À court d'arguments – Germinal Peiro était présent –, vous m'avez fait le coup de la « prématurité » du débat sur le revenu des agriculteurs, prétextant que le projet de loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche était en cours d'élaboration, Vous vous êtes servi du même argument en commission sur le texte que nous examinons, en affichant d'abord votre approbation sur le fond, pour mieux ajouter que « le seul bémol » était « sa date de discussion », que nous devions nous montrer « prudents », en attendant un débat « global » sur « la casse des retraites » voulue par le Président de la République.
Ces arguties font mal à notre France rurale, celle des travailleurs de la terre. Elles font également mal à notre noble mission de parlementaires et de représentants de la nation. Lorsque je parcours le contenu du projet de loi de modernisation de l'agriculture adopté en conseil des ministres, je mesure mieux à quoi ressemble votre définition spécieuse du mot « prudence ». Je vous suggère de remplacer systématiquement ce terme par le mot « indifférence » ou par le mot « mépris » dans vos interventions. Cela aura au moins le mérite de la clarté pour ceux qui nous écoutent. Cela donnera aussi plus de relief à des débats où l'hypocrisie et les faux-semblants règnent en maîtres dans les rangs de la majorité parlementaire.
Madame la secrétaire d'État, en vous écoutant, je pensais à l'empereur Héliogabale qui servait à ses invités de très beaux plats, lesquels étaient en réalité des dessins figurant au menu, chaque convive devant exprimer son contentement.
Pourtant, nous le savons tous, depuis la création, au sortir de la Seconde guerre mondiale, d'un régime de retraite spécifique,distinct du régime général, pour les non-salariés agricoles, le fossé financier s'est progressivement élargi entre retraités des deux régimes, ce qui a contribué à installer durablement les anciens exploitants agricoles et leurs familles parmi les plus faibles niveaux de vie nationaux.
Depuis sa mise en place effective par la loi du 10 juillet 1952, le régime de retraite des non-salariés agricoles a été l'objet de plusieurs réformes, visant notamment à la reconnaissance juridique et à l'intégration au sein du régime agricole des conjoints et aides familiaux, à l'amélioration des niveaux des pensions de base et à l'adoption d'un régime complémentaire obligatoire.
Ces évolutions législatives furent notamment marquées par les avancées significatives de la période 1998-2002, qui visaient une revalorisation globale des montants des pensions de retraite du régime agricole et une véritable reconnaissance des conjoints de chefs d'exploitation, la loi d'orientation agricole du 9 juillet 1999 créant ainsi un statut de conjoint collaborateur. L'aboutissement de ces réformes fut la mise en place d'un régime de retraite complémentaire, avec l'adoption de la loi du 4 mars 2002 visant à garantir un niveau de pension égal à 75 % du SMIC pour une retraite complète.
Le bilan des sept dernières années en matière de justice sociale se révèle en revanche amer pour les retraités agricoles, en particulier les plus pauvres d'entre eux. L'écrasante majorité des 1 800 000 retraités actuels de ce régime ont des revenus caractéristiques d'une situation d'extrême pauvreté, bien en deçà des 880 euros par mois du seuil de pauvreté fixé selon la définition européenne et bien loin des 700 euros de ce même seuil si l'on prend pour base 50 % du revenu médian. À cela s'ajoutent d'insupportables inégalités de traitement des droits à retraite entre hommes et femmes, héritées de l'application tardive de mesures en faveur de la reconnaissance des conjoints et aides familiaux, qui placent la majorité des femmes d'exploitants ayant soldé leurs retraites dans des situations désastreuses et scandaleuse. Voilà qui contredit tout objectif de parité et d'égalité entre les sexes, alors même que les besoins sociaux et de santé des personnes âgées bénéficiaires s'accroissent considérablement.
Chaque année depuis 2007, le Président de la République ressert les mêmes plats, les mêmes discours copiés-collés, sur le caractère indigne du niveau des pensions des non-salariés agricoles mais sans jamais mettre ses actes en cohérence avec son verbe. Que dire, en effet, du plan de revalorisation des petites retraites agricoles adopté par le Gouvernement, quand, pour l'immense majorité des personnes concernées, il se matérialise par moins de 30 euros supplémentaires par mois ! Ce n'est pas l'aumône que vous demandent les retraités agricoles, ce sont des pensions dignes, oui, dignes, des pensions d'un niveau suffisant pour vivre : 85 % du SMIC.
Aussi, même si cette proposition de loi, examinée dans le cadre d'une niche parlementaire, demeure forcément incomplète, mon cher collègue Peiro, elle permet d'apporter une première réponse immédiate, de nature à faire bénéficier les aides familiaux et les conjoints du régime complémentaire obligatoire. Les députés communistes, républicains et du Parti de gauche la soutiennent. J'avais d'ailleurs déposé une proposition de loi semblable il y a un peu plus d'un an, qui incluait également des dispositions tendant à élargir l'accès au régime complémentaire obligatoire pour les carrières incomplètes et à améliorer de façon substantielle le niveau des pensions de réversion de ce même régime.
Je soutiens donc sans réserve le principe d'une extension du régime complémentaire obligatoire aux statuts de conjoints et aides familiaux, remis à plus tard dans le texte de 2002 instituant ce même régime. Ce régime bénéficierait directement aux personnes les plus démunies, en particulier les femmes, qui ont contribué sans reconnaissance économique ni sociale à la vie des exploitations, ces femmes qui ont exercé une réelle activité professionnelle tout au long de leur vie, souvent spécifique dans le cadre d'une division sexuelle du travail, avec des tâches physiques propres, mais aussi, fréquemment, les taches quotidiennes de suivi et de gestion de l'exploitation, en sus de la tenue de la maison.
Comment concevoir qu'elles ne puissent pas recevoir de la solidarité nationale une juste rétribution de leurs efforts trop longtemps passés sous silence ? Leurs attentes, comme leurs souffrances, méritent plus que le repli stratégique du Gouvernement derrière la ligne Maginot de l'élection présidentielle, avec un Président de la République juché comme un coq sur son tas de blé. (Sourires sur les bancs du groupe SRC.) Par vos crampes mentales, je dirais même morales, vous offrez une terrible illustration des propos de Simone de Beauvoir, qui parlait si bien des femmes : « Ce qu'il y a de scandaleux dans le scandale, c'est qu'on s'y habitue. » (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Cependant, nous savons aussi que, au-delà du régime complémentaire, il faut assurer un financement pérenne des retraites agricoles, avec des niveaux de pensions bien supérieurs. Alors que, pour les géants de l'industrie agroalimentaire, pour les géants de la grande distribution, tout est permis pour s'assurer des marges indécentes sur le dos des exploitants agricoles, alors que plus de 340 milliards d'euros des contribuables ont été généreusement mis à la disposition du secteur bancaire, qui compte des géants historiquement liés au secteur agricole, il serait impossible pour le Gouvernement de trouver les ressources pour financer les retraites agricoles ! Cette mauvaise foi n'est pas supportable.