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Intervention de Marie-Françoise Pérol-Dumont

Réunion du 19 janvier 2010 à 21h30
Concomitance des renouvellements des conseils généraux et des conseils régionaux — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-Françoise Pérol-Dumont :

Le malaise avec lequel vous nous avez donné des explications, monsieur le secrétaire d'État, atteste au demeurant de cette incongruité.

Les conseillers territoriaux n'ont pour l'heure aucune existence légale, pas plus que leur mode de scrutin ou leur circonscription électorale. Mais réjouissons-nous, nous savons au moins qu'ils seront élus pour six ans ! Nous ne connaissons ni le nombre de cantons pour chaque département ni leur périmètre, lesquels seront fixés, nous dit-on, par ordonnance. Beau procédé démocratique sur un sujet qui ne concerne rien de moins que la représentation locale de nos concitoyens ! Mais, encore une fois, réjouissons-nous puisqu'on nous affirme qu'il y aura au moins quinze cantons par département, sachant que le nombre moyen est aujourd'hui de quarante cantons ! Belle avancée en termes de rapprochement de l'élu de ses concitoyens !

Quant au mode de scrutin annoncé, que le Parlement n'examinera pas avant la fin de l'année 2010 ou le début de 2011, ce que nous en connaissons aujourd'hui nous paraît totalement invraisemblable au regard de notre tradition républicaine, et nous savons tous, quoi que vous en disiez, monsieur le secrétaire d'État, qu'il a suscité d'extrêmes réserves de la part du Conseil d'État au regard du respect de l'égalité et de la sincérité des suffrages découlant de son application.

Et que dire de la question de la constitutionnalité ? D'évidence, elle ne manquera pas d'être posée. À cet égard, je ferai miens les propos d'un éminent universitaire qui déclarait dans un grand quotidien ce week-end : « La Constitution n'empêche pas les politiques de gouverner ni de réformer la société ; elle ne limite pas la liberté d'action des hommes politiques, elle contient seulement l'arbitraire. »

Il faut dire qu'un scrutin uninominal à un tour, qui permettra d'être élu sans être majoritaire, est pour le moins inédit en France. Je ne ferai pas l'offense d'imaginer qu'une telle idée ait germé dans le cerveau enfiévré d'un expert ès élections, après un examen attentif des résultats des formations politiques arrivées en tête au premier tour lors des précédentes consultations électorales, tellement cette pratique s'apparenterait à celles d'une démocratie balbutiante s'initiant aux délices du suffrage universel. Et pourtant, cela y ressemble beaucoup !

Sans doute est-ce pour limiter ces critiques qu'il a été prévu que 20 % des conseillers seraient élus à la proportionnelle. Ceci constituera, en quelque sorte, un tour de repêchage pour permettre aux formations politiques laminées par la brutalité du scrutin uninominal à un tour de ne pas être purement et simplement éliminées, et de siéger à parité de droits et de devoirs avec les élus directement choisis par nos concitoyens. C'est bien la seule « parité » qui sera en l'occurrence préservée. Elle nous éclaire sur la conception particulière d'une démarche dont le souci, en introduisant cette part de proportionnelle, est surtout de tenter de rallier l'un ou l'autre à cet invraisemblable mode de scrutin.

Il est d'ailleurs clair que celui-ci ne rencontre pas une adhésion sans faille de l'ensemble de la sphère politique, et pour cause. Il vous sera bien difficile d'expliquer aux électeurs qu'il correspond à une conception démocratique de la République, tant il sent le tripatouillage électoral.

Mais il est vrai que les collectivités locales conservent, contrairement au Gouvernement, la confiance des deux tiers des Français. Voilà une raison somme toute suffisante pour s'attaquer à ces pouvoirs décentralisés, vécus par votre gouvernement comme d'inacceptables contre-pouvoirs, et pour mettre à bas la démocratie locale et la proximité qui ont fondé leur efficacité et une légitimité incontestable

Monsieur le secrétaire d'État, nous ne nous exprimerons pas ce soir sur le coeur de la réforme territoriale, qui n'est pas le sujet du jour, mais soyez certain que nous serons au rendez-vous du débat à venir, tant pour dénoncer la dangerosité du big bang territorial que vous annoncez que pour formuler des propositions d'évolution. En effet, des évolutions sont nécessaires, mais elles doivent aller dans le sens de l'intérêt de nos concitoyens en amplifiant la décentralisation dont les acquis ne sont plus à démontrer. Car vous le savez bien, en un quart de siècle, les collectivités territoriales ont prouvé que, sous le contrôle a posteriori des chambres régionales de comptes, et surtout sous celui des électeurs, elles géraient mieux que l'État, quel qu'il soit, et au plus près des besoins de nos concitoyens.

Oui, nous avons des propositions d'évolutions à présenter qui sont le fruit de deux années de travail mené au sein de l'Association des départements de France, car nous n'avions pas attendu le discours de Toulon pour réfléchir à l'avenir de nos collectivités et à celui de la France décentralisée. Ces propositions, validées par les présidents des conseils généraux de toutes obédiences politiques, portaient, entre autres points, sur la théorie des deux blocs définie par Bruno Le Roux, avec le bloc local des politiques de proximité relevant du département, des intercommunalités et des communes, et le bloc de prospective et de planification relevant des régions, de l'État et de l'Europe.

Seulement, ces propositions, vous n'avez pas voulu les entendre ! Peut-être est-ce parce que notre légitime postulat consistait à demander qu'avant toute réforme l'État règle la question de sa dette colossale à l'égard des départements. L'origine de cette dette se trouve dans les politiques sociales que l'État a demandé aux départements de gérer à sa place : sans leur donner aucune prise sur celles-ci, il leur a seulement demandé de payer à sa place. Ces propositions que vous n'avez pas voulu entendre avant la réforme, monsieur le secrétaire d'État, nous les reprendrons dans le cours du débat.

Pour l'heure, nous nous limiterons à dénoncer les non-dits du texte que vous soumettez aujourd'hui à notre vote ; un texte qui, je pèse mes mots, relève de la malhonnêteté intellectuelle car il anticipe sans le dire cette régression insensée que vous voulez mener à terme, contre vents et marées, tant pour des raisons idéologiques et électorales que pour vous refaire une santé financière sur le dos des collectivités. Monsieur le secrétaire d'État, soyez assuré que nous combattrons cette régression avec force et vigueur tant elle est contraire à l'intérêt de nos concitoyens qui est le seul fil directeur de notre action. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

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