Il y a quelques mois, en pleine crise financière, on aurait pu croire que les inconditionnels du libéralisme et de la déréglementation s'étaient amendés et qu'ils avaient redécouvert les vertus de la puissance publique. Mais cette conversion, purement opportuniste, a été de courte durée.
Les textes mis en débat ces derniers mois montrent que le Gouvernement n'a pas mesuré les conséquences des dérégulations. Ce projet de loi en est une nouvelle illustration : il vise d'abord et surtout à modifier le statut de La Poste pour transformer cet établissement public en société anonyme.
Vous justifiez la nécessité de ce changement de statut par l'ouverture à la concurrence décidée au niveau européen et par la nécessité d'assurer l'avenir et la modernisation de cette institution.
Bien sûr, nous pouvons vous rejoindre sur les défis à relever par le service postal. Indépendamment de la fin du monopole, son adaptation à un nouvel environnement et à la modification des comportements des usagers est à l'évidence une nécessité. Nous sommes toutefois en profond désaccord sur les moyens pour y parvenir, tant pour des raisons de choix de société que pour des raisons techniques.
Nous ne croyons pas que la transformation en société anonyme soit la solution pour assurer l'avenir de ce service public. Les arguments avancés sont loin d'être convaincants. Ils soulèvent plus de questions qu'ils n'apportent de réponses.
Vous savez parfaitement que ni les directives ni les normes communautaires ne comportent d'obligations juridiques concernant le statut des opérateurs, dont la modification est du seul ressort des États membres. Ne nous faites donc pas croire à une quelconque volonté européenne. C'est d'abord votre choix politique.
Second constat : pour réformer 1'organisation et le fonctionnement de La Poste, il n'était nul besoin de changer son statut.
Aucune analyse convaincante n'a été avancée pour démontrer que, dans le contexte actuel, une ouverture de capital présenterait des avantages par rapport aux autres modes de financement possibles. Sur la base de son statut actuel, elle a parfaitement la possibilité d'assurer cette évolution.
Monsieur le ministre, si la transformation de La Poste en société anonyme ne relève d'aucune obligation européenne, si ce n'est pas non plus un préalable à sa modernisation, alors cela résulte en réalité d'une stratégie politique qui ouvre directement la porte à une future privatisation.
Pour vous en défendre, vous répétez à satiété que les capitaux de la future société anonyme seront à 100 % publics et qu'ils le resteront puisque cela est inscrit dans la loi. Vous annoncez à l'envi le caractère « imprivatisable » de la Poste. Or nous le savons tous : ce qu'une loi à fait, une autre loi peut le défaire.
Vos engagements d'aujourd'hui ne manquent pas d'en rappeler d'autres. En 2004, Nicolas Sarkozy affirmait : « Il n'y aura pas de privatisation d'EDF et de Gaz de France, c'est clair, c'est simple et c'est net ». On sait bien ce qu'il en est advenu pour GDF. Malheureusement, pour cette entreprise, c'est aujourd'hui tout aussi « clair, simple et net »... Et je pourrais vous donner d'autres exemples. On voit bien que l'ouverture du capital est souvent le premier pas vers la privatisation des services publics et des entreprises publiques.
Inscrire dans la loi qu'un service public est national n'est pas non plus une garantie à toute épreuve. Le Conseil constitutionnel a déjà clairement précisé que cela n'empêchait en rien son transfert vers le secteur privé. Seule une inscription dans la Constitution mettrait La Poste à l'abri d'une privatisation.
En réalité, la seule véritable garantie de ne pas privatiser la Poste, c'est tout simplement de ne pas la transformer en société anonyme. Tous les autres arguments que vous mettrez en avant relèvent des promesses, voire de l'habillage.
Monsieur le ministre, ce projet de loi est dangereux pour l'avenir du service postal. Il n'est pas acceptable en l'état pour plusieurs raisons.
D'abord, il transforme le statut juridique de La Poste sans justifications ni garanties réelles. Ensuite, il n'apporte pas de réponse sérieuse sur le financement et la régulation du service public. Par ailleurs, il n'apporte aucune perspective, aucune réflexion sur les besoins des utilisateurs et des territoires, ni sur les moyens d'y faire face, alors que c'est cela qui devrait être au coeur de nos débats. Enfin, il ne donne pas non plus de réponse crédible sur le financement du service universel ni sur la contribution à l'aménagement et au développement du territoire.
En fait, tout l'enjeu aurait dû porter, en priorité, sur l'utilisation des marges de manoeuvre existantes pour conforter les missions de service public de La Poste, d'autant plus que la Commission européenne n'interdit pas les aides de l'État quand elles sont destinées à couvrir les charges liées à l'exercice de missions de service public. Au lieu de cela, vous avez choisi une approche idéologique et réductrice qui menace le plus symbolique des services publics pour la majorité de nos concitoyens.
Aujourd'hui, La Poste, c'est une nécessité majeure pour des millions d'utilisateurs, et surtout pour les personnes les plus fragiles. Elle distribue le courrier à un tarif unique sur tout le territoire, en particulier dans les zones rurales les plus éloignées, et verse les minima sociaux aux plus défavorisés. Elle permet également à chacun d'accéder à une banque de proximité. C'est souvent le seul contact quotidien pour les personnes les plus isolées et le dernier service public à la campagne et dans les zones urbaines sensibles.
Mais qu'en sera-t-il demain avec une société anonyme ? La réponse est toute trouvée : que ce soit dans l'énergie, dans les transports ou dans les télécommunications, chaque fois que le statut change, l'emploi recule, les prix augmentent et la qualité des services diminue. Les exemples d'autres pays européens comme la Suède, l'Allemagne ou l'Angleterre sont particulièrement explicites. Ils ont largement montré cette dégradation du service.
Chaque fois que le statut de La Poste a changé, on a observé une diminution du nombre de bureaux de poste et des effectifs. Il n'y a aucune raison qu'il en soit autrement demain pour notre pays. Et ce n'est pas l'inscription dans ce projet de loi d'un réseau de 17 000 points de contact qui pourra nous rassurer.
Déjà en milieu rural, ces points de contact sont de moins en moins des bureaux de poste et de plus en plus des agences postales communales ou des relais, qui n'offrent pas du tout le même niveau de services.
L'expérience montre qu'il suffit de réduire l'amplitude des horaires d'ouverture pour constater une baisse de la fréquentation et justifier ainsi la fermeture du bureau de poste.