Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, il y a un peu plus d'un an, le 27 novembre 2008, nous examinions une proposition de loi transpartisane, portée par Christiane Taubira et le groupe SRC, et relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires. Elle était le fruit d'un travail efficace et collectif, en concertation avec les associations de vétérans, et faisait la synthèse des dix-sept propositions de loi précédentes, émanant de tous les bancs de cette assemblée. Ainsi, l'automne 2008 avait été consacré à l'élaboration de cette proposition de loi, en lien étroit avec des associations telles que « Mururoa et tatu » et l'AVEN dont je salue les présidents successifs, Jean-Louis Valaxt – malheureusement décédé –, Michel Verger et aujourd'hui Jean-Luc Sans pour leur investissement sans relâche.
Avec le comité « Vérité et Justice » animé par des élus de tous bords, des scientifiques et des vétérans, nous avons sensibilisé l'opinion publique et les responsables politiques à la nécessité de mettre fin au silence de l'État quant à sa responsabilité en matière d'incidences des essais nucléaires. Notre volonté était d'autant plus forte que notre message était simple : reconnaître la responsabilité de la France dans les maladies développées suite à des essais nucléaires et réparer les préjudices subis, dans l'indifférence la plus totale, au fil de ces longues dernières années.
Tous ici, nous connaissons des vétérans, aujourd'hui décédés – s'agissant de mon département, je pense à André Mézières –, dont les parcours au service de la France et de sa stratégie de dissuasion – 210 essais nucléaires dont dix-sept au Sahara et 193 en Polynésie – se sont soldés par une longue maladie, et qui se sont heurtés au mur du secret dressé par les pouvoirs publics.
Quarante-neuf ans après le premier essai aérien, treize ans après le dernier essai souterrain, le moment est donc venu de mettre un terme à la dénégation et à l'injustice qui ont frappé tant de vétérans et leurs familles.
Il y a un an donc, nous examinions une proposition de loi qui a constitué, on peut le dire aujourd'hui, un premier pas décisif. Le Gouvernement, par la voix du ministre de la défense, avait préconisé le rejet du texte au motif qu'il était trop large et qu'un projet de loi verrait le jour prochainement. Même si cela allait à rebours de la réforme constitutionnelle censée accorder plus de droits au Parlement, la majorité avait rejeté notre texte dans l'attente du projet du ministre.
Concernant ce texte d'origine gouvernemental, nous devons vous donner acte, monsieur le secrétaire d'État, que, sur la forme, vous et le ministre de la défense avez doublement tenu parole : un projet de loi portant réparation des conséquences sanitaires des essais nucléaires français a été déposé au printemps 2009 et, comme vous vous y étiez engagés, vous avez sollicité, ainsi que le ministre l'a rappelé à l'instant, parlementaires – nous y avons participé – et associations pour travailler en amont sur votre projet. En juin dernier, nous l'avons examiné. Il portait le titre suivant : « Réparation des conséquences sanitaires des essais nucléaires français ». En commission, nous avons choisi de lui donner un autre nom : « Reconnaissance et indemnisation des victimes des essais nucléaires français ». Ce changement de titre adresse un véritable message à la nation tout entière : la France reconnaît désormais ce qui s'est passé et s'engage dans la réparation des préjudices des victimes. Le débat fut constructif et constitue un exemple de ce que pourrait être une véritable co-production parlementaire, dispositif dont on parle souvent, mais qui, reconnaissons-le, existe peu jusqu'à maintenant.
Je veux souligner l'aide précieuse que nous ont apportée les services du Médiateur de la République. Ainsi, un certain nombre d'avancées ont été obtenues, puis confirmées et renforcées par le travail des sénateurs, et confirmées à nouveau par la CMP.
Aujourd'hui nous sommes à la dernière étape de notre parcours parlementaire, et il est l'heure de dresser le bilan des avancées obtenues.
Ce texte reconnaît que les essais nucléaires n'avaient pas l'innocuité que la plupart des gouvernements ont affirmée jusqu'ici.
De plus, il crée un dispositif d'indemnisation des victimes, reconnaît que c'était nécessaire et pleinement justifié, et, en conséquence, instaure un droit à l'indemnisation.
