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Intervention de Élisabeth Guigou

Réunion du 19 janvier 2010 à 21h30
Concomitance des renouvellements des conseils généraux et des conseils régionaux — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉlisabeth Guigou :

Votre projet est inacceptable d'abord parce qu'il ne respecte ni le Parlement ni la Constitution, ensuite parce qu'il aboutirait, s'il était voté, à une régression. J'espère vous convaincre qu'une vraie réforme est possible, sur la base des propositions que nous avons défendues depuis plusieurs mois maintenant.

Votre projet de loi ne respecte ni le Parlement ni les obligations constitutionnelles. En effet, nous sommes ici face à une grande première : on fait délibérer le Parlement sur la concomitance du renouvellement des mandats de conseillers généraux et régionaux pour permettre la fusion de ces deux mandats, alors même que le Parlement n'a pas décidé de cette fusion. Nous sommes donc appelés à nous prononcer sur un projet de loi dont l'utilité et la mise en oeuvre dépendent de textes futurs, par définition purement virtuels, pour l'instant en tout cas. Nous sommes ici face à un cas d'école d'insécurité juridique, que les plus hautes cours européennes, ainsi que le Conseil d'État, ont déjà eu l'occasion de condamner

Vous allez me dire qu'il est mentionné, dans l'exposé des motifs du projet de loi, qu'« à l'avenir, les conseillers généraux et les conseillers régionaux formeront un ensemble unique d'élus, les conseillers territoriaux, siégeant à la fois au conseil général de leur département d'élection et au conseil régional de la région à laquelle appartient celui-ci ». Mais ce fameux conseiller territorial, qui n'est mentionné que dans l'exposé des motifs, n'a pour l'instant aucune existence, ni législative ni juridique. Il s'agit d'un homo politicus virtuel, sur lequel le Parlement ne s'est pas encore prononcé. Si, d'aventure, celui-ci venait à rejeter le projet de loi instituant le conseiller territorial – ce qui est possible, après tout, compte tenu des oppositions qui se manifestent un peu partout –, les dates des élections auraient donc été modifiées vainement. Pourquoi cette chronologie absurde et anticonstitutionnelle a-t-elle été choisie ? Serait-ce pour mieux étouffer la colère des élus de tous bords, y compris ceux de votre majorité ?

En tout cas, rarement Parlement été autant malmené. J'ai appartenu à un gouvernement dont les liens avec le Parlement étaient d'une tout autre nature : en cinq ans, jamais le gouvernement dirigé par Lionel Jospin n'a utilisé l'article 49-3. Jamais il n'a manqué de respect aux élus de la nation. Jamais il n'a considéré le Parlement comme une vulgaire chambre d'enregistrement des décisions de l'exécutif. Mais il est vrai que je vous parle d'un temps que même le prédécesseur de M. Accoyer, Jean-Louis Debré, regrette publiquement.

L'ombre de l'inconstitutionnalité plane sur le texte. Laurent Fabius et Bruno Le Roux l'ont déjà fait avant moi, mais permettez-moi à mon tour, monsieur le secrétaire d'État, de vous alerter, dans un esprit républicain, sur le double risque que vous encourez : juridique et politique.

Le risque juridique, d'abord. Dans vos interventions – le 15 décembre de l'année dernière, mais également aujourd'hui même –, vous semblez faire peu de cas de l'avis du Conseil d'État, qui s'est prononcé le 15 octobre sur la réforme des collectivités territoriales. Au risque de vous déplaire, je veux rappeler que la plus haute juridiction administrative critique sévèrement le mode de scrutin de ces nouveaux élus. Malheureusement, cela ne semble pas suffisant pour vous encourager à suivre son avis, pourtant motivé par le risque de remise en cause de la légalité et de la sincérité du scrutin, et par le risque de créer des institutions ingouvernables – ce qui fait tout de même beaucoup !

Je vous épargnerai les citations des décisions du Conseil d'État, qui ont déjà été abondamment commentées. Je soulignerai néanmoins qu'à la lecture de ces arguments, on comprend que vous ayez souhaité ne pas faire publier officiellement l'avis du Conseil d'État, en dépit de nos demandes pressantes. Il eût pourtant été sage d'écouter les recommandations de cette haute juridiction au lendemain des camouflets répétés que subit le Gouvernement. Combien de projets de loi censurés par le Conseil constitutionnel ? Les déconvenues rencontrées par la loi sur la rétention de sûreté, la loi HADOPI, ou la taxe carbone devraient vous rendre plus respectueux de nos règles de droit. Souvenez-vous que le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 6 juillet 1994, dans le cas d'un texte prévoyant la concomitance de deux scrutins, avait rappelé que « le principe de sincérité impose que le choix opéré par le législateur en faveur d'un regroupement dans le temps de consultations s'accompagne de modalités matérielles d'organisation destinées à éviter toute confusion dans l'esprit des électeurs. » Or, en l'espèce, vous n'évitez pas la confusion ; vous l'organisez, vous l'institutionnalisez ! Qui peut croire que le « conseiller territorial », hybride du conseiller général et du conseiller régional, pourra exercer correctement deux mandats très différents – siéger le matin dans son département, l'après-midi à la région – pour rendre compte le soir dans sa commune ? Pourquoi institutionnaliser le cumul des mandats alors que la sagesse et la volonté de faire vivre nos institutions démocratiques inciteraient au contraire à aller vers le mandat unique ?

À l'évidence, ce nouveau motif d'inconstitutionnalité ne vous effraie pas. Je suis personnellement une fervente partisane du respect des règles et des procédures classiques. Et puisque André Gide nous disait que « le classicisme tout entier tend vers la litote », permettez-moi d'en user ici : je crois savoir que votre majorité est loin d'être enchantée par la création de cet élu nouveau. Peut-être serez-vous plus sensible au risque politique qu'au risque juridique ?

Votre réforme suscite des oppositions de tous bords. Certes, la gauche à laquelle j'appartiens s'oppose farouchement à cette réforme, certes, les élus locaux de mon bord manifestent leur mécontentement. Mais je crois pouvoir dire que, cette fois, quelques-unes des attaques les plus violentes contre cette réforme viennent de votre propre camp. Je ne peux résister à l'envie d'illustrer mon propos : « La méthode employée consiste à se foutre du monde [...] Avec l'État, on sait comment ça commence, pas comment ça finit ». Non, mes chers collègues, je n'ai pas entendu cette phrase lors d'une réunion du groupe socialiste. C'est Alain Juppé, ancien Premier ministre et membre éminent de l'UMP, qui l'a prononcée. Un autre Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, ne manifeste pas non plus un grand enthousiasme à la lecture de cette réforme, à moins que je ne l'aie pas bien compris lorsqu'il s'était plaint que l'État mette les collectivités sous tutelle et que la décentralisation recule. François Baroin qui, je crois, appartient également à votre majorité, qualifie votre réforme de « recentralisation ». Certains élus préfèrent garder l'anonymat mais je n'ai pas le souvenir d'avoir entendu pareille unanimité contre un texte du Gouvernement.

Votre réforme est synonyme d'une triple régression : sociale, démocratique et territoriale. Depuis début janvier, j'ai participé à de nombreuses cérémonies de voeux dans mon département de Seine-Saint-Denis. J'ai rencontré de nombreux élus et électeurs de gauche comme de droite ; j'ai entendu, monsieur le secrétaire d'État, l'angoisse des maires et des présidents de conseils généraux et régionaux qui n'osent plus financer des projets faute de ressources, qui craignent de ne plus pouvoir mener à bien leurs missions, qui redoutent de devoir renoncer à leurs engagements. J'ai vu l'inquiétude dans le regard de nos concitoyens, qui vont pâtir des conséquences de vos projets, qui vont subir la dégradation des services publics, qui vont étouffer sous le poids des impôts locaux. J'ai mesuré combien tous – élus, présidents d'associations, citoyens – étaient effrayés par les conséquences d'une réforme qui s'annonce comme un cataclysme.

