Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, non, cette proposition de loi ne réparera pas les vies brisées par l'inceste.
Non, elle n'effacera pas l'indicible souffrance des enfants victimes, martyrisés dans le cercle familial.
Non, elle n'empêchera pas que ces crimes odieux se reproduisent.
Mais elle rendra aux victimes leur dignité par la reconnaissance, à travers la sanction pénale imposée à leurs agresseurs, de l'extrême gravité des faits qu'elles ont subis. En cela, elle répond à l'attente des associations de victimes, que je salue pour leur engagement, leur courage et leur détermination.
Nous devons cette proposition de loi à notre collègue Marie-Louise Fort, à son travail, issu de la mission que lui a confiée Jean-François Copé, à son écoute, à sa sensibilité, et aussi à son obstination.
Le volet prévention de ce texte est important, mais la détection et le suivi de l'inceste le sont également. C'est pourquoi, le 27 avril dernier, lors de la première lecture, j'avais eu la satisfaction de voir voter un amendement que j'avais présenté. Il visait à introduire dans les études de médecine la formation des étudiants à la détection et à la prise en charge des abus sexuels, dont en priorité l'inceste, mais aussi de toutes les maltraitances infligées à des enfants.
J'ai été au regret de constater que nos collègues sénateurs ont retiré cette disposition du texte que nous allons voter aujourd'hui. Si le débat sur cette question se traduit néanmoins par l'inscription de l'objectif dans les textes régissant les études de médecine, sans que nous ayons besoin de passer par la voie législative, je m'en réjouirai. Mais ce qui est certain, c'est que j'y serai attentive !
J'avais également défendu un amendement, rejeté à l'Assemblée nationale avant qu'une proposition similaire, défendue courageusement par mon collègue sénateur Alain Milon, soit repoussée elle aussi par le Sénat, relatif à la protection des médecins qui signalent des abus sexuels. Ce n'est pas la première fois que j'interviens sur le sujet. Aussi longtemps que je siègerai dans cet hémicycle et tant que le problème ne sera pas résolu, je continuerai à redire la même chose !
Je déplore profondément le rejet de cet amendement. Combien de temps encore notre pays devra-t-il attendre que les médecins qui signalent un inceste soient protégés, conformément aux recommandations du Conseil de l'Europe, qui sont claires à ce sujet ? Ces recommandations encouragent les États membres à prendre les mesures législatives nécessaires pour lever les obstacles qui empêchent les médecins de signaler, donc pour rendre effective l'obligation de signalement.
Je fais ici référence à l'article 12 sur le signalement de la convention de Lanzarote, signée par les ministres de la justice le 25 octobre 2007 ; au chapitre 5-1 des lignes directrices du Conseil de l'Europe sur la protection des enfants contre la violence, portées par la plate-forme du Conseil de l'Europe sur les droits de l'enfant, lancée les 2 et 3 juin 2009 à Strasbourg au sein du programme intitulé Construire l'Europe pour et avec les enfants ; enfin, à l'alinéa 6-4 des recommandations du 18 novembre 2009 du comité des ministres du Conseil de l'Europe.
La solution passe par l'utilisation de la voie législative : elle consiste à protéger les médecins qui signalent, et donc à les inciter à signaler ; elle consiste à lever tous les obstacles qui s'opposent au signalement.
Or, à ce jour, et malgré l'interdiction des sanctions disciplinaires – j'avais moi-même fait voter cet amendement à l'article 226-14 du code pénal, dans la loi du 2 janvier 2004 relative à l'accueil et à la protection de l'enfance –, force est de constater que les poursuites contre les médecins qui signalent ne sont plus disciplinaires, mais civiles ou pénales, si bien que bon nombre de médecins concernés préfèrent se taire ! Si les chiffres que l'on me donne sont exacts, 5 % seulement des signalements proviendraient des médecins.
C'est pourtant au médecin que l'enfant victime peut se confier. C'est le médecin qui détecte l'inceste, qui détecte le viol, qui détecte la maltraitance.
De plus, il faut savoir que lorsque des professionnels sont poursuivis, les procédures à leur encontre sont utilisées, ensuite, contre les enfants qu'ils ont voulu protéger. Cela se retourne donc doublement contre l'enfant !
Au vu des cas qui existent, au vu des cas que je connais, il n'est pas possible d'affirmer, comme cela a été dit lors des débats au Sénat, que la loi est aujourd'hui suffisamment précise pour protéger les médecins qui signalent de bonne foi. Il n'est pas plus possible d'affirmer que cela serait contraire à l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, ainsi que l'attestent les recommandations européennes que je viens de citer.
Madame la rapporteure, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, cette proposition de loi marque une avancée significative, dont je me réjouis. Mais le combat pour la protection de l'enfance continue, madame Pau-Langevin ; nous ne résoudrons pas tout par cette proposition de loi. Aussi longtemps que l'on abusera d'un enfant dans le cercle familial ou à l'extérieur, aussi longtemps qu'un enfant sera martyrisé, quelles que soient les maltraitances qui lui sont infligées, le combat pour la protection des enfants victimes continuera.
Pour autant, la polémique n'a pas sa place ici, car il y va de ce qu'il y a de plus abominable pour un enfant sans défense : la transformation du parent qui, de protecteur, devient prédateur ; il y va de ce qu'il y a de plus irréversible : la vie brisée d'un enfant ; il y va de ce qu'il y a de plus terrible : la souffrance d'un enfant victime ; il y va de l'atteinte à ce qu'il y a de plus irréparable : l'innocence volée d'un enfant. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)