour ne pas afficher l'impuissance, on dresse un écran de fumée. À force, on finit de constater que ce ne sont pas vraiment des réformes, seulement l'apparence de réformes. L'important, c'était de pouvoir cocher une case. » Ce n'est pas un député ou un sénateur de l'opposition qui prononce ce commentaire sur notre inflation législative, mais l'un de vos amis politiques. Cela devrait vous faire réfléchir !
Ces lois ne sont d'ailleurs pas appliquées, tout le monde le sait. Nous avons déjà examiné plusieurs lois, socialistes ou sarkozystes, concernant l'occupation des halls d'immeubles. Chacun sait ici que la situation est toujours la même. Et que dire des lois sur les chiens méchants, les tests ADN sur les immigrés ou le contrôle d'Internet ?
En vérité, lorsque l'on veut coller à l'émotion et répondre à l'actualité, on s'épuise et on se ridiculise. Nous discutons aujourd'hui, entre autres, de cagoules alors que dans le même temps, une commission parlementaire a mobilisé des heures et des heures pour discuter de l'interdiction de la burqa. Peut-être aurait-il fallu se dispenser de ce tintamarre médiatique et débattre d'une seule loi sur les conséquences des modes vestimentaires dans les zones périphériques de nos métropoles…
Cette obsession de traquer les pratiques déviantes nous interpelle, alors que dans le même temps vous n'agissez pas contre les violences faites aux femmes qui, se traduisent par une centaine de meurtres par an commis par des hommes qui, eux, le plus souvent, ne portent pas de cagoules, mais sont souvent mariés et bien intégrés socialement. Et tous ces bons Français que vous avez tenté de faire revenir en leur offrant un bouclier fiscal sur mesure et qui sont de véritables délinquants en col blanc ne sont pas davantage concernés par cet activisme sécuritaire qui ne sert à rien sur le terrain mais qui, à chaque veille d'élection, n'adresse qu'un seul message subliminal : dormez bien, bonnes gens, la police veille !
Nous sommes, à gauche, tout autant que vous pour la tranquillité publique ; mais nous n'oublions pas que si la sûreté était inscrite dans la Constitution de 1791, il s'agissait alors de protéger les individus contre l'arbitraire du pouvoir.
Cette loi ne répond qu'à une politique de circonstance, électoraliste, et je le démontrerai en décryptant le scénario de la production de cette loi, en contestant sa logique fondée sur une méconnaissance entretenue du phénomène des bandes et en décryptant enfin les incohérences judiciaires qui feront de cette loi une nouvelle loi anticasseurs, aggravant in fine la situation au lieu de contribuer à la tranquillité publique.
L'exemple de la loi sur les bandes et les cagoules dont il est question aujourd'hui est l'archétype de la loi de circonstance. Il est intéressant d'en comprendre l'origine. Elle repose sur des faits divers de nature différente qui ont été amalgamés de manière caricaturale : l'intrusion d'une bande armée, le 10 mars dernier, dans un lycée de Gagny, puis l'agression d'une enseignante au couteau dans un collège de Fenouillet ou l'agression d'une jeune CPE dans un collège de Chanteloup-les-Vignes ont porté l'attention des médias et de l'opinion sur les bandes de jeunes et sur la violence scolaire. Le mercredi 18 mars 2009, le Président de la République annonçait à Gagny seize mesures policières et judiciaires pour combattre le « phénomène des bandes violentes ». On a ainsi appris que, dorénavant, l'appartenance à une bande, en connaissance de cause, ayant des visées agressives sur les biens ou les personnes serait punie d'une peine de trois ans d'emprisonnement…
Fidèle à sa caricature, le Président de la République n'hésitait donc pas utiliser le dernier fait divers pour créer un « délit préventif », ignorant délibérément les dispositifs légaux en vigueur.
Peu importe, en effet, que la répression d'infractions commises par plusieurs personnes ou que les intrusions dans des établissements scolaires soient déjà amplement prévues par le code pénal. Il s'agit – si l'on en croit le discours du Président de la République – de juger et de punir en l'absence de « commission d'un fait précis ».
Cette innovation juridique, fondée sur de simples intuitions policières, va bien au-delà de la célèbre loi « anti-casseurs », laquelle se contentait – malgré son inspiration liberticide – de poursuivre les « instigateurs et les organisateurs » de faits commis. Quitte à remettre en cause le principe essentiel de la séparation des pouvoirs, le Président de la République en profitait pour prédire que les coupables de l'intrusion au sein du lycée Jean-Baptiste Clément de Gagny seraient « sévèrement condamnés » – manière de rappeler aux juges, s'il en était encore besoin, qu'ils ne sont qu'aux ordres du pouvoir exécutif. Nous avions déjà apprécié Mme Dati pour sa vision très particulière de l'indépendance de la justice : voilà maintenant que le Président juge les suspects avant même le procès. On comprend mieux dans ces conditions la suppression des juges d'instruction. Ils ne servent à rien dans l'esprit du populisme pénal en vogue à l'Élysée. Dans cette même optique de frénésie sécuritaire, le ministre de l'éducation nationale, M. Darcos, en pleine campagne pour les élections européennes, n'avait-il pas multiplié les annonces spectacles comme l'installation de portiques, la mise en place de la vidéo-surveillance, la fouille des élèves par les personnels, la création d'une force mobile d'agents auprès des recteurs. Il voulait sans doute remplacer par ces mesures « à l'américaine » les 20 000 postes de surveillants supprimés dans les écoles depuis 2003, les dizaines de milliers d'enseignants, de personnels de santé, d'éducation, comme les RASED, ou de services sociaux qu'il avait tout simplement éliminés ces dernières années.