Depuis le retour de la droite au pouvoir, les projets régressifs s'accumulent dans tous les domaines. Nous avons connu des reculs sociaux majeurs sur les retraites, sur le code du travail, sur le système de santé, sur le pouvoir d'achat, sur l'indemnisation des chômeurs – un million d'entre eux vont arriver en fin de droits – et sur la lutte contre la précarité. Nous avons également assisté à d'inacceptables régressions démocratiques, la plus récente étant sans doute le redécoupage des circonscriptions législatives, dont nous parlions cet après-midi. Force est de reconnaître que vos ciseaux se sont révélés cruellement tranchants, surtout pour la gauche. Enfin, l'asphyxie financière des collectivités territoriales n'a cessé d'augmenter. Les gouvernements ont désengagé financièrement l'État, y compris dans ses domaines de compétences. Je pense aux lignes de trains à grande vitesse, au financement desquelles les collectivités locales ont été sommées de participer. Le Gouvernement a également transféré des compétences aux collectivités territoriales sans juste compensation financière. Un seul exemple : l'allocation personnalisée d'autonomie pour les personnes âgées dépendantes, partagée en deux parts égales entre l'État et les départements lorsque j'ai fait voter la loi, est aujourd'hui financée aux trois quarts par les départements.

Le texte que nous examinons aujourd'hui est un sommet dans son genre : il cumule les défauts, les reculs, les injustices. Vous avez réussi à concentrer en une réforme une triple régression : fiscale et sociale, démocratique et territoriale.

Je passerai rapidement sur la régression fiscale, puisque nous avons déjà débattu ici même de la suppression de la taxe professionnelle. Je veux simplement faire remarquer que vous avez justifié cette suppression, qui va considérablement alléger l'impôt payé par les entreprises au niveau local, en répétant à l'envi : « si on ne supprime pas la TP, les entreprises vont délocaliser ». Or, moins d'un mois après l'adoption de cette réforme, et malgré les aides de l'État, le constructeur Renault menace encore de délocaliser totalement la fabrication de la Clio.

Les collectivités locales vont perdre l'autonomie fiscale que leur garantit pourtant la Constitution. Les régions n'auront plus le droit de lever l'impôt elles-mêmes, celui-ci étant compensé – d'ailleurs imparfaitement – par l'État. Croyez-vous aller dans le sens de l'histoire en recentralisant notre pays, à l'heure où l'État n'a pas les moyens d'assurer ses missions ? Ne croyez-vous pas, monsieur le secrétaire d'État, que les élus locaux soient les mieux placés pour dessiner l'avenir de leurs territoires ? Ne croyez-vous pas que ceux qui, chaque jour, se confrontent à l'épreuve du terrain, ceux qui, chaque jour, sont à l'écoute de leurs concitoyens, ceux qui, chaque jour, tissent du lien social, ceux qui, chaque jour, arpentent leurs territoires pour réfléchir à les améliorer, soient aussi les plus compétents pour décider des projets à entreprendre et des mesures à prendre ? La confiance dans les élus locaux avait guidé les premières lois de décentralisation, mais aussi, je dois le dire, celles votées à l'initiative de M. Raffarin en 2003. Il semble que l'heure soit désormais à la défiance, et je m'en désole.

Les collectivités territoriales, orphelines d'un véritable impôt économique, mais obligées d'assumer les missions que l'État ne veut plus ou ne peut plus assurer, devront trancher un dilemme cornélien. Deux solutions seulement s'offrent à elles pour compenser ce manque à gagner : ou la qualité des services publics rendus à la population diminuera, faute de ressources suffisantes pour entretenir les infrastructures et payer les personnels, ou le niveau des rentrées financières sera maintenu – mais dans ce cas, ce sont les impôts locaux qui seront augmentés, et ce sont les ménages qui paieront la facture. La triste réalité est bien là : nous allons à nouveau assister à un appauvrissement des plus vulnérables.

Je veux également dénoncer, à mon tour, la manipulation électorale à laquelle vous procédez, qui a pour conséquence de porter atteinte à la démocratie. Avec la création d'un éventuel « conseiller territorial », le Gouvernement prétend vouloir débroussailler le « mille-feuille administratif français » et faire des économies. Balivernes ! Les conseillers généraux et régionaux comptent pour 1 % du nombre total d'élus locaux, et leurs indemnités représentent moins d'un millième du budget des collectivités concernées.

