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Intervention de Jean-Jack Queyranne

Réunion du 19 janvier 2010 à 21h30
Concomitance des renouvellements des conseils généraux et des conseils régionaux — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Jack Queyranne :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, deux articles à la concision extrême, un projet de loi « modeste » selon notre rapporteur lui-même : voilà qui tranche en apparence avec les habitudes de notre assemblée, plutôt accoutumée aux « lois bavardes », comme les définissait Jean-Louis Debré, notre ancien président, aujourd'hui président du Conseil constitutionnel.

Mais, loin de constituer un progrès dans le débat parlementaire, ce projet de loi soumis à la procédure accélérée constitue une véritable régression – je dirai même pire : une forfaiture législative. Il résonne en effet comme une sanction à l'égard des conseils régionaux, dont le mandat sera réduit de deux ans. Une sanction qu'il faut exécuter vite, à moins de huit semaines du premier tour des élections régionales.

Monsieur le secrétaire d'État, sur un ton très patelin, nous a dit en ouvrant ce débat que la réduction de durée du mandat d'une assemblée locale n'est pas exceptionnelle ; encore faut-il qu'elle soit justifiée par l'intérêt général. Et où est l'intérêt général dans ce texte dont la motivation n'est ni plus ni moins que de préparer la plus grande manipulation électorale de la Ve République, qui n'en a pourtant pas été avare ? En guise de grande ambition territoriale, cette loi d'arrière-pensées ne vise qu'à couvrir un véritable hold-up politique au profit du parti majoritaire : redécoupage de tous les cantons et instauration d'un mode de scrutin qui fait fi des traditions républicaines comme du principe de parité homme-femme, pourtant inscrit dans notre Constitution.

Il aurait été logique, sur le plan juridique et constitutionnel, que les deux articles dont nous débattons soient les dispositions finales d'une loi modifiant les compétences et les modes de représentation des régions et des départements. Mais l'hyper-parlement cher à monsieur Copé est devenu une machine a légiférer à l'envers et à la va-vite sous l'injonction de l'hyper-président. Vous avez choisi de débiter votre réforme territoriale en tranches. Je ne peux que partager l'opinion de Jean-Pierre Raffarin, qui déplorait l'absence de vision globale et concluait : « On va discuter du conseiller territorial maintenant et de son mode d'élection et de ses compétences plus tard. Tout cela manque de lisibilité. »

Cela a d'ailleurs commencé avec la réforme de la taxe professionnelle et son remplacement par la cotisation économique territoriale. Il aurait été logique de redéfinir les compétences des collectivités territoriales avant de leur attribuer des ressources. La majorité, pressée par l'Elysée, a fait l'inverse au prix d'un bricolage financier dont le Gouvernement a toujours voulu rester maître, modifiant même par amendement, ce qui est exceptionnel, le compromis élaboré en CMP.

En ce qui concerne les régions, et aussi les autres collectivités, on en connaît déjà les deux conséquences : des recettes en régression et une autonomie financière réduite à sa plus simple expression puisqu'elles n'auront plus aucune maîtrise de la fiscalité directe avec la renationalisation des taux. Certes, la loi de finances a créé une nouvelle recette, la taxe sur les wagons de chemin de fer : plus une région développera ses TER, plus elle se taxera elle-même ! Il fallait vraiment trouver une telle source de financement !

Qu'adviendra-t-il de la création et du mode d'élection du conseiller territorial, projet dont la discussion devrait venir devant l'Assemblée au printemps ? Nul ne paraît le savoir dans la majorité. Le président du Sénat, monsieur Larcher, avouait à la mi-décembre qu'il n'y avait pas de majorité pour voter ce texte en l'état.

Ainsi, le projet de loi qui nous est soumis parie sur d'autres textes dont rien n'assure qu'ils seront votés. Comment instituer un élu vraiment représentatif sans rien savoir du pouvoir des assemblées où il siégera ? Vous inventez un nouveau jeu : le poker menteur législatif !

Votre projet de création du conseiller territorial repose sur une affirmation reprise par M. Perben dans son rapport : il faut mettre un terme à la concurrence de légitimité et de compétences entre les régions et les départements. Le conseiller territorial serait la clé de la future clarification puisqu'à lui seul il parviendrait à digérer ce fameux mille-feuille dont M. Breton vient de nous resservir une part.

Je m'inscris en faux contre cette interprétation au vu de la réalité de la région que je préside. En Rhône-Alpes, je travaille en bonne entente avec les huit départements, dont quatre ont une majorité de gauche et quatre une de majorité de droite. Il y a peu de domaines, comme le rappelait Alain Rousset, où les compétences se superposent : pour moins de 10 % du budget régional. Quand nous sommes appelés à gérer en commun des services, nous le faisons en bonne intelligence. J'en veux pour preuve les cités mixtes scolaires, où collèges et lycées cohabitent, ou la coordination dans les transports entre les bus départementaux et les trains régionaux, pour les horaires ou la tarification.

S'il faut bien sûr favoriser une meilleure harmonisation, ne peut-on le faire en approfondissant la notion de chef de file ?

Qui peut croire que le futur conseiller territorial, ce cumulard institutionnel, conseiller général en début de semaine et conseiller régional en fin de semaine, pourra faire vivre correctement ces deux assemblées aux compétences et à l'esprit si différent ?

Abaisser le pouvoir des assemblées a toujours été la marque des princes. Pourtant, notre Constitution, depuis la réforme de mars 2003, établit que, dans la République « décentralisée », régions et départements sont deux collectivités distinctes, ne pouvant exercer de tutelle l'une sur l'autre.

Or la notion de collectivité territoriale se définit à partir du principe de l'élection. L'identité constitutionnelle de chaque collectivité, qui relève du principe de libre administration, suppose une certaine forme de monopole de représentation, de sorte que les élus de chaque organe délibérant d'une collectivité ne soient pas élus en même temps pour représenter les intérêts d'une autre collectivité.

Je reviens à la région Rhône-Alpes. L'assemblée régionale compte aujourd'hui 157 conseillers. Selon les projections du ministère de l'intérieur, elle en compterait plus de 250 si cette contre-réforme allait à son terme.

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