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Intervention de Jean-Patrick Gille

Réunion du 13 janvier 2010 à 10h00
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Patrick Gille, rapporteur :

Je me réjouis de la présence parmi nous de nos collègues de la Commission des affaires européennes, et notamment de celle de M. Christophe Caresche qui m'a accompagné lundi à Bruxelles.

Cette proposition de loi du groupe SRC, « relative à la protection des missions d'intérêt général imparties aux services sociaux et à la transposition de la directive services qui doit être examinée en séance publique le 21 janvier, a un intitulé qui peut sembler aride, mais le sujet est essentiel pour l'avenir du modèle français des services sociaux, unique en son genre en Europe. Évoluant pour certains d'entre eux dans le domaine économique ou associatif, mais assurant des missions relevant de l'intérêt général, les opérateurs concernés se sont historiquement constitués au cours d'un processus qui, je le dis sans esprit polémique, est au coeur même de notre identité nationale.

Notre commission a déjà été saisie de cette question, en juin dernier, lorsqu'elle a examiné la proposition de résolution adoptée par la Commission des affaires européennes sur les services sociaux d'intérêt général. Ce texte ayant défini des principes et des pistes de transposition, la présente proposition ne vise qu'à transcrire dans notre droit l'exigence ainsi affirmée : exclure clairement et largement les services sociaux du champ d'application de la directive services. Et nous souhaitons aborder, dans un esprit constructif, ce sujet d'intérêt collectif, qui concerne notamment l'ensemble des élus locaux.

La directive services a fait l'objet, au sein du Parlement européen, d'un compromis qui laisse à chaque État membre une marge de manoeuvre l'autorisant à sécuriser le fonctionnement et le financement de ses services sociaux. De ce fait, elle permet à la fois d'approfondir le marché intérieur, comme le veut si fortement la Commission européenne, et de protéger les services sociaux.

En décembre 2006, le Parlement et le Conseil européens ont donc adopté cette directive, qui vise à faciliter la libre circulation des services, un objectif du Traité de Rome resté jusqu'alors inappliqué. Pour donner une idée exacte de l'impact potentiel de ce texte, rappelons qu'en moyenne, les deux tiers des échanges des États membres se font au sein du marché intérieur et que les services représentent quelque 70 % du PIB de l'Union européenne. J'appelle également votre attention sur le fait que la directive services, appelée à faire l'objet de révisions régulières, n'est pas un texte comme un autre. La question, d'importance majeure, figurera durablement dans le calendrier européen et dans le débat public. Le 28 décembre 2009 a pris fin la première phase du processus – la révision générale des règles d'autorisation. On entre maintenant dans la phase d'évaluation mutuelle entre États membres, qui conduira à la révision de la directive en 2011.

La directive services vise à assurer à tout prestataire de services d'un État membre la liberté d'établissement et de prestations sur tout le territoire de l'Union. Je rappelle, à ce sujet, que le principe « du pays d'origine » contenu dans feue la directive Bolkenstein n'existe plus.

En privilégiant un texte « horizontal » plutôt que des initiatives législatives sectorielles, la Commission a souhaité inclure l'ensemble des services dans la directive. Le Parlement européen s'est élevé contre cette vision trop large et il a souligné la nécessité d'exclure les services sociaux du champ d'application de la directive. Ce combat a rassemblé bon nombre de parlementaires français, au premier rang desquels M. Jacques Toubon. La directive finalement adoptée est donc un texte de compromis qui prévoit, en ses articles 2.2.a et 2.2.j, l'exclusion de certains services sociaux de son champ d'application. Se pose alors la question de la définition des services concernés par cette exclusion.

La France, comme les autres États membres, avait jusqu'au 28 décembre 2009, date limite de transposition de la directive, pour répondre à cette question. Elle l'a fait avec quelques jours de retard seulement, en retournant le 5 janvier 2010 à la Commission européenne 500 fiches dites « IPM » d'élaboration interactive des politiques, soit autant de notifications de régimes d'autorisation ; certains États membres fédéraux en ont renvoyé plusieurs milliers.

