Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Jean-Patrick Gille

Réunion du 21 janvier 2010 à 15h00
Protection des missions d'intérêt général imparties aux services sociaux — Discussion d'une proposition de loi

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Patrick Gille, rapporteur de la commission des affaires sociales :

La démarche du Gouvernement encourt deux reproches. Si la qualité du travail administratif semble indiscutable, l'exercice a été mené isolément dans chaque ministère ; aucun débat public n'a eu lieu, et les arbitrages politiques n'ont fait l'objet d'aucun contrôle du Parlement, lequel n'a même jamais été informé.

Les gouvernements de vingt-cinq des vingt-sept États membres ont, eux, choisi de soumettre une loi-cadre à leur représentation nationale. L'Allemagne et la France font exception, mais la première est un État fédéral ; en France, le choix a été fait de transposer la directive le plus discrètement possible, sans doute pour ne pas réveiller de vieux débats. Cette approche méfiante pose néanmoins problème car elle a, en retour, nourri les inquiétudes les plus diverses, non seulement au sein du secteur social, mais aussi dans les associations d'élus territoriaux, qui estiment n'avoir pas été suffisamment consultées.

Par ailleurs, certains choix du Gouvernement sont éminemment discutables. Pour l'essentiel, celui-ci a suivi le raisonnement juridique de la Commission européenne et intériorisé ses injonctions, parfois excessivement contraignantes, alors même que le Parlement européen fait une lecture beaucoup moins restrictive du champ possible des exclusions. Mme Evelyne Gebhardt, rapporteure de la directive services, nous l'a confirmé lorsque nous l'avons rencontrée : le Parlement européen a adopté un amendement refusant à la Commission la possibilité de proposer une « communication interprétative » de la directive ; elle nous a également dit que le manuel de transposition publié par la Commission n'avait pas de valeur juridique contraignante. Ayant aussi rencontré la direction générale du marché intérieur et des services de la Commission européenne, nous avons été frappés par la différence d'interprétation de la directive, selon que l'on se place du point de vue du Parlement ou de la Commission. La divergence est telle que Mme Gebhardt a estimé nécessaire de constituer une commission de suivi de la transposition de la directive au sein du Parlement européen.

La Commission européenne considère ainsi que les services liés à la petite enfance entrent dans le champ d'application de la directive, alors que le Parlement européen estime qu'ils peuvent en être aisément exclus sur le fondement de l'article 2.2.j. La négociation avec la Commission européenne a précisément conduit le Gouvernement français à inclure dans le champ de la directive le secteur des services à la petite enfance, selon un raisonnement juridique contestable et d'ailleurs fortement contesté par l'Association des maires de France, l'Union nationale des centres communaux et intercommunaux d'action sociale et de nombreux autres acteurs du secteur. Cette inclusion était si peu évidente que, le 16 septembre dernier, M. Darcos déclarait : « La majorité des services sociaux et médico-sociaux devraient pouvoir être exclus du champ d'application de la directive. Il devrait en être de même pour tous les services d'aide à domicile, crèches et haltes-garderies. » Malheureusement, ces options ont été battues en brèche par les arbitrages ultérieurs.

Le Gouvernement nous explique à présent que le fait d'inclure ce secteur dans le champ de la directive n'entraînera aucune modification de la réglementation et que celle-ci est parfaitement justifiable – et justifiée – dans le cadre de la directive. Mais je ne partage pas cet optimisme : l'exclusion du champ d'application est plus protectrice qu'une simple dérogation par rapport au droit commun. Ces services inclus dans le champ de la directive, la Cour de justice de l'Union européenne les considérera en effet comme d'autres services économiques, et leur appliquera à ce titre sa jurisprudence traditionnelle en matière de règles du marché intérieur.

Il existait pourtant une autre manière de procéder : d'une part en privilégiant la transparence avec l'élaboration, comme ce fut le cas dans la quasi-totalité des États membres, d'une loi-cadre reprenant les principales dispositions de la directive, ce qui aurait permis un vrai débat au Parlement – comme nous essayons de le faire aujourd'hui – ; d'autre part, en exploitant jusqu'au bout les possibilités d'exclusion des services sociaux du champ de la directive, donc en excluant les services à la petite enfance, la partie de la formation professionnelle à destination des demandeurs d'emploi ou encore la formation initiale différée. Je vous pose la question, madame la secrétaire d'État : pourquoi le Gouvernement n'a-t-il pas fait ce choix ?

Deuxième objectif de la proposition de loi : transposer en droit français le droit communautaire applicable aux services sociaux. Comme on le sait, ce droit est composé des traités, des directives et des principes issus de la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes ; aussi demandons-nous, avec l'article 2, que toutes les dispositions protectrices des services sociaux contenues dans le droit communautaire soient utilisées, d'autant plus que le traité de Lisbonne récemment entré en vigueur comporte de nouvelles dispositions plus protectrices pour les services sociaux. Il est indispensable d'exploiter ces nouvelles possibilités. Le tiers secteur, comme l'économie sociale et solidaire, peut et doit être sécurisé par les dispositions contenues dans les traités européens.

Enfin, les articles 3 et 4 adaptent en droit français les exigences communautaires pour sécuriser le financement des services sociaux, et traitent la question du mandatement. En ne le faisant pas, le Gouvernement fragilise le modèle français des services sociaux. En effet, outre le problème immédiat de la transposition de la directive services, un autre dossier suscite de fortes inquiétudes chez tous les acteurs du secteur social, donneurs d'ordre – souvent les collectivités locales – comme prestataires : celui des aides d'État, régies par le paquet Monti-Kroes, et de la compatibilité des modes d'action des collectivités locales avec les règles de la concurrence. C'est toute la question du mandatement, c'est-à-dire la manière dont une collectivité publique charge un opérateur d'un service social d'intérêt général et le finance. Or le mandatement est précisément le critère d'exclusion du champ d'application de la directive services.

Le Gouvernement lui-même a reconnu ces difficultés dans un rapport remis à la Commission européenne sur l'application du paquet Monti-Kroes, soulignant « le décalage extrêmement important qui existe entre les préoccupations des collectivités publiques lorsqu'elles organisent les services publics dans les ressorts de leur compétence, et la façon dont le droit européen appréhende ces services ». Le même rapport conclut que des « incompréhensions fortes subsistent entre les pouvoirs publics français et les autorités communautaires », et qu'elles sont « sources d'insécurité juridique, mais également de coûts importants ».

Notre proposition de loi tente précisément de résoudre ces difficultés en établissant clairement l'exigence de mandatement, en définissant cette notion et en créant, conformément à la proposition contenue dans le rapport de Michel Thierry, une convention de subvention spécifique pour les services sociaux appelée « convention de partenariat d'intérêt général ». Ce nouvel outil, qui va plus loin que la convention pluriannuelle d'objectifs remaniée présentée par le Gouvernement le 17 décembre dernier, serait un instrument solide et juridiquement sûr pour tous les acteurs publics.

Notre objectif est donc de mieux utiliser la marge de manoeuvre et d'appréciation dévolue aux États membres par le traité de Lisbonne, de permettre aux collectivités de créer des services publics locaux et de sécuriser le fonctionnement des opérateurs en définissant, dans le droit français, la notion de mandatement. On ne peut se satisfaire plus longtemps de cette situation paradoxale, dans laquelle les régions peuvent largement financer les centres de formation d'apprentis, que ce soit pour le fonctionnement ou les investissements, tout en se voyant imposer de lancer des appels d'offres de marché public d'une grande complexité pour financer une petite association locale de lutte contre l'illettrisme.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion