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Intervention de Régis Juanico

Réunion du 21 janvier 2010 à 15h00
Protection des missions d'intérêt général imparties aux services sociaux — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRégis Juanico :

Madame la secrétaire d'État, vous venez de dire que notre proposition de loi était sans objet, inutile, contre-productive et approximative. Rien que cela ! Vous comprendrez que le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche, qui défend cette proposition de loi, et son rapporteur, Jean-Patrick Gille, ne partagent pas ce point de vue quelque peu lapidaire. Nombre des députés présents ce soir et qui, à gauche comme à droite, travaillent sur ce dossier depuis des mois, sont loin de partager vos certitudes. Nous avons donc souhaité avoir ce débat-là où il doit avoir lieu, dans l'enceinte de l'Assemblée nationale, dans la transparence, au vu de tous.

L'enjeu de la proposition de loi est clair : c'est la préservation de la spécificité de notre modèle social et de nos services publics locaux.

Les services sociaux d'intérêt général sont au coeur de notre modèle social et du modèle social européen. Les services sociaux d'intérêt général, ce sont les services d'intérêt général qui contribuent à la cohésion sociale dans nos territoires. Il s'agit des services à la personne – petite enfance, personnes âgées –, des services sanitaires, sociaux, de la formation, mais aussi du secteur associatif, soit 1,2 million d'associations, 15 millions de bénévoles et 2 millions de salariés, dans le domaine du sport ou de la culture, par exemple, sans oublier le mouvement d'éducation populaire.

Les services sociaux d'intérêt général jouent un rôle fondamental de protection de la population, en particulier des personnes les plus modestes, dans un contexte de crise économique et sociale sans précédent. Ils sont bien souvent, pour nos concitoyens, le dernier rempart contre l'exclusion, la grande précarité et la pauvreté.

Les services sociaux d'intérêt général sont au coeur de notre économie : ils représentent plus de 10 % des emplois en France, mais aussi en Europe, avec notamment le secteur très dynamique de l'économie sociale et solidaire.

Enfin, les services sociaux d'intérêt général jouent un rôle d'animation primordial dans nos territoires : je pense aux centres sociaux ou aux structures socio-éducatives dans nos quartiers populaires. Toutes les collectivités locales, soit nos 36 000 communes et 60 000 opérateurs locaux, sont directement concernées.

Voulons-nous que ces services sociaux d'intérêt général soient considérés comme des activités marchandes comme les autres, soumises, au plan européen, aux règles de la concurrence et du marché intérieur, au risque de les fragiliser, voire de menacer leur existence ? Ou bien décidons-nous, en tant que législateurs, dans le cadre de la transposition de la directive services, de leur apporter un maximum de sécurité juridique et financière ?

Tel est l'enjeu politique majeur de cette proposition de loi, durablement inscrit dans l'agenda politique national et européen, comme l'a rappelé tout à l'heure Jean-Patrick Gille. La question posée par cette proposition est de savoir si nous voulons, oui ou non, consolider notre modèle français de services publics sociaux.

Que pouvons-nous faire ?

L'idéal, nous le reconnaissons tous, aurait été de disposer d'un cadre de sécurisation juridique sur le plan européen. Mais nous savons que, à ce stade, les conditions d'adoption d'une directive cadre sur les services sociaux d'intérêt général ne sont pas réunies.

L'enjeu de cette proposition de loi est de remettre le Parlement, c'est-à-dire la représentation nationale, au coeur du processus de transposition de la directive services. Le Parlement ne peut être dessaisi de cette question. Nous souhaitons jouer pleinement notre rôle de législateur et exercer nos fonctions de contrôle.

Il ne s'agit pas, comme nous l'avons entendu sur les bancs de l'UMP, de réécrire la directive services, mais de la transposer en droit interne, en respectant l'esprit et la lettre du compromis politique intervenu en décembre 2006, entre le Parlement européen et la Commission européenne.

La directive elle-même prévoit une large latitude pour les États membres dans le processus de transposition, afin d'apprécier, en fonction du contexte national, ce qui relève ou non de la catégorie des services sociaux.

Le traité de Lisbonne, entré en vigueur en décembre 2009, renforce cette latitude en accordant, dans son article 14, une place plus importante aux Parlements nationaux pour « établir les principes et fixer les conditions garantissant le bon accomplissement des missions de services publics dans l'Union Européenne ».

La directive européenne, comme le traité de Lisbonne, fournit expressément un certain nombre de garanties et de dispositions protectrices dont il revient à chaque État membre de se prévaloir.

Le calendrier était connu de tous : la directive devait être transposée avant le 28 décembre 2009. Dès octobre 2008, un rapport de la mission d'information parlementaire, présidée par Pierre Morange, sur le financement et la gouvernance des associations, formulait un certain nombre de propositions pour sécuriser les associations qui exercent des missions d'intérêt général et demander leur exclusion du champ d'application de la directive services.

La circulaire publiée hier répond en partie aux besoins du secteur. Cependant, elle est loin de tout régler : les coordinations associatives continuent de revendiquer la préservation d'un secteur non lucratif. Le refus d'exclure un certain nombre d'acteurs associatifs du champ de la directive apparaît comme une occasion manquée.

Le rapport demandait aussi au Gouvernement de profiter de la présidence française de l'Union européenne pour agir avec force. Nous avons laissé passer la présidence française de l'Union européenne, qui aurait pu être un moment fort pour inscrire à l'agenda politique des institutions européennes la question des services sociaux d'intérêt général. Aucun résultat !

Par la suite, le groupe SRC n'a cessé de vous interpeller sur la méthode retenue par la France pour transposer la directive services. En mars 2009, j'ai interrogé M. Bruno Le Maire, alors secrétaire d'État aux affaires européennes, sur les intentions du Gouvernement : pas de réponse claire ! La commission des affaires européennes s'est emparée de ce débat et a produit, à l'initiative, notamment de Valérie Rosso-Debord et de Christophe Caresche, un rapport d'information sur les services sociaux d'intérêt général. Ce rapport, que nous avons voté, demandait une exclusion claire et large des services sociaux d'intérêt général à l'occasion de la transposition par la loi de la directive services.

À son tour, la commission des affaires sociales a examiné, le 10 juin 2009, deux propositions de résolution sur la question, l'une émanant de la commission des affaires européennes, l'autre, plus volontariste, du groupe SRC, demandant que cette question soit inscrite à l'ordre du jour de la séance publique de l'Assemblée, ce qui nous a été refusé.

À l'occasion de l'examen du projet de loi sur la formation professionnelle à l'été 2009, avec Jean-Patrick Gille, nous sommes revenus à la charge, sans obtenir de réponse satisfaisante et claire du Gouvernement sur sa position.

Las, nous apprenons, fin 2009, que le Gouvernement a fait le choix d'écarter, de squeezer littéralement le Parlement pour transposer de façon administrative, technique et réglementaire, la directive services.

Sur les vingt-sept États membres, la France est, avec l'Allemagne, le seul pays à avoir choisi une telle méthode de transposition, préférant négocier avec la Commission européenne des régimes d'autorisation plutôt qu'une loi-cadre générale !

L'UMP, qui aime à répéter que notre pays est isolé et cultive sa singularité en Europe sur un certain nombre de sujets, comme les services publics ou les acquis sociaux, pour mieux les affaiblir, se trouve prise en flagrant délit : nous sommes les seuls en Europe, avec l'Allemagne, à avoir fait un tel choix de transposition.

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