Le problème est qu'en France ces fiches n'ont pas été rendues publiques. À cela s'ajoute que le sort de certaines activités a été traité dans plusieurs textes épars de la législation française récente, qu'il s'agisse du guichet unique dans la loi de modernisation de l'économie, de la possibilité d'appel d'offres pour les services médico-sociaux prévue dans la loi « Hôpital, patients, santé, territoires » ou des dispositions contenues dans la récente proposition de loi de simplification du droit qui a tant fait parler d'elle. Il nous a, par ailleurs, été indiqué qu'un rapport un peu plus « littéraire » serait élaboré par le Gouvernement d'ici la fin du mois de janvier, rapport qui devrait permettre de se faire une idée précise de l'exact état des lieux.

La démarche retenue par le Gouvernement encourt deux reproches. Si la qualité du travail administratif réalisé est indiscutable, l'exercice a été mené isolément dans chaque ministère, sans qu'à aucun moment il y ait eu débat public ou que les arbitrages politiques aient fait l'objet du contrôle du Parlement – ni même que celui-ci en ait été informé. Les gouvernements de plus d'une vingtaine d'États membres ont, au contraire, choisi de soumettre une loi-cadre à leur représentation nationale. En France, le choix a été fait de transposer la directive le plus discrètement possible afin de ne pas réveiller de vieux débats. Cela pose problème, car cette approche méfiante a, en retour, nourri les inquiétudes les plus diverses, certes peut-être pas toutes fondées, au sein du secteur social. Quant aux associations d'élus locaux et territoriaux, elles ont été très insuffisamment consultées.

Par ailleurs, certains choix du Gouvernement sont éminemment discutables. Pour l'essentiel, il a suivi le raisonnement juridique de la Commission européenne. Or, celle-ci pousse parfois à ses limites le droit communautaire, d'une manière dont on se rend compte qu'elle n'est pas toujours conforme à l'interprétation qu'en donne ensuite la Cour de justice des Communautés européennes. Le Gouvernement français n'a aucune raison d'intérioriser les injonctions parfois excessivement contraignantes de la Commission européenne, puisque le Parlement européen fait une lecture beaucoup moins restrictive du champ possible des exclusions.

Mme Évelyne Gebhardt, rapporteure de la directive services, a confirmé, lorsque nous l'avons rencontrée à Bruxelles, que le Parlement européen a adopté un amendement refusant à la Commission la possibilité de proposer une « communication interprétative » de la directive ; elle nous a également dit que le manuel de transposition publié par la Commission n'avait aucune valeur juridique contraignante. Nous avons, par ailleurs, eu un entretien avec Mme Maria Martin-Prat, chef d'unité à la Direction générale « Marché intérieur et services » de la Commission européenne. Nous avons été frappés par la différence d'interprétation faite de la directive selon que l'on se place du point de vue du Parlement ou de la Commission. La divergence est telle que Mme Gebhardt a estimé nécessaire la constitution d'une commission de suivi de la transposition de la directive services au sein du Parlement européen. Ainsi, la Commission européenne considère-t-elle que les services liés à la petite enfance entrent dans le champ d'application de la directive alors que, pour le Parlement européen, ils doivent en être exclus, sur le fondement de l'article 2.2.j. Le débat continue donc à Bruxelles.

La négociation avec la Commission a conduit le Gouvernement français à inclure dans le champ de la directive le secteur des services à la petite enfance, suivant pour cela un raisonnement juridique contestable et d'ailleurs contesté par l'Association des maires de France, par l'Union nationale des centres communaux et intercommunaux d'action sociale, l'UNCASS, et par de nombreux autres acteurs du secteur. Cette inclusion était si peu évidente que, le 16 septembre dernier, au congrès de l'UNCASS, M. Xavier Darcos affirmait : « La majorité des services sociaux et médico-sociaux devraient pouvoir être exclus du champ d'application de la directive. Il devrait en être de même pour tous les services d'aide à domicile, crèches et haltes-garderies ». Malheureusement, ces options ont été battues en brèche par les arbitrages ultérieurs.

Il existait pourtant une autre manière de procéder, et la proposition vise précisément à transposer en droit français, par le biais d'une loi-cadre, le droit communautaire applicable aux services sociaux. Comme on le sait, ce droit est composé des traités, des directives et des principes issus de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes ; aussi demandons-nous que toutes les dispositions protectrices des services sociaux contenues dans le droit communautaire soient utilisées.

Le texte donne une sécurité juridique en définissant un cadre législatif ; il permet l'exclusion large et claire des services sociaux du champ d'application de la directive services ; dépassant le seul cadre de la transposition, il donne aussi aux collectivités territoriales la possibilité de sécuriser le financement des services sociaux, notamment par le biais de la convention de partenariat d'intérêt général.

