Je me réjouis, avec les députés communistes, républicains, du parti de gauche, que nous soit enfin donnée, à la faveur de cette journée d'initiative parlementaire, l'occasion de nous exprimer dans l'hémicycle sur l'ensemble des réformes envisagées par le Gouvernement s'agissant des collectivités locales.
Il est heureux en effet que nous puissions solennellement dénoncer ce massacre, habilement masqué par un saucissonnage de la réforme qui a de quoi impressionner, mais qui ne dévie pas d'un pouce de la méthode habituellement employée par Nicolas Sarkozy depuis son élection: diviser pour mieux régner, mettre l'accent sur l'accessoire pour faire oublier l'essentiel, agiter un chiffon rouge pour mieux porter l'estocade finale!
Je vais donc m'efforcer de dresser la liste exacte des textes qui composent la réforme territoriale, et qui est fort impressionnante : un projet de loi organisant la concomitance des renouvellements des conseils généraux et des conseils régionaux, un projet de loi, proprement dit, de la réforme des collectivités territoriales, un projet de loi organique relatif à l'élection des membres des conseils des collectivités territoriales et des établissements publics de coopération intercommunale, un projet de loi relatif à l'élection des conseillers territoriaux et au renforcement de la démocratie locale, un projet de loi sur la ventilation des compétences entre départements et entre régions ainsi que les règles limitant les cofinancements. J'y ajouterai évidemment la dernière loi de finances, qui a entériné la suppression de la taxe professionnelle, mais aussi le projet de loi sur le Grand Paris, le futur projet relatif à l'Ile-de-France et l'ordonnance relative au découpage des nouveaux cantons. Au vu de cette impressionnante liste, chaque citoyen est en droit de se demander ce qui va se passer !
Depuis le début, les critiques pleuvent. Ces projets rencontrent de très nombreux opposants, y compris dans les propres rangs de la majorité – je pense à MM. Raffarin et Juppé, pour ne citer qu'eux. Ils sont déplorés par la plupart des associations d'élus, 76 % des Français estiment que la réforme est incompréhensible et confuse, tandis que 73 % refusent la suppression du département et le transfert de ses compétences à d'autres échelons.
Dès les premières lois mises en application – je pense notamment à la suppression de la taxe professionnelle –, les élus locaux et leurs collectivités accuseront encore un peu plus le coup et très rapidement, les administrés en ressentiront les premiers effets négatifs sur leur quotidien.
Cette multitude de mesures, présentées en catimini devant le Parlement de façon à les soustraire complètement à l'avis des Françaises et des Français, est un véritable scandale. Nous continuons à en exiger le retrait ou, à défaut, à appeler à l'organisation d'un référendum pour que nos concitoyens puissent s'exprimer sur l'ensemble d'une réforme qui touche aux fondements de nos institutions et de notre démocratie.
À cet égard, nous faisons parfaitement nôtres les termes du débat tel que l'a proposé aujourd'hui le groupe SRC, tant les orientations fixées par le chef de l'État semblent aller à l'encontre de la décentralisation initiée par les lois Defferre de 1982 et 1983. Rappelons-en les principales avancées: suppression de la tutelle administrative exercée a priori par le préfet et remplacement par un contrôle de légalité a posteriori par le tribunal administratif et la chambre régionale des comptes, transfert de l'exécutif départemental du préfet au président du conseil général, transformation de la région en une collectivité territoriale de plein exercice administrée par un conseil régional dont les membres sont élus au suffrage universel, répartition précise des compétences entre l'État, les communes, les départements et les régions, instauration du transfert de ressources sous la forme de dotations – dotation globale de fonctionnement, dotation d'équipement, dotation de décentralisation – inscription à l'article 72 de la Constitution du principe de subsidiarité : « Les collectivités territoriales ont vocation à prendre les décisions pour l'ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en oeuvre à leur échelon. »
Ces lois furent complétées par les lois Raffarin de 2002-2004, dites « acte II de la décentralisation », qui ont consacré le principe d'autonomie financière des collectivités territoriales, leur ont octroyé un droit à l'expérimentation, inscrit les termes de « région » et de «décentralisation » dans la Constitution et créé le référendum décisionnel local ainsi que le droit de pétition. Avec lucidité, nous avons fortement critiqué ces lois faussement décentralisatrices qui ont surtout abouti au transfert des responsabilités de l'État sans assurer la nécessaire compensation financière.
Aujourd'hui, en quoi peut-on affirmer que la réforme territoriale participe d'un processus de recentralisation, voire de ce que je qualifierai de forme de « subsidiarité ascendante contrainte »?
Comment comprendre les propos du chef de l'État qui qualifiait, à Saint-Dizier, la réforme de l'organisation territoriale de « rendez-vous historique pour la décentralisation »?
Quelle alternative proposer, notamment dans une perspective progressiste, pour ce fameux acte III de la décentralisation?
Sur le plan des institutions, on assiste à un phénomène inédit, une inversion de la traditionnelle dévolution du pouvoir qui caractérise habituellement la décentralisation: les collectivités locales sont en quelque sorte soumises à une « subsidiarité ascendante contrainte ». Si en effet, selon la classique « subsidiarité descendante », c'est l'échelon local qui permet de répondre au mieux et au plus près aux besoins des habitants, de nos jours il revient de plus en plus à l'échelon supérieur de reprendre en main et de suppléer ce qui ne peut plus être appliqué localement.
Pourquoi?
En réalité, cela tient à une équation relativement simple: elles doivent faire autant, sinon plus, avec moins de moyens car les charges, elles, se décentralisent effectivement!
Rappelons que ces collectivités réalisent 73 % de l'investissement public, comptabilisent 1 750 000 emplois, ont permis la création et le maintien de 850 000 emplois de la sphère privée. Or voici la liste de ce qui pèse déjà sur elles en plus des transferts incessants de charges: réduction des dotations, poids des intérêts d'emprunt, non-remboursement intégral de la TVA, hausse de la contribution à la CNRACL, besoins en constante progression, dont certains sont liés à la privatisation des entreprises publiques et à la réduction drastique des moyens des services publics nationaux. À cette liste s'ajoute à présent la suppression de la taxe professionnelle, laquelle constitue 50 % des recettes fiscales des collectivités territoriales.
Les conséquences de ce cadeau supplémentaire de 11 milliards au MEDEF seront dramatiques: dépérissement des services publics locaux ou hausse des impôts, fin de leur autonomie fiscale.
Plutôt que de regarder les choses en face, la majorité UMP a refusé notre proposition de moderniser la taxe professionnelle en intégrant dans ses bases les actifs financiers, ce qui aurait pourtant permis de créer un fonds national de péréquation !