…vous écrivez que le projet de loi adopté par le Sénat, « s'il se borne à aligner ponctuellement la durée des mandats des prochains conseillers généraux et régionaux sur l'échéance électorale du mois de mars 2014, n'en constitue pas moins la première étape d'une vaste réforme territoriale ». Vous indiquez ensuite que les conseillers territoriaux « seraient en charge à la fois des affaires départementales et des affaires régionales », nous donnant des informations tout à fait utiles pour le vote du texte que nous examinons.
Il s'agit donc bien de la première pierre d'une vaste réforme, que vous appelez peut-être de vos voeux, monsieur le rapporteur, mais qui nous déplaît fortement.
Au mois de janvier se succèdent les cérémonies de voeux ; j'ai participé à nombre d'entre elles et j'ai pu constater que les inquiétudes sont partagées par un grand nombre d'élus locaux, pour ne pas dire tous.
Vous me direz, monsieur le secrétaire d'État, qu'ils sont inquiets par méconnaissance de la réforme. Probablement. Le problème, c'est que j'ai entendu aussi des députés et des sénateurs siégeant dans la majorité me faire part spontanément de leurs inquiétudes.
Hier, on ne pouvait aborder la réflexion sur le fonctionnement de notre République qu'en souhaitant que les décisions soient prises au meilleur niveau, notamment grâce à la décentralisation, et voilà qu'aujourd'hui tout cela est jeté cul par-dessus tête pour des motifs surprenants.
La justification de cette réforme ne peut être l'affirmation que le département serait de trop. Sur les vingt-sept pays de l'Union européenne, seuls trois, à ma connaissance, n'ont pas d'échelon départemental : Malte, qui représente un peu moins que l'agglomération de Rennes, Chypre, mais seule la moitié de l'île est concernée, et la République tchèque. Les vingt-quatre autres pays de l'Union ont tous ce niveau institutionnel, même s'il ne porte pas partout le nom de « département » ; il faut dire qu'il y a plus d'une langue en Europe. (Sourires.)
Le deuxième point que je relèverai, c'est que, si ces trois niveaux de gestion locale existent dans la plupart des pays de l'Union européenne, il y a bien une singularité française : celle du mille-feuille, dont on nous a rebattu les oreilles. Toutefois, il ne s'agit pas de feuilles les unes sur les autres, mais de feuilles les unes à côté des autres : les communes. Et les lois organisant l'intercommunalité tendent à corriger, à réduire considérablement cette singularité française. Point n'est donc besoin de convoquer les départements et les régions lorsque l'on parle d'un mille-feuilles institutionnel.
De même cette réforme ne peut-elle s'appuyer sur l'affirmation visant à laisser penser aux Françaises et aux Français que les élus seraient des sortes de seigneurs ou de saigneurs, dans les deux orthographes et les deux sens. D'un côté, il s'agirait d'une sorte d'aristocratie républicaine vivant grassement des indemnités qu'elle s'allouerait en cachette. De l'autre, ce seraient d'infâmes personnages qui n'auraient d'autre volonté que d'augmenter les impôts locaux et donc de saigner leurs concitoyens.
Ce sont, de façon ramassée, les propos tenus par le Président de la République, propos indignes de la magistrature suprême et qui montrent le peu d'estime que le Président peut avoir des élus locaux et, surtout, sa méconnaissance de la réalité locale.
Les sondages montrent que les Français sont attachés tant au niveau départemental qu'au niveau régional. La singularité des fonctions assumées par chaque niveau, contrairement à ce que de nombreux propos laissent entendre, est largement plébiscitée par nos concitoyens. Une fois de plus, la caricature l'emporte sur la réflexion, la proposition, le débat.
Le summum de cette réforme en cours vient du Sénat. Constatant la variété des tâches assumées par les conseillers territoriaux, il en vient à proposer que les suppléants soient eux-mêmes conviés à participer à la représentation des collectivités départementales et régionales. Il fallait oser ! Si l'objectif est la réduction du nombre d'élus, je ne comprends pas ; et si c'est la réduction du coût des élus, c'est aussi très mal parti ! Ainsi, c'est l'inanité des arguments déployés pour justifier votre réforme qui vient sur le devant de la scène.
Votre réforme supprime la région et non le département, car le mode d'élection fait de la région une sorte de syndicat de départements, lui ôtant sa force, son autonomie politique, pourtant saluée par tous.
S'il ne s'agissait que d'organiser la concomitance des élections des conseils généraux et régionaux, nous aurions pu voter le texte proposé, mais les intentions du Gouvernement sont autres, et il faut porter un coup d'arrêt net à cette panoplie de réformes qui tourne le dos à des années d'action visant à donner un contenu à la décentralisation.
C'est pourquoi, si la forfaiture est accomplie avec cet ensemble de réformes – il faudra tout de même, pour cela, que les députés de la majorité se réveillent au moment du vote –, j'ose espérer que le résultat des élections de 2012 nous permettra de la corriger. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)