Il aurait pu être l'occasion d'une rénovation en profondeur du service public postal dans une approche concertée avec les employés et les usagers. Le mécontentement de ces derniers appelait à les associer à l'effort de redéfinition des missions d'intérêt général de La Poste. L'analyse de leurs besoins pouvait conduire à leur offrir de nouvelles garanties concernant par exemple l'implantation et les horaires d'ouverture des bureaux. Cette même analyse aurait aussi pu mettre en évidence les attentes de prestations nouvelles, par exemple dans le domaine des technologies de l'information et de la communication.
Les courriels remplaçant progressivement les courriers, l'accent pouvait être mis notamment sur le développement de cyber-services. Les bureaux de poste pourraient ainsi accueillir des points internet, en particulier dans les zones d'habitat les moins denses, où une grande partie des habitants ne peuvent aujourd'hui accéder au haut débit.
Mais, au lieu d'une réforme ambitieuse contribuant de façon positive à l'aménagement du territoire, votre projet de loi se borne à poursuivre la transformation de La Poste en une société qui sera obnubilée par la rentabilisation de ses activités et pleinement libre de poursuivre le démantèlement de son réseau.
Une telle orientation semble faire bien peu de cas de la directive sur le service universel postal de 1997 qui – je le rappelle – affirmait : « Les États membres prennent des mesures pour que la densité des points de contact et d'accès tienne compte des besoins des utilisateurs. »
Au-delà du contenu inchangé des obligations de service universel, se posait également la question des moyens donnés à l'opérateur pour y satisfaire. Nos collègues eurodéputés socialistes se sont battus pour le maintien d'un marché captif, celui des envois de moins de cinquante grammes, grâce auquel La Poste bénéficiait des crédits nécessaires au financement de ses missions d'intérêt général. L'ouverture à la concurrence de ce « secteur réservé » a été votée par les eurodéputés de droite et la suppression de cette manne n'est pas aujourd'hui compensée par la création d'une ressource suffisante, stable et pérenne.
Un rapide examen des deux mécanismes de financement inscrits dans votre projet de loi suffit à s'en convaincre. Commençons par la contribution sur le chiffre d'affaires sur le courrier réalisée par les opérateurs postaux, qui sera versée au fonds de compensation du service universel postal. Outre les difficultés techniques liées à sa mise en oeuvre, cette taxe sera bien loin de dégager les 900 millions d'euros nécessaires au financement des missions d'intérêt général.
Ajoutons en outre qu'une telle contribution s'appliquerait en premier lieu à La Poste. De la sorte, l'entreprise serait vraisemblablement conduite à répercuter ce prélèvement sous la forme d'augmentations de tarifs encore une fois pénalisantes pour les usagers. Le service universel postal conçu comme un ensemble de prestations fournies « à des prix abordables pour tous les utilisateurs » s'en trouverait alors fortement compromis.
Venons-en ensuite au « fonds postal national de péréquation territoriale », censé assurer le maintien de la présence postale dans certaines zones prioritaires – les zones rurales, les zones de montagne, les zones urbaines sensibles et les départements d'outre-mer. Alimenté par l'abattement sur la fiscalité locale dont bénéficie La Poste, il représente une enveloppe annuelle de 140 millions d'euros environ. Alors que la commission Ailleret elle-même ne considérait pas cette ressource comme suffisante, la réforme annoncée de la fiscalité locale fait peser une sérieuse hypothèque sur sa survie à moyen terme.
Des ressources précaires et trop faibles : voilà qui témoigne bien du peu d'enthousiasme que vous mettez à préserver les obligations de service universel de La Poste et son rôle dans la cohésion de nos territoires. Nous attendions naturellement une autre ambition et des mesures fortes garantissant le financement de ces missions dans le long terme.
Le droit communautaire autorisait par exemple la mise en place d'une redevance pour l'accès au marché des services postaux. Celle-ci aurait pu viser notamment tous les opérateurs présents dans les secteurs d'activité les plus lucratifs et les plus dynamiques, comme l'envoi de colis, dont on sait aujourd'hui qu'il est dopé par le développement du commerce en ligne.
La carence de financement qui s'annonce est une négligence coupable qu'il vous faudra compenser par le versement de subventions d'État et que vous devrez justifier devant des usagers de plus en plus ulcérés par la dégradation du rapport qualité-prix des prestations offertes et par la disparition des bureaux de proximité.