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Intervention de Alain Rousset

Réunion du 19 janvier 2010 à 21h30
Concomitance des renouvellements des conseils généraux et des conseils régionaux — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlain Rousset :

En droit français, monsieur le secrétaire d'État, lorsqu'une société crée une seconde société avec les mêmes responsables et les mêmes actionnaires, cela porte un nom : l'une d'entre elles est une société fictive, une société écran. Voilà ce que prépare le projet de création d'un conseiller territorial ; l'une des deux assemblées territoriales, la région ou le département, deviendra une assemblée fictive.

Tout à été dit sur la constitutionnalité du texte, sur le risque de tutelle d'une collectivité sur une autre, sur le retour à l'établissement public régional, sur les alternatives qui vous ont été proposées, sur l'acte III de la décentralisation, sur un texte mal préparé et plein d'incertitudes.

Je voudrais quant à moi insister sur les non-dits qui sous-tendent ce texte, les non-dits politiques ou politiciens d'abord. Imaginons le film sur le conseiller territorial. Les régions et les départements sont majoritairement à gauche. Il va falloir diviser par deux le nombre d'élus et l'on va enclencher une bataille infernale. On peut en sourire, on peut même y prendre du plaisir, mais à un moment donné la perversité se retourne contre celui qui l'a armée.

On peut plus fondamentalement se dire que ce texte est profondément recentralisateur, qu'aujourd'hui les régions et les départements sont non pas des contre-pouvoirs, mais des pouvoirs démocratiquement élus exerçant comme partout en Europe, comme dans tous les pays démocratiques, des politiques différentes de celles de la majorité nationale et concernant l'égalité des chances, l'innovation, le développement économique, la formation, la régénération des services publics. Tous les services publics qui ont été transférés aux collectivités locales, quelle que soit leur sensibilité politique, ont été régénérés. C'est à cela que vous allez mettre un terme. Le texte que vous portez est fondamentalement centralisateur et jacobin.

Autre non-dit : la disparition des départements – c'est le rapport Balladur, le rapport Attali – en formant avec les régions, dans un mariage forcé, un couple improbable dont on sait pourtant que les partenaires n'ont en commun qu'à peine 10 % des interventions. Le département et la région gèrent des compétences totalement différentes dont les contraintes financières ont marqué encore plus nettement la séparation. Un modèle de décentralisation à la française, différent de celui des autres pays d'Europe, est en train – j'allais dire : était en train – de se mettre en place en distinguant deux blocs cohérents de compétences qui allient, d'un côté, le monde de la formation et celui de l'entreprise ; de l'autre, le monde de la solidarité et celui de l'équipement territorial. Tout le monde sait en effet – c'est l'exemple de Paris – que les compétences des départements sont beaucoup plus proches de celles des communes que de celles de la région.

Quel est donc le sens sous-jacent de ce texte si ce n'est que l'appareil d'État, les jacobins de notre pays, les centralisateurs sont aujourd'hui à l'oeuvre pour mettre en cause ce modèle de décentralisation. Il n'est pas un exemple en Europe qui puisse valider cet autre modèle que vous proposez. Peut-il se prévaloir de quelque crédit pour l'efficacité des politiques publiques ? Bien sûr que non ! Progressivement, élus régionaux et élus départementaux acquéraient des compétences dans des domaines compliqués : le social, la solidarité, l'équipement territorial relèvent du département ; le développement économique, la connaissance du monde industriel, la recherche, de la région. L'efficacité résultant de cette spécialisation ne va-t-elle pas être mise en cause ?

Sur le plan de la démocratie, faisons le film encore une fois. Une élection locale portant sur des bilans différents, des projets différents, des majorités différentes, quel sens cela peut-il avoir, monsieur le secrétaire d'État ? Comment mener campagne avec un département qui serait à droite et une région qui serait à gauche ? Comment l'expliquer à nos concitoyens démocratiquement, les yeux dans les yeux ? N'est-ce pas, d'une certaine manière, remettre ces élections dans l'ordre d'une élection nationale, contrairement à ce qu'expliquait l'un de nos collègues ? N'est-ce pas politiser à l'extrême des élections locales qui pouvaient jusque-là faire apparaître des tendances différentes, des propositions différentes de celles prévalant au niveau national ? Comment nos concitoyens vont-ils s'y retrouver dans l'élection d'un conseiller territorial qui serait un mélange hybride ? Et puis, bonjour le cumul ! Tous les partis politiques, de gauche et de droite, depuis quelques années, aspirent à une diminution du nombre des mandats, et là vous inventez un cumulard institutionnel. Il ne cumulera pas simplement ses deux mandats, mais pourra y ajouter ceux de président d'une communauté de communes et de maire, soit quatre mandats. Est-ce vraiment constitutionnel ?

Parlons maintenant de la diversité. Les listes régionales donnaient à un corps politique peut-être figé, trop lié à l'administration, aux fonctionnaires, la possibilité de diversifier les origines des élus. Qu'en sera-il demain ? L'élu cantonal, je l'ai dit, sera blanc, plutôt âgé, mais en tout cas pas issu de la diversité.

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