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Intervention de Dominique Souchet

Réunion du 19 janvier 2010 à 21h30
Concomitance des renouvellements des conseils généraux et des conseils régionaux — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDominique Souchet :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le Gouvernement ayant choisi de scinder la réforme des collectivités territoriales en plusieurs projets de loi successivement divulgués, nous sommes fatalement amenés, au cours du présent débat, à nous exprimer par anticipation – c'est-à-dire moins sur le texte très bref du projet de loi dit de concomitance que sur la réforme d'ensemble dont il est le prologue, telle que nous pouvons la pressentir.

En effet, ce texte se contente de fixer la date du big bang, sans nous en dévoiler encore la teneur. Cette situation a au moins un avantage : nous pouvons encore formuler des recommandations quant au fond et nourrir l'espoir qu'elles seront prises en considération d'ici au début de 2011.

Parmi ces questions de fond se pose d'abord celle du nombre d'échelons. On a beaucoup daubé sur le « mille-feuille », certains allant jusqu'à en conclure qu'il fallait procéder à l'élimination par évaporation de deux échelons, celui de la commune et celui du département.

Le seul problème, c'est qu'il n'y a pas de mille-feuille. L'existence en France de trois niveaux de collectivités n'est pas une anomalie. Elle correspond à des besoins partout reconnus. Elle est, en Europe, le droit commun, même s'il existe, à l'échelon régional, de très grandes disparités de taille entre nos petites régions et celles de nos partenaires.

On s'est beaucoup acharné sur le département. Certains, oubliant totalement l'existence même d'une ruralité, sont allés jusqu'à proposer le démantèlement des territoires départementaux autour des métropoles, des communautés urbaines et des communautés d'agglomération. D'autres souhaitaient transformer les départements en simples filiales des régions. Il semble que le Gouvernement, loin de retenir ces propositions destructrices, ait eu la sagesse de n'envisager la disparition ni d'un échelon de collectivités, ni de plusieurs. C'est une bonne chose.

Ce point étant acquis, reste la question centrale de la clause de compétence générale. Cette clause a souvent été caricaturée : on l'a présentée comme si elle permettait à toutes les collectivités d'intervenir dans tous les domaines, à tort et à travers, de manière compulsive, anarchique, redondante – en un mot, irresponsable.

La réalité est tout autre. En premier lieu, la clause de compétence générale n'entraîne ni surcoûts, ni dépenses inutiles. Le rapport du comité Balladur lui-même le reconnaît.

Ensuite, d'un point de vue juridique, aucun doublon n'est possible. Aucune collectivité n'agit dans tous les domaines. Lorsque les collectivités font jouer la clause de compétence générale, cette possibilité est juridiquement encadrée : elles ne peuvent agir que dans l'intérêt local, que lorsqu'il existe un intérêt local identifié et avéré et sous réserve que la compétence ne soit pas déjà dévolue à une autre personne publique. Le Conseil d'État l'a rappelé avec une grande clarté en 2001.

En revanche, cette clause constitue un instrument incomparable grâce auquel les collectivités de proximité peuvent satisfaire en permanence de manière adéquate les besoins changeants de leurs administrés. Elle permet d'apporter des solutions rapides, souples, réactives, adaptées et innovantes aux problèmes nouveaux qui se posent continuellement à l'échelle locale. Elle garantit aux citoyens que leurs demandes trouveront toujours une juste réponse. Elle est gage d'efficacité.

C'est encore la clause de compétence générale qui permet aux collectivités de répondre favorablement aux sollicitations de l'État lorsque ce dernier juge leur intervention indispensable à la réalisation d'équipements structurants. Or ces sollicitations ne devraient pas diminuer au cours des années à venir. Elles concernent déjà de très vastes domaines de compétence, des routes aux TGV, du logement à l'emploi, de l'économie à l'équipement hospitalier.

Cette clause conditionne la capacité d'initiative des collectivités locales. Sans elle, celles-ci n'ont plus qu'un rôle mécanique d'exécution qui tend à les assimiler à un guichet administratif. Dans notre monde en évolution constante, de nouveaux besoins surgissent en permanence ; des solutions nouvelles doivent donc être trouvées en permanence. Le législateur l'a bien compris lorsqu'il a inscrit dans notre droit, en 2004, le droit d'expérimentation des collectivités territoriales. Et c'est la clause de compétence générale qui en constitue l'instrument privilégié.

La réforme de 2004, dont la logique était pourtant celle des blocs de compétences, n'avait nullement jugé ces derniers incompatibles avec la clause de compétence générale. Pourquoi ne pas rester fidèle à cet esprit ?

Il semble au contraire que l'on veuille, dans le cadre de la présente réforme, restreindre la clause de compétence générale à un seul échelon, celui du bloc communal. Pourtant, interrogés, les communes et leurs groupements ne souhaitent absolument pas, dans leur immense majorité, être les seuls à en disposer. Au contraire, les communes et les communautés de communes redoutent plus que tout la disparition éventuelle de la clause de compétence générale, en particulier celle des départements.

En effet, elles savent que leurs investissements dans tous leurs domaines de compétence ne sont possibles que grâce à l'intervention et au financement conjoints des échelons communal et départemental, toujours, de l'échelon régional et de celui de l'État, souvent. Pourquoi, dès lors, réserver la compétence générale au seul échelon communal, qui, ne serait-ce que pour des raisons de taille, ne pourra manifestement assumer toutes les responsabilités ni, le plus souvent, financer à lui seul 50 % de l'investissement ?

En outre, qu'envisage-t-on en lieu et place de la clause de compétence générale ? La remplacera-t-on par des blocs de compétence exclusive absolument rigides, interdisant ou corsetant étroitement les interventions et les financements conjoints des différents échelons ? Si tel est le cas, la situation sera intenable. À l'efficacité théoriquement attendue se substitueront l'inefficacité et l'arbitraire, et les investissements nécessaires ne seront plus consentis.

Tentera-t-on alors de compenser cette rigidité en introduisant des procédures complexes et lourdes de « constat de carence » ou de « chef de filat », comme certains l'envisagent ? Plutôt que de s'orienter vers un tel système lourd et coûteux, aux antipodes des objectifs de la réforme, ne vaudrait-il pas mieux préserver la capacité de réaction et d'initiative, la liberté d'adaptation et d'innovation de toutes les collectivités de proximité, donc la clause de compétence générale ?

Enfin, pour pouvoir s'exercer, cette indispensable capacité d'innovation des collectivités territoriales de proximité doit rester liée à une autonomie fiscale réelle. Il en va des recettes fiscales comme des compétences : ou nous nous en tenons à un système fondé sur l'initiative et la responsabilité, ou nous basculons dans une situation où les collectivités tendent à devenir des organes d'exécution disposant pour l'essentiel de ressources attribuées.

Or de nombreuses incertitudes demeurent quant à la nature et à l'évolution des ressources de compensation de la taxe professionnelle. Il me paraît essentiel que le Gouvernement conserve des marges de manoeuvre substantielles afin de pouvoir adapter ces recettes de substitution à mesure que les simulations s'affineront, de sorte que les collectivités, et notamment les départements, puissent gager leur capacité d'innovation sur des ressources suffisamment dynamiques.

Vous le voyez, monsieur le secrétaire d'État, j'ai anticipé sur vos interventions à venir, afin d'adresser un message simple : le Gouvernement doit rester ouvert à des évolutions substantielles sur les questions essentielles de la clause de compétence générale et de l'autonomie fiscale, si l'on veut que les résultats de la réforme correspondent aux objectifs qu'on lui a assignés.

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