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Intervention de Marie-Lou Marcel

Réunion du 19 janvier 2010 à 21h30
Concomitance des renouvellements des conseils généraux et des conseils régionaux — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-Lou Marcel :

Une chose est certaine, il demeurera dans les annales comme un texte à la présentation opaque mais aux intentions claires : en finir une bonne fois pour toutes avec la démocratie locale, l'autonomie des collectivités territoriales et la décentralisation. En effet, nous sommes aujourd'hui conduits à nous prononcer sur un texte de deux articles pouvant sembler, de prime abord, inoffensifs ; mais, derrière ces deux articles, se cache ni plus ni moins une attaque en règle des départements et des régions, ainsi qu'une mise en cause directe de nos élus locaux.

Comme dans les images d'Épinal d'autrefois où l'on découvrait un personnage dissimulé dans un paysage, ce projet de loi cache dans ces deux articles le conseiller territorial. Il suffit de lire l'exposé des motifs du texte présenté au Sénat, le rapport de M. Perben ou l'étude d'impact pour le découvrir. Sous couvert d'un simple rapprochement entre deux dates d'élections, ce texte signe l'acte de naissance du conseiller territorial. Une naissance devrait toujours être réjouissante. Celle-ci ne saurait l'être car elle a pour corollaire un décès : celui de la décentralisation.

On connaît les raisons invoquées par le Président de la République pour justifier la création de cet être hybride que sera le conseiller territorial. À propos du millefeuille administratif français, Nicolas Sarkozy n'a pas craint de nous dire que « la population est légitimement exaspérée ». Moi qui me rends, comme beaucoup d'entre vous, sur les marchés le week-end, je dois dire que j'ai souvent entendu les Français me parler de leur exaspération, mais c'était face à la taxe carbone, au bouclier fiscal ou encore au recul des services publics dans nos territoires, jamais face au mille-feuille administratif !

Quant à l'idée qu'il convient de clarifier les compétences, toute personne un peu honnête intellectuellement est à même d'affirmer que les chevauchements de compétences entre régions et départements sont rares. Plus de 80 % des budgets des régions ou des départements sont dédiés à leurs compétences propres : entretien des routes, financement des collèges et action sociale pour les départements ; TER, financement des lycées, formation professionnelle et développement économique pour les régions. Il n'y a pas de doublon et donc pas de gâchis financier comme le laisse entendre, non sans démagogie, le Président.

Autre raison invoquée : l'économie substantielle réalisée grâce à cette opération qui diviserait par deux le nombre d'élus locaux. Or, ce n'est un secret pour personne, le coût des élus locaux est dérisoire pour le contribuable puisqu'il représente 0,02 % du budget des collectivités et que plus de 450 000 élus sont bénévoles. Autrement dit, on voit bien que cet argumentaire de méfiance, voire de discrédit, vis-à-vis d'un élu local jugé dispendieux et dépensier, est un brin poujadiste et que la réalité est tout autre.

Dans ce registre tendancieux, on assure également que les collectivités locales seraient ruineuses et en déficit. Il y aurait l'État « fourmi » et les collectivités locales « cigales ». En réalité, c'est exactement l'inverse : les collectivités territoriales réalisent 73 % de l'investissement public. Par ailleurs, contrairement à l'État, elles remboursent toutes leurs dettes, capital et intérêts. Une fois de plus, le Président de la République, tordant le cou aux vérités les plus élémentaires, s'échine à faire passer en force et sous de fallacieux arguments un texte qui va participer à un mouvement de recentralisation.

Tous les gouvernements ont fait le pari de la décentralisation depuis la promulgation le 2 mars 1982, voilà bientôt trente ans, de la loi Defferre, jusqu'à l'inscription dans la Constitution, le 28 mars 2003, du principe que la France est une République dont « l'organisation est décentralisée ».

Il y aurait beaucoup à dire sur les décentralisations menées par des gouvernements de droite successifs, qui s'apparentent plus à des déconcentrations et à des transferts de charges vers les collectivités locales.