Mais, dans la proposition de loi nous défendions, était prévu un mécanisme d'indemnisation différent de celui qui a été retenu : il était semblable à celui mis en place pour les victimes de l'amiante, s'appuyant sur un principe de présomption de causalité et créant une commission indépendante et un fonds d'indemnisation autonome. Or le dispositif d'indemnisation proposé dans le projet de loi dépend largement du ministère de la défense. Certes, son principal mérite est de permettre aux victimes d'éviter le recours aux procédures juridiques incertaines et interminables. Il institue un droit à réparation, mais interne au ministère de la défense puisque la décision en dernier ressort relève du ministre. Comme on l'a dit : l'État est juge et partie. De ce fait, le risque demeure que l'indemnisation ne concerne que les situations pour lesquelles le ministère lui-même reconnaît qu'il y a eu un incident lors du tir, c'est-à-dire un incident répertorié. Une ambiguïté persiste sur ce point.
Le groupe SRC se félicite des précisions apportées par le Sénat, notamment l'introduction, à l'article 4, du bénéfice pour l'intéressé du principe de présomption de causalité, ajout auquel le ministère s'était opposé à l'Assemblée. Mais ce principe posé dans la loi est immédiatement restreint dans son application par la phrase suivante, qui nous inquiète un peu : « […] à moins qu'au regard de la nature de la maladie et des conditions de son exposition le risque attribuable aux essais nucléaires puisse être considéré comme négligeable. » Nous ne voulons pas que cela soit une manière pernicieuse de réintroduire la notion de seuil, voire de dosimétrie.
Nous conservons donc de fortes réserves sur le dispositif final, qui se résume au fait – mais c'est déjà une victoire – que l'État, à travers le ministère de la défense, assume ses responsabilités d'employeur vis-à-vis de ses agents militaires ou civils. Nous aurions souhaité – comme c'est le cas dans les pays anglo-saxons, qui ont réglé ces questions depuis plusieurs années – que s'applique pleinement le principe de présomption d'origine nucléaire pour l'ensemble des victimes, y compris les populations locales.
Pourquoi autant de méfiance, monsieur le secrétaire d'État, à l'égard d'un fonds autonome et d'une participation accrue des associations au travail de réparation ? Si la France doit renouer avec cette part cachée de son histoire, accordons une place à la société civile dans ce dispositif.
D'autres difficultés importantes subsistent : la définition des zones géographiques d'exposition – même si le texte a été voté conforme par le Sénat sur ce point –, et des incertitudes sur la liste des maladies concernées.
Lors de la CMP, nous avons tenté vainement d'améliorer l'article 7 qui porte sur la commission de suivi. Si nous avons pu sécuriser sa composition en la limitant à dix-neuf membres, nos autres propositions sont restées lettres mortes. Pourquoi cette commission n'est-elle que consultative ? Pourquoi refuser de l'associer au suivi médical et environnemental des conséquences des essais nucléaires ? Enfin, nous regrettons que la commission de suivi ne puisse examiner le projet de décret fixant la liste des pathologies – elle peut seulement proposer des modifications a posteriori. Il me semblait que le ministre ait pris l'engagement que nous disposerions des décrets au moment du vote ; or je constate que nous ne les avons pas.
Au-delà de ces éléments, il reste la question importante des préjudices pour les ayants droit : elles n'est pas traitée alors que nous avons rencontré, au fil des années, nombre de personnes témoignant des conséquences néfastes pour leurs descendants des maladies issues de ces essais, ne serait-ce que le décès prématuré d'un père !
Monsieur le secrétaire d'État, mes collègues et moi-même, sur tous les bancs, saluons la reconnaissance par la nation du courage et des souffrances des vétérans des essais nucléaires et de leur famille, qui se battent depuis des années pour que justice leur soit rendue ; nous nous félicitons de l'existence de cette loi, fruit d'un parcours parlementaire assez exemplaire et souvent, cela a été dit, consensuel, auquel nous sommes heureux d'avoir pleinement contribué, contraignant ainsi le Gouvernement à agir.
Mais, avec mes collègues du groupe SRC, je continuerai à suivre l'application de cette loi car, je le répète, nous déplorons de trop grandes incertitudes sur les zones géographiques, sur la liste des maladies et sur les publics concernés. Nous déplorons aussi le refus que la commission de suivi porte sur les conséquences médicales et expérimentales. C'est un point qui devra être revu. Enfin, nous déplorons la centralisation excessive du dispositif d'indemnisation, dans les mains du ministère de la défense et de lui seul.
Pour toutes ces raisons, il s'agit d'une loi d'indemnisation a minima. Pour notre part, nous restons convaincus de la nécessité d'un régime d'indemnisation plus autonome et plus juste. C'est pourquoi le groupe SRC s'abstiendra sur le vote final de ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)