Monsieur le ministre de l'espace rural et de l'aménagement du territoire, le sujet qui nous occupe aujourd'hui est tellement important que nous devons essayer de nous comprendre davantage. Aussi reviendrai-je sur quelques-uns des arguments que nous avons déjà eu l'occasion de développer avec Laurent Fabius, Bernard Derosier, Alain Rousset et François Pupponi.
Une véritable réforme territoriale eût mérité une autre méthode, une autre concertation, pour aboutir véritablement à un consensus sur un acte III de la décentralisation.
Nous connaissons tous cette histoire que nous avons partagée. D'abord l'acte I, avec les grandes lois de décentralisation Mauroy-Defferre, au début des années 80, puis l'acte II, avec la réforme portée par M. Raffarin, où il est désormais inscrit que la France est une République décentralisée. Un consensus avait fini par se forger après les oppositions du début sur l'objectif de la décentralisation, tout simplement parce que la décentralisation ça marche. Monsieur le ministre, vous qui êtes depuis longtemps ancré localement, vous savez très bien le prix qu'attachent nos concitoyens à la réalité des services que leur offrent nos régions, nos départements et nos communes.
Une réforme aurait dû avoir lieu parce que, vingt-cinq ans après cette grande loi, il y a toujours des améliorations à apporter pour corriger les erreurs, approfondir la décentralisation et le faire avec une concertation sérieuse. Or, c'est l'inverse qui a été fait. Pour travailler sur ce sujet depuis un an au sein de notre parti et ici de notre groupe avec notre président Jean-Marc Ayrault, j'ai constaté que le Gouvernement a effectivement rencontré les associations mais que la concertation politique proprement dite s'est réduite à une audition, par le comité Balladur, d'un peu plus d'une heure, même si elle fut fort intéressante et sympathique – les autres groupes ont été traités de la même manière – et à un entretien d'une heure environ de la première secrétaire du parti socialiste avec M. Hortefeux. Franchement, un tel sujet méritait mieux. Vous avez pu mesurer, je crois, l'ampleur des désaccords avec les associations qui représentent des élus de la majorité et de l'opposition.
Autre problème : l'objectif électoral est apparu immédiatement tout à fait central. Les propositions qui sont faites visent avant tout à limiter et à diminuer l'influence de la gauche dans les collectivités car nous gagnons les élections locales – et nous n'avons pas l'intention de nous arrêter là.
Malheureusement, c'est l'idéologie qui a prévalu. On restreint les services publics au niveau local, comme on l'a fait au niveau national. M. Fillon a clairement dit il y a peu que l'État supprime un fonctionnaire sur deux, que la fonction publique hospitalière est soumise à une cure d'amaigrissement accélérée qui suscite de grandes inquiétudes et que les collectivités locales doivent faire la même chose.
Dans ces conditions, vous aurez compris que le consensus est impossible.
Dès que vos projets ont été connus, nous avons considéré qu'en réalité c'était une contre-réforme tournant le dos à vingt-cinq ans de décentralisation qui nous était proposée. Plutôt que de pousser au bout la décentralisation, vous recentralisez. On a affaire à un État gribouille qui empiète constamment sur les compétences des collectivités, c'est-à-dire qui fait doublon avec des compétences souvent transférées par la loi aux collectivités, pour les exercer lui-même. Les rapports de la Cour des comptes et de l'inspection générale des affaires sociales sont nourris d'exemples, notamment en matière de formation professionnelle des jeunes.
L'État se décharge de plus en plus de ses compétences propres sur les collectivités, par exemple en matière de financement des lignes à grande vitesse. De surcroît, il étrangle financièrement les collectivités locales, soit par des transferts de charges non compensés, soit par une diminution des dotations, en ayant recours à des artifices plus ou moins visibles.
Le projet du Grand Paris, cette invention sortie tout droit de l'imagination du ministre en charge du dossier, préfigure ce qui risque d'arriver à toutes les collectivités locales de France. En la matière, votre volonté de recentralisation n'a pas de limites. Là encore, les compétences des collectivités en matière d'urbanisme, de transports et d'aménagement sont reprises en main par l'État, qui n'hésite pas à s'attribuer de surcroît de nombreuses procédures dérogatoires au droit commun. Pour financer un tel projet, l'État s'apprête à gaspiller 21 milliards d'euros sans traiter les besoins concrets des populations franciliennes. Voilà un motif qui nous conduit à refuser net un tel projet.