L'article 1er précise quels sont les services sociaux exclus du champ d'application de la directive, en dressant une liste élargie des services sociaux concernés à l'annexe I. La proposition utilise, en effet, les marges de manoeuvre permises par la directive pour exclure largement les services sociaux non économiques de son champ d'application – c'est l'article 2.2.a –, tandis que l'article 2.2.j de la directive prévoit explicitement l'exclusion du « logement social, de l'aide à l'enfance, de l'aide aux familles et de tous les services sociaux d'aide aux personnes qui sont, de manière permanente ou temporaire, en situation de besoin ». Cette dernière catégorie, volontairement imprécise, a été introduite afin de laisser à chaque État membre la latitude de définir, en fonction de sa situation historique, juridique et culturelle, ce qui relève des services sociaux sur son territoire. Les divergences d'interprétation portent donc sur la question de savoir si « les personnes qui sont, de manière permanente ou temporaire, en situation de besoin » forment une catégorie à part.

L'article 2 définit les services sociaux « économiques » et les services sociaux « non économiques » – au sens de la Cour de justice des Communautés européennes – qui peuvent bénéficier des dispositions protectrices contenues dans les Traités. Il a pour intérêt de préciser que les services sociaux, notamment ceux qui sont dits « d'intérêt économique général », peuvent bénéficier de dispositions protectrices leur permettant de déroger aux règles du marché intérieur. Le tiers secteur et l'économie sociale peuvent ainsi être sécurisés par les dispositions contenues dans les traités européens.

Les articles 3 et 4 adaptent en droit français les exigences communautaires pour sécuriser le financement des services sociaux et traitent la question du mandatement. En ne le faisant pas, le Gouvernement a fragilisé le modèle français des services sociaux.

En effet, outre le problème immédiat de la transposition de la directive services, un autre dossier, plus compliqué encore, suscite de fortes inquiétudes chez tous les acteurs du secteur social, donneurs d'ordre – souvent les collectivités locales – et prestataires : celui des aides d'État, régies par le « paquet Monti-Kroes », et de la compatibilité des modes d'action des collectivités locales avec les règles de la concurrence. La directive services a, en quelque sorte, fait les frais de cette inquiétude car une confusion se produit, parfois à tort, entre ces deux dossiers centrés sur le mandatement, c'est-à-dire sur la manière dont une collectivité publique charge un opérateur d'un service social d'intérêt général et le finance.

Notre proposition tente de résoudre ces difficultés en établissant clairement l'exigence de mandatement, en définissant la notion et en créant, conformément à la proposition en ce sens contenue dans le rapport de M. Michel Thierry, une convention de subvention spécifique pour les services sociaux, appelée « convention de partenariat d'intérêt général ». Ce nouvel outil, qui va plus loin que la convention pluriannuelle d'objectifs remaniée, présentée par le Gouvernement lors de la Conférence de la vie associative du 17 décembre dernier, serait un instrument solide et juridiquement sûr pour tous les acteurs publics.

Enfin, l'article 5 rappelle les principes généraux applicables aux services sociaux d'intérêt général depuis l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, auxquels le protocole n° 26 a apporté des garanties nouvelles.

L'objectif premier de cette proposition est donc de mieux utiliser la marge de manoeuvre et d'appréciation dévolue aux États membres par le Traité de Lisbonne. Le texte a pour autre objectif de permettre aux collectivités de créer des services publics locaux et de sécuriser le fonctionnement des opérateurs, en définissant, en droit français, la notion de mandatement. On ne peut se satisfaire plus longtemps d'une situation qui voit les régions subventionner fortement et sans problème des centres de formation d'apprentis, alors qu'il leur est imposé de lancer des appels d'offres de marché public d'une grande complexité pour financer une petite association locale de lutte contre l'illettrisme. La notion de mandatement doit valoir aussi, par exemple, pour les services communaux d'accueil périscolaire.

Il s'agit, enfin, avec ce texte de soutenir et de conforter le tiers secteur et le secteur social associatif, en pleine expansion, qui regroupent quelque deux millions d'employés, et qui, à certains égards, constituent une spécificité française. Rien de ce qui vous est proposé ici n'est incompatible avec la construction européenne. C'est pourquoi je vous invite à adopter ce texte auquel je vous proposerai d'apporter seulement quelques amendements rédactionnels.

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