Il est même probable que les conseillers territoriaux que vous voulez créer seront à l'origine de dépenses supplémentaires : d'abord parce qu'il faudra bien rémunérer leur double mandat, mais aussi parce que les hémicycles de certaines régions risquent d'être trop petits pour les accueillir, ce qui nécessitera d'en construire d'autres. S'il s'agissait de faire rentrer de l'argent dans les caisses de l'État, la suppression du bouclier fiscal serait sans doute nettement plus efficace !

Mais voyons le fond. Il s'agirait donc de créer une nouvelle catégorie d'élus, qui siégeraient à la fois à la région et au département. D'abord, je veux redire mon attachement à la spécialisation des compétences des élus. Le conseiller général s'engage auprès des personnes âgées dépendantes, des personnes handicapées, de l'insertion des RMIstes, de la protection des femmes battues, de la petite enfance et de toutes les formes d'action sociale. Par ses actions de proximité, il crée un lien précieux avec nos concitoyens. Le conseiller régional, lui, travaille au développement économique, aux transports, à l'aménagement des territoires, à construire ou rénover les établissements scolaires, il soutient la formation, l'emploi, contribue à la mobilité des jeunes et s'inscrit dans une démarche plus globalisée à l'échelle européenne. Le brouillage entre ces deux catégories présente un grand danger, et ce n'est pas mépriser les élus que de le dire, au contraire. Dans l'organisation que vous préconisez, les régions deviendront des fédérations de grands cantons, où chaque élu sera tenté de ne représenter que son territoire d'élection. Quant aux élus départementaux, ils ne seront plus en mesure d'assurer leurs missions sociales et d'assumer correctement leur rôle d'élus de proximité. Avec le conseiller territorial, on réussira l'exploit d'affaiblir à la fois la région et le département !

Mais ce n'est pas tout : cette confusion inédite des rôles, cette nouvelle situation où la même personne serait à la fois l'élu du département et de la région, pose un nouveau problème constitutionnel. En effet, par cette confusion, non seulement vous institutionnalisez le cumul des mandats, mais vous portez atteinte à l'autonomie des collectivités. Les grandes lois de décentralisation de 1982 étaient guidées par un principe très clair : l'absence de tutelle d'un niveau de collectivité sur un autre. Qu'implique ce principe ? Des assemblées et des élus distincts, pour des dossiers et des intérêts divers. Inutile de dire que le projet que vous nous soumettez, qui organise la confusion des fonctions, ne répond pas exactement à ce principe, désormais consacré par la Constitution. Je rappelle l'article 72, alinéa 3 de notre loi fondamentale qui impose que « coexistent de manière distincte deux assemblées qui ne sauraient être confondues ». Là encore, le risque d'inconstitutionnalité est fort.

Le mode de scrutin est également très abscons. Je serai brève sur ce point déjà largement évoqué par Bruno Le Roux.

Je veux rappeler moi aussi les propos tenus par M. Nicolas Sarkozy, même s'il est vrai qu'il était alors seulement ministre. Il avait déclaré : « Le scrutin le plus simple, c'est incontestablement le système anglais : scrutin uninominal majoritaire à un tour. Il est d'une simplicité biblique, mais d'une brutalité sauvage ! » Or c'est ce mode de scrutin que vous voulez nous faire adopter.

Il est bien entendu contraire à l'objectif de parité inscrit, comme l'a rappelé Laurent Fabius avec beaucoup d'éloquence, à l'article 1er, alinéa 2, de notre Constitution : « La loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu'aux responsabilités professionnelles et sociales. »

Cela fait dix ans, monsieur le secrétaire d'État, que le gouvernement auquel j'appartenais a fait adopter la loi sur la parité. J'avais eu l'honneur de porter ici même le texte de la révision constitutionnelle. Les mentalités avaient évolué et la droite avait alors intégré que les femmes savaient faire autre chose que les tâches ménagères. Quelle triste manière de célébrer l'anniversaire de cette avancée majeure pour la cause des femmes et de cet approfondissement de la démocratie qu'a été la parité !

Si votre projet était adopté, le recul de la parité dans les régions de notre pays serait rude, car seul le scrutin de liste garantit son respect. C'est ainsi que la France peut s'enorgueillir d'avoir aujourd'hui 47,6 % de conseillères régionales. Pour les élues, particulièrement mobilisées à l'Assemblée nationale comme au Sénat, quel que soit leur groupe politique, c'est un recul inacceptable de l'égalité démocratique qui s'annonce.