L'actuelle majorité, après avoir en 1982 critiqué une réforme qui mettait à mal, selon elle, le pouvoir des préfets, s'y est ensuite ralliée avec conviction. Il faut dire que, durant une vingtaine d'années, une écrasante majorité de départements et de régions portait ses couleurs. Depuis que la gauche est majoritaire dans la gestion des régions et des départements, il semble que le vent ait tourné et que l'heure soit venue de reprendre en main les collectivités locales. On a constaté, cet automne, les méthodes employées par le Gouvernement pour tenter d'y parvenir financièrement en supprimant la taxe professionnelle sans formule de substitution satisfaisante et au mépris des décisions adoptées à l'unanimité de la commission des finances, mesure qui réduit de façon drastique l'autonomie fiscale des collectivités locales : communes, communautés de communes, départements et régions.

C'était l'acte I de cette reprise en main ; nous voici à l'acte II. Comme l'a fort bien dit Pierre Mauroy lors de l'examen de ce texte au Sénat, et comme l'a rappelé Jean-Jack Queyranne, « abaisser le pouvoir des assemblées a toujours été la marque des princes ».

Ne nous y trompons pas : ce texte vise à affaiblir la plus ancienne des assemblées décentralisées, l'assemblée départementale – si importante dans l'organisation des territoires, notamment en milieu rural –, comme il vise à affaiblir les régions, sans parler des petites communes, surtout les plus fragiles.

Avec la création du conseiller territorial, c'est la fin de l'ancrage de proximité, de l'expérience et du travail des élus, qui font rimer conviction avec indépendance d'esprit. La création de ce conseiller procède d'une autre logique que celle qui avait cours, où l'on voyait fonctionner, le plus souvent en bonne intelligence, le couple communes-département et le couple régions-État. Aujourd'hui, on privilégie les couples communes-communauté de communes et région-départements. Or le lien entre département et région ignore les différences majeures entre ces deux assemblées, la première étant une instance de proximité, la seconde une instance plus stratégique liée à l'État et à l'Europe.

À terme, ce qui est recherché, c'est soit la disparition de la commune et du département, ce que dans le rapport Balladur on appelait pudiquement leur « évaporation », soit la disparition des régions. Bien malin qui peut le dire... Je reprendrai ici un slogan de campagne : Avec Nicolas Sarkozy, « tout devient possible » !

Pour l'heure, à part nuire aux collectivités locales existantes et aux équipes qui sont à leur tête, la stratégie du Président et du Gouvernement, en matière de réforme des collectivités locales, est particulièrement brouillonne et erratique. Créer un conseiller territorial, c'est en tout état de cause, accélérer la mort des départements. Les circonscriptions d'élection seront environ quatre fois plus grandes que les actuels cantons. Comment, dès lors, ces conseillers pourront-ils être présents et à l'écoute de la population ? Comment feront-ils pour participer aux conseils d'administration des collèges ou des établissements sanitaires et sociaux, comme aux assemblées générales des associations sportives, culturelles et professionnelles ?

Par l'étendue de ces circonscriptions d'élection, on met à mal la proximité. On la met à mal doublement dans la mesure où le conseiller territorial représentera également la région. Compte tenu du nombre de délégations dont il sera pourvu, il sera très souvent amené à représenter les deux institutions dans l'ensemble de la région. C'est donc une source de confusion totale, de quasi-conflit d'intérêts, et cela pose un vrai problème constitutionnel. En effet, les lois de décentralisation Mauroy-Defferre imposaient un principe fort : l'absence de tutelle d'un niveau de collectivité sur un autre. Cela supposait que l'élu qui parlait pour la région ne s'exprimait pas pour le département, et réciproquement. Ce principe d'autonomie est, du reste, désormais inscrit dans la Constitution. En créant la confusion dans les fonctions, le Gouvernement institutionnalise la tutelle d'une collectivité sur une autre.

Par ailleurs, comment le conseiller territorial pourra-t-il conjuguer son mandat électif avec une activité professionnelle ? Avec la création de cette nouvelle fonction, c'en est fini de l'élu qui exerce un métier à côté ; place à l'élu professionnel, qu'il faudra bien indemniser en conséquence ! On voit bien que l'argument économique ne tient pas la route une seule seconde !

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