Quant aux régions, on revient au vieux système de l'établissement public qui existait avant la décentralisation. Il n'y a plus d'autonomie fiscale, alors que l'Europe d'aujourd'hui nous montre qu'il faudrait au contraire la renforcer.
Bref, nous avons un État tatillon, alors que nous voulons un État stratège, qui refuse les doublons. Nous voulons un État qui, lorsqu'il transfère les compétences, transfère également les personnels et les financements, un État qui assume totalement ses responsabilités, ces missions régaliennes que sont la justice et la police, de plus en plus mal assurées sur le terrain – et j'en sais quelque chose en tant qu'élue de Seine-Saint-Denis. L'État n'assure plus non plus correctement son devoir de solidarité – nous le voyons en ce qui concerne les hôpitaux et la sécurité sociale –, il prépare de moins en moins l'avenir puisqu'il n'accorde pas les moyens nécessaires à l'éducation nationale et il ne joue pas le jeu du partenariat avec les collectivités.
À nos yeux, la réforme est fondée sur la défiance vis-à-vis des collectivités territoriales, alors qu'il faudrait au contraire la fonder sur la confiance.
Nous sommes face à une régression sociale et territoriale. Le principal problème à régler, c'est celui des inégalités territoriales, tant dans les territoires ruraux qu'urbains. Or votre réforme fiscale va les aggraver. La suppression de la clause de compétence générale pour les régions et les départements mettra les communes les plus pauvres dans l'incapacité de financer correctement la culture, le sport, les associations.
Pour réduire ces inégalités territoriales, nous avons des propositions à formuler, qui visent à s'attaquer au problème de la péréquation, à remédier à l'injustice de la taxe d'habitation, à remplacer la taxe professionnelle par un véritable impôt professionnel qui maintienne le lien et la dynamique des ressources pour les collectivités et clarifie les compétences respectives des régions et des départements.
En ce domaine des progrès sont encore possibles. Il y a déjà une spécialisation : les régions – heureusement qu'elles sont là – excellent en matière de stratégie économique, de développement et d'aménagement du territoire, tandis que les départements travaillent sur la proximité.
Si vous aviez voulu faire de véritables propositions, vous auriez poursuivi la spécialisation, déjà largement engagée, et renforcé les atouts des différentes collectivités, plutôt que de risquer, avec l'instauration du conseiller territorial, d'affaiblir les régions comme les départements. En effet, des régions privées de leurs propres élus et de toute autonomie fiscale n'ont plus les moyens de mettre en oeuvre leur politique.
Je passe brièvement sur la manipulation électorale car vous aurez compris que nous considérons comme une erreur stratégique le remplacement des conseillers généraux et régionaux par des conseillers territoriaux. Nous espérons que le Gouvernement reviendra sur cette funeste proposition. Quant au mode de scrutin, il relève d'une grossière manipulation.
Nous avons des propositions à vous soumettre en la matière. Tout d'abord, chaque collectivité doit avoir ses propres élus. C'est le principe même de la décentralisation. Il conviendra par ailleurs, dès que ce sera possible, et au terme, si nécessaire, d'une période de transition, de mettre fin au cumul des mandats, d'accorder aux étrangers le droit de vote aux élections municipales, et de favoriser les intercommunalités. En effet, monsieur le ministre, nous vous rejoignons sur l'idée de terminer, mais nous avons besoin de rationaliser et surtout de démocratiser.
Vous voyez bien dans quel état d'esprit nous intervenons. Nous nous opposons résolument à vos projets car une vraie réforme était possible, une réforme juste, qui s'appuie sur les atouts considérables que représentent nos élus locaux ainsi que les services et les collectivités qu'ils dirigent. Nous aurions ainsi pu présenter une réforme qui ne soit ni contestée ni contestable devant le Conseil constitutionnel, comme ce sera le cas si le Gouvernement maintient ses projets. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)