Des projections montrent qu'en 2014 les femmes perdraient 58 % des sièges qu'elles détiennent dans les conseils généraux et régionaux. Non, monsieur le secrétaire d'État, vous ne pourrez pas apaiser la colère des femmes élues, ainsi que celle de beaucoup d'hommes, en prétendant les consoler en leur disant qu'elles pourront être des suppléantes. Les femmes ne se contenteront pas du rôle de modestes suppléantes !

Surtout, avec le mode de scrutin que vous nous annoncez au nom de la simplification du système administratif français, il s'agit de brouiller la répartition des compétences, d'instaurer la confusion dans l'esprit des citoyens et de conduire à la création de collectivités potentiellement ingouvernables. Je crois vraiment qu'il faut saluer l'exploit qui consiste à vouloir faire élire les 20 % de conseillers territoriaux qui resteraient désignés à la proportionnelle « en fonction du nombre de suffrages […] obtenus dans chaque canton par les candidats qui n'ont pas été élus au mandat de conseiller territorial ».

J'avoue que, lorsque j'ai lu cela, je n'en ai pas cru mes yeux. En effet, ne seraient pris en compte que les votes exprimés en faveur de ceux qui n'auraient pas été élus au scrutin uninominal. Autrement dit, les conseillers territoriaux élus à la proportionnelle le seront grâce aux suffrages qui ne se seront pas portés sur eux pour les élire au mandat de conseiller territorial.

Voulez-vous donc rester dans l'histoire comme celui qui aura organisé la valse des battus ? Ou bien s'agit-il là d'une « assurance mandat » pour tous les ministres récemment malheureux aux élections municipales ? Quel que soit le motif, en tout cas, j'imagine que l'explication sera simple à fournir aux citoyens... Permettez-moi une nouvelle fois de vous rappeler l'exigence d'intelligibilité de la loi.

Cette solution absurde, absconse, inefficace, inconstitutionnelle et antidémocratique n'a été retenue en réalité que parce qu'elle est une arme contre la gauche, qui, c'est vrai, gagne les élections locales et a bien l'intention de continuer.

Je voudrais maintenant insister sur la consécration, dans votre projet, des inégalités territoriales. En effet, vous voulez supprimer la clause de compétence générale pour les départements et les régions. Selon votre projet, seules les communes pourraient continuer d'en bénéficier. Je voudrais vous alerter et vous redire pourquoi nous sommes opposés à ces dispositions.

Évidemment, la spécialisation des compétences respectives des régions et des départements est déjà importante ; elle constitue d'ailleurs un fait majeur. On sait que la quasi-totalité du budget des régions va à leurs compétences propres, que j'ai déjà citées tout à l'heure. De la même façon, la quasi-totalité du budget des départements est dédiée à leurs compétences de proximité. Par conséquent, pour ce qui est des compétences partagées, qui représentent entre 5 % et 15 % des budgets et qui concernent la culture, le sport et les associations, il est vrai, en effet, que l'on peut simplifier les procédures. Mais nous avons sur ce sujet des propositions que je détaillerai tout à l'heure. Et, de grâce, conservons les cofinancements par les communes, les régions et les départements !

Vous me direz que, dans le projet que nous allons avoir à examiner, les cofinancements sont maintenus. Certes, mais ils seraient strictement encadrés. Les projets municipaux ne pourraient bénéficier de subventions des départements et des régions que si la commune assure la moitié du financement. Conjugué à la suppression de la taxe professionnelle, ce dispositif constitue un gros problème pour les investissements. J'ajoute que les communes pauvres, urbaines ou rurales – et je suis l'élue de l'une d'entre elles, en Seine-Saint-Denis – n'auront pas la capacité de fournir la moitié des financements.

Qu'adviendra-t-il alors des associations, des activités culturelles et du sport amateur ? Tout cela sera condamné à disparaître. Or, si ces éléments sont partout indispensables, ils le sont tout spécialement dans les territoires défavorisés. La diminution des ressources des collectivités grèvera encore plus le pouvoir d'achat de nos concitoyens, notamment dans les collectivités les plus pauvres. Je crois que les conséquences, pour nos enfants, pour nos aînés, pour notre vie au quotidien et pour notre vie associative, seront terribles.

