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Intervention de Patrick Braouezec

Réunion du 19 janvier 2010 à 21h30
Concomitance des renouvellements des conseils généraux et des conseils régionaux — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrick Braouezec :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, avec ce texte, a priori anodin, nous abordons la première étape d'une réforme qui s'annonce pourtant essentielle tant son impact sera grand sur le fonctionnement de notre République ainsi que sur les principes fondamentaux de la décentralisation engagée depuis plusieurs décennies maintenant. Je parle de la fameuse réforme territoriale dont nos collègues sénateurs ont eu la primeur et dont ils commencent l'examen aujourd'hui.

Il s'agit donc moins de discuter des deux mini-articles qui composent ce projet de loi que de lire entre les lignes et de noter les absences du rapport qui l'accompagne, rapport que nous devons à notre collègue Perben et dont nous démonterons les arguments, tant ils ne peuvent justifier un tel chamboulement électoral.

Vous avez beau affirmer, monsieur le rapporteur, que « cet aménagement ciblé » portant sur la concomitance du calendrier électoral ne liera pas le législateur quant à l'institution ultérieure de conseillers territoriaux communs aux départements et aux régions, nous nous interrogeons sur le sens des prochaines échéances cantonales et régionales, dont le seul impératif est pourtant de répondre à la création des futurs conseillers territoriaux.

Le projet de loi qui les institue, s'il a été déposé au Sénat, n'est pas encore inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. Il s'agit donc pour nous de nous prononcer sur un texte dont la majeure partie n'est pas encore discutée. Le texte que nous examinons anticipe donc clairement sur la réforme territoriale, et cela au mépris du Parlement, convoqué en dernière instance pour valider les décisions gouvernementales. De nouveau, la procédure d'urgence est engagée : elle devient en quelque sorte la norme de nos travaux. Le parcours de la décision législative est certes respecté à la lettre, mais l'esprit n'y est décidément plus, comme nous l'avons encore constaté cet après-midi.

Ce projet de loi n'a de sens que s'il est accompagné des trois autres. Mais, si vous avez tenu à décliner la réforme des collectivités territoriales sous la forme d'une sorte de kit de quatre projets de loi dépendant les uns des autres, vous n'avez néanmoins de cesse de répéter que le texte que nous examinons n'est pas intrinsèquement lié à la mise en place des conseillers territoriaux et au reste de la réforme.

Ainsi, vous nous répétez qu'il s'agit avant tout de réaliser des économies, l'organisation d'élections différentes et, surtout, les élus représentant un coût trop important. Ce coût est indéniable, mais nous considérons qu'il est justifié, dans la mesure où ces élus, par leur mandat et leur implication sur le territoire qu'ils représentent, sont garants de la démocratie représentative, laquelle – vous en conviendrez, puisque c'est le sens de votre réforme – serait particulièrement fragilisée. Mais de cela, il n'est jamais question.

Penser que les électeurs seraient perdus face à un trop grand nombre d'échéances électorales, c'est nier la question de la proximité. Vouloir y remédier en cumulant les mandats, c'est nier le statut spécifique et « bénévole » de l'élu. Il est vrai que la démocratie a un coût, mais pousserez-vous votre obsession du rabotage budgétaire jusqu'à la paralyser pour faire des économies ? Tel est, en tout cas, le sens de la réforme territoriale dont ce texte est la première étape.

En outre, la création de conseillers territoriaux, qui porteront la charge de conseillers, nous entraîne vers une professionnalisation de l'élu, alors que nous n'avons eu de cesse de proposer un statut de l'élu, qui respecte sa fonction et son ancrage dans le territoire qu'il représente. La fonction d'élu local relève en effet bien souvent du bénévolat, sans que cela soit reconnu. Or, avec cette réforme, la charge de travail représentée par les mandats de conseillers généraux et régionaux sera monumentale et ne permettra plus la proximité. Bien au contraire, elle aura pour effet majeur de déterritorialiser les élus : passer de 6000 à 3000 élus, c'est, par définition, aller contre la proximité. Sachant que, par ailleurs, vous avez mis en oeuvre la révision générale des politiques publiques, on comprend que l'objectif de cette réforme est moins de couper l'herbe sous le pied à l'ensemble de la représentation publique que de faire réaliser des économies aux collectivités territoriales.

Il s'agit tout simplement d'une remise en cause fondamentale de la décentralisation, pourtant bien engagée, qui a permis, ces dernières années, de faire face au désengagement de l'État. Non seulement la majorité ne s'acquitte pas des transferts financiers équivalents aux transferts de compétences, essentiels pour que ces derniers soient réalisés en bonne et due forme, mais elle réforme la taxe professionnelle. Après le débat sur le Grand Paris, qui s'assoit sur les collectivités locales pour installer un « Grand 8 » au détriment des intérêts locaux, cette réforme achève l'offensive gouvernementale contre les collectivités territoriales, derniers contre-pouvoirs locaux à la politique néolibérale du Gouvernement.