Pourtant, une autre réforme est possible – et j'en terminerai par là. Il s'agirait d'une réforme audacieuse et juste, pour un nouvel acte, un acte III, de la décentralisation.

Vous auriez pu obtenir le consensus, monsieur le secrétaire d'État, s'il y avait eu une vraie concertation. Et il n'est peut-être pas trop tard, car, contrairement à ce que vous affirmez souvent, nous ne sommes pas pour l'immobilisme. Nous appelons de nos voeux, et depuis plusieurs années déjà, une réforme territoriale digne des grandes lois de décentralisation initiées par les gouvernements socialistes. En effet, vingt-cinq ans après les lois Mauroy-Defferre et dix ans après les premières lois sur l'intercommunalité, des améliorations sont nécessaires. Mais la grande différence entre votre projet et le nôtre, c'est que la réforme que nous proposons est guidée par la confiance que nous avons dans les élus locaux, et non par la défiance et les faux procès. Car la décentralisation, cela marche : nous le voyons dans les transports publics, les lycées, les actions sociales de proximité ou encore la vitalité culturelle et sportive.

Quelles sont nos propositions ? D'abord, évidemment, il ne peut pas y avoir de réforme de l'organisation territoriale avec le projet fiscal que le Gouvernement a fait voter. Nous avions notre propre projet, que nous avions détaillé ici même et que je ne rappellerai donc que brièvement. Il est très important que la réforme territoriale soit guidée par trois exigences majeures : la solidarité, l'égalité et la démocratie.

Une réforme fiscale et financière globale constitue un préalable à tout approfondissement ou à toute modernisation de la démocratie territoriale. Comme vous le savez, nous proposons cette refonte de la fiscalité locale autour de trois grands principes : une vraie péréquation entre territoires riches et territoires pauvres ; l'équilibre entre l'impôt acquitté par les entreprises et celui versé par les ménages ; une meilleure égalité de l'impôt sur les ménages.

Malheureusement, devant les inégalités entre territoires qui n'ont cessé de croître, s'ajoutant aux inégalités sociales, la péréquation est pour l'instant extrêmement réduite. Or, pour nous, la péréquation des ressources entre les collectivités riches et les collectivités pauvres devrait constituer un préalable à toute réforme, et non pas un codicille inscrit pour la forme à la fin d'un texte. Pour la mise en place d'une réelle péréquation, verticale et horizontale, le concours de l'État est absolument nécessaire. Nous considérons que le quart au moins des dotations d'État devrait être affecté à la péréquation dans un délai de dix ans.

La taxe d'habitation doit être refondée, non seulement en révisant les bases, mais aussi en établissant un lien avec le revenu des habitants. En effet, monsieur le secrétaire d'État, est-ce que vous trouvez normal, est-ce que vous trouvez admissible, est-ce que vous trouvez décent que, dans un département que je connais bien pour en être l'élue – la Seine Saint-Denis –, la taxe d'habitation soit plus élevée que dans les Hauts-de-Seine ? Sans abuser de clichés, tout le monde sait bien que les populations sont moins aisées dans mon département que dans celui qui fut la terre d'élection du Président de la République.

Quant à la défunte taxe professionnelle, il fallait bien sûr la réformer, mais en la remplaçant par un impôt sur les entreprises qui ne pénalise pas l'investissement et l'innovation, qui garantisse au contraire le lien avec les territoires et permette une intégration des entreprises dans le projet de territoire. Votre réforme, malheureusement, va en sens inverse ; elle ne propose pas une réforme de la fiscalité locale qui permettrait de donner aux collectivités décentralisées une réelle autonomie en garantissant la dynamique de leurs ressources.

Enfin, les collectivités devraient être associées aux grands projets de l'État – je pense notamment au plan de relance. Je rappellerai que les collectivités réalisent 75 % des investissements publics, avec une dette dix fois moins importante que celle creusée par l'État.

Nos propositions concernent ensuite la simplification et la clarification des compétences. La réforme que nous réclamons partage des ambitions avec celle que vous proposez aujourd'hui : la clarification, la simplification et la modernisation. Toutefois, les solutions que vous avancez nous paraissent totalement à contre-courant des objectifs que vous avez énoncés.