Que deviendront nos territoires, en Seine-Saint-Denis et ailleurs, sans les politiques volontaristes des communes, de leurs communautés d'agglomération, des conseils généraux et régionaux ? Territoires où, soit dit en passant, il est difficile d'envisager l'augmentation de la taxation des ménages à revenu moyen, déjà largement taxés, et où les élus sont parvenus à créer un véritable lien avec les entreprises, sans nuire pour autant à leur capacité d'investissement et à la création d'emplois.

Mes chers collègues, j'ai bien compris l'argumentaire que le Gouvernement et sa majorité ont servi à nos collègues sénateurs lors de l'examen de ce texte devant la chambre haute. Dès que les sénateurs de l'opposition expliquaient les conséquences dramatiques de la réforme des collectivités territoriales, leurs collègues de l'UMP au grand complet leur répondaient que le projet de loi n'organise que la concomitance de deux élections et n'a aucun rapport avec la réforme des collectivités. C'est faux !

Du reste, j'en viens maintenant au point à mon sens le plus scandaleux du « kit territorial » préparé par M. Hortefeux : le mode de scrutin qui s'appliquera en mars 2014 si le présent projet de loi est voté ; nous sommes donc en plein dans le sujet. Nicolas Sarkozy a retenu le scrutin uninominal à un tour, avec une mini-dose de pseudo-proportionnelle de liste. Outre qu'il vise à asseoir l'autorité du parti majoritaire actuel au niveau local, ce mode de scrutin balaie complètement les principes du pluralisme politique, qui est pourtant un des piliers fondamentaux du paysage politique et du débat démocratique français.

Inspiré du modèle anglo-saxon, il permettrait en effet d'installer durablement le bipartisme dans notre pays. Sans vouloir défendre à tout prix le groupe auquel j'appartiens, il me semble que l'existence, la légitimité et la reconnaissance élective de différents partis sont un signe de bonne santé démocratique, de débat politique légitime. Le contraire est synonyme de régression démocratique. Notons au passage que nous n'avons pas eu recours à ce mode de scrutin depuis 1852. Celui-ci implique que le choix de la personne prime sur le programme, que seuls les grands partis seront représentés. Or le pluralisme de la représentation politique est un moteur du dynamisme démocratique de notre République. Le bipartisme ne peut être considéré comme une avancée démocratique ; au contraire, il est synonyme de régression démocratique.

Comment expliquer aux administrés la non-représentation de certains courants, quels qu'ils soient ? Aujourd'hui, selon les élections et les assemblées, entre 15 et 30 % des électeurs qui se sont déplacés pour voter ne sont pas représentés. Ce n'est pas normal ! La vie politique française ne se limite pas au bipartisme, qui, encore une fois, est synonyme de régression démocratique. L'Assemblée, presque bicolore, n'est pas le miroir de l'expression des suffrages, et encore moins celui de notre réalité et de notre diversité politiques. Il ne peut en être de même au sein de nos assemblées territoriales.

Lors du débat sur la réforme constitutionnelle, nous avions insisté sur la question de la proportionnelle, qui est loin d'être annexe. Là encore, nos propositions ont été balayées d'un revers de main. Permettez-nous donc de douter de la sincérité de votre propos quand vous affirmez que la justification essentielle de cette réforme est de réconcilier les citoyens avec le politique.

Si le seul risque qu'il comportait était celui du bipartisme, nous ne serions pas aussi révoltés contre ce mode de scrutin. Mais il y a beaucoup plus grave : le choix d'élections à un seul tour. Celles-ci permettraient en effet à l'UMP de rafler la majorité des mandats au prix d'une surreprésentation grotesque. Souvenez-vous des résultats des élections européennes de 2009 : le nombre des élus UMP est disproportionné par rapport au score de ce parti, et ce en raison des déformations du scrutin à un seul tour.

Par ailleurs, ce mode de scrutin rend quasi impossible le respect de la parité. La valeur contraignante de la loi de 1999 s'envole en moins de temps qu'il ne faut pour le dire. L'exemple régional, dont la représentation est la plus égalitaire, va donc disparaître. En bref, cette loi s'assoit, là encore, sur une avancée majeure de la vie politique française de ces dernières années. Or il faut rappeler que nous sommes encore très en retard sur la question de la parité : il suffît de regarder cet hémicycle, même si, ce soir, nous ne sommes pas trop mal lotis.

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