Clarifier, simplifier et moderniser, ce n'est pas amputer un niveau et affaiblir les pouvoirs locaux, mais au contraire expérimenter, privilégier l'initiative locale et la confiance faite aux élus, bref renforcer la décentralisation. Or l'État recentralise. Et c'est pour cela que nous nous prononçons en faveur du maintien des trois niveaux constitutionnels de collectivités territoriales et de leur compétence générale. Car il est possible de simplifier et de clarifier sans supprimer cette clause.

Il faut pour cela que les régions et les départements interviennent dans le cadre du bloc de compétences qui leur a été dévolu par la loi. La collectivité compétente peut solliciter des financements d'autres partenaires ; elle le ferait alors en tant que chef de file et dans le respect du principe selon lequel une collectivité ne peut exercer de tutelle sur une autre. Le fait de désigner des chefs de file qui organiseraient un guichet unique pour coordonner les financements croisés permettrait d'améliorer encore la spécialisation déjà bien engagée et de clarifier davantage les compétences.

Il est vrai que, dans le cadre européen, les régions ont vocation à se renforcer pour devenir l'échelon pertinent d'action en matière de développement économique et de structuration du territoire. Parallèlement, les départements qui investissent dans l'action sociale et la solidarité en faveur de certaines catégories fragiles devraient voir reconnu et déterminé par la loi leur bloc de compétences.

L'expérimentation chère à M. Raffarin pourrait avoir ici une utilité puisqu'elle permettrait de tester de nouvelles répartitions de compétences pour tenir compte de la diversité des situations locales et établir des conventions entre collectivités de niveaux équivalents ou différents. Les collectivités territoriales pourraient alors négocier entre elles des délégations de compétences.

Enfin, nos propositions concernent la démocratie locale. Pour nous – je serai brève sur ce sujet car nous y reviendrons dans les textes que vous nous présenterez dans le futur – il s'agit de privilégier trois axes. Premier axe : rationaliser les intercommunalités, car celles-ci doivent en effet être généralisées. Nous vous approuvons donc sur ce point, qui constituait d'ailleurs déjà une proposition de M. Mauroy. Comme quoi nous ne sommes pas dans l'opposition systématique et absolue ! Encore faut-il se donner des règles pour éviter les doublons et favoriser l'élaboration de vrais projets d'intercommunalité.

Deuxième axe : développer la parité. Sur ce sujet, il va vraiment falloir, monsieur le secrétaire d'État, que vous nous disiez comment vous allez faire pour ne pas entraîner un recul de la parité, notamment dans les régions. Pour notre part, nous voulons la développer dans toutes les catégories de collectivités.

Troisième axe : accorder le droit de vote aux élections municipales aux étrangers non européens résidant en France depuis plus de cinq ans. J'avais, en 2000, obtenu à l'Assemblée nationale une majorité sur cette proposition. Malheureusement, le texte n'a pas pu aller plus loin en raison de l'opposition annoncée du Sénat. J'avais noté avec beaucoup d'intérêt les propos tenus par le Président de la République et les promesses qu'il avait faites. J'espère que nous verrons un jour – rapidement – ces promesses tenues.

La clé de la réussite de la nécessaire réforme territoriale est donc entre vos mains, monsieur le secrétaire d'État. Il vous suffit d'abandonner les manoeuvres électorales visant à reprendre politiquement en main les collectivités locales, au profit d'une ambition bien plus noble et plus digne de notre République : construire une véritable démocratie locale avec, au service des citoyens, qui permettra de mieux répondre à leurs préoccupations quotidiennes, à leurs aspirations, à leurs attentes et à leur volonté de peser sur leur destin.

Nous voulons mettre en oeuvre une démocratie territoriale plus efficace et plus juste, soutenue par un État stratège qui assumera ses missions. C'est à ces conditions seulement que le dernier acte de la décentralisation pourra être réussi ; c'est à ces conditions seulement que la démocratie locale pourra être renforcée, approfondie et dynamisée ; c'est à ces conditions que les citoyens pourront vivre dans une République plus juste et plus égalitaire. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

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