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Intervention de Jean Grellier

Réunion du 17 décembre 2009 à 9h30
La poste et les activités postales — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean Grellier :

Pour celles et ceux qui croiraient encore aux promesses, rappelons que le 6 mai 2004, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'économie et des finances, avait juré, lors d'un déplacement à Chinon, que jamais GDF ne serait privatisé : aujourd'hui, l'État ne possède plus que 35,7 % du groupe GDF-Suez ! Les mots ont-ils encore un sens ? Mais il est vrai que les promesses n'engagent que ceux qui veulent y croire !

Imprivatisable, La Poste ? Peut-on sincèrement le croire au vu du texte sur lequel nous avons déjà travaillé en commission ? Les faits sont têtus et nous nous en souvenons : chaque ouverture du capital d'une grande entreprise publique a été suivie d'une cession au privé quelques années plus tard.

Vous disposez d'un argument imparable, dont vous nous avez fait part le 9 septembre dernier, monsieur le ministre : c'est La Poste elle-même qui demande à être modernisée, cet argument étant cependant porté par son président – et par lui seul, oserai-je dire. À ceux qui interrogent notre histoire et notre identité, il est bon de rappeler que nous avons bâti collectivement, au fil des siècles, un patrimoine commun grâce au travail et aux richesses accumulées par des dizaines de générations. Aujourd'hui, c'est cette notion de patrimoine commun qui est durablement menacée.

L'article 1er du texte donne à La Poste le statut de société anonyme, alors même que les directives communautaires ne l'imposent pas. De plus, il est inscrit que le capital de l'entreprise sera détenu par l'État ou par d'autres personnes morales appartenant au secteur public : on peut, dès lors, craindre un désengagement de l'État. Une clarification sur le caractère public des personnes morales concernées s'impose donc.

Je le répète, le but à terme est certainement la privatisation, mais l'opération est politiquement sensible, tant les Français sont attachés à leur Poste : La Poste est d'abord le deuxième service public le plus apprécié des Français ; elle est ensuite le premier employeur, avec près de 300 000 collaborateurs.

Seuls des opérateurs financiers publics entreront, aux côtés de l'État, dans le capital de la nouvelle société anonyme La Poste, qui recevra 2,7 milliards d'euros pour sa modernisation, soit 1,2 milliard d'euros apportés par l'État et 1,5 milliard d'euros apportés par la Caisse des dépôts. Le montant de 2,7 milliards représente le solde entre le besoin global en investissements de modernisation, de développement et d'innovation, estimé à 6,3 milliards, et la capacité d'autofinancement, évaluée à 900 millions d'euros par an pendant quatre ans.

Par cette porte ouverte, des capitaux privés peuvent entrer à leur tour au capital, afin que la part de l'État diminue, ce qui constituera le prélude à une privatisation comparable à celles de France Télécom et de GDF. L'augmentation de capital, dites-vous, doit impérativement se faire au niveau de la tête du groupe, seule susceptible d'assurer la cohésion et le développement équilibré du groupe : nous réfutons absolument cette manière de considérer les choses, et prônons, pour notre part, un renforcement du capital des branches et des filiales.

Moderniser, tel est votre mot. Je croyais que l'on modernisait ce qui était obsolète et fonctionnait mal. Pourtant, le 22 juillet 2008, lors de la signature du contrat de service public de La Poste, Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie et des finances, reconnaissait avec satisfaction : « Avec un chiffre d'affaires de 20 milliards et des résultats en progression constante, le groupe La Poste peut être fier de son bilan. Je tiens à féliciter ici l'ensemble des agents de La Poste, représentés aujourd'hui par leur président et plusieurs collaborateurs, pour leur travail. En effet, depuis cinq ans, le groupe La Poste s'est profondément modernisé, diversifié et internationalisé, ce qui lui permet de montrer des performances remarquables dans l'ensemble de ses métiers. »

En faut-il toujours plus ? La Poste s'est déjà modernisée, mais il faut croire qu'il ne suffit pas d'être rentable, de dégager des excédents, d'offrir des services diversifiés et d'être présent à l'international : il faut être résolument « moderne ». Cet adjectif serait-il un nouveau synonyme de « privé » ?

Autre réalité que vous voulez nous faire partager : La Poste ne peut pas accroître son endettement. En 2008, elle a déboursé 500 millions d'euros pour acquérir 50 % de l'opérateur espagnol SEUR et 140 millions pour l'achat d'Experian, une société de services en ingénierie informatique. Or, avec 500 millions d'euros, il est possible d'entretenir 1 000 guichets de plein exercice de La Poste pendant dix ans, salaires, loyer et informatique compris.

Lors des débats en commission, vous vous êtes engagés à ce que le capital de La Poste reste détenu à 100 % par des personnes publiques. Vous allez prendre cet engagement devant la représentation nationale et tous les Français. Comptez sur notre vigilance pour vous faire tenir parole. Nous verrons également si la mission d'aménagement du territoire de La Poste, qui est primordiale, sera préservée par le maintien des 17 095 points de contact sur le territoire – nombre que nous souhaitons voir inscrire dans la loi – et l'attribution d'un financement approprié à cette mission.

Par ailleurs, je précise que rien n'interdit à l'État d'apporter au groupe La Poste une aide financière pour l'aider à remplir deux des quatre missions de service public qui lui sont assignées : la présence postale sur l'ensemble du territoire, ainsi que le transport ainsi que la distribution de la presse. Dans ces conditions, la solution la plus satisfaisante paraît être le maintien du statut d'établissement public industriel et commercial, qui est compatible avec l'ouverture à la concurrence du secteur postal.

Aujourd'hui, ce texte nous laisse craindre un avenir difficile pour ce patrimoine commun que constitue La Poste. Un dispositif prétendument « modernisé » risque de la contraindre à lancer des appels d'offre pour l'exécution des missions de service public, ce qui remettrait en cause le maintien de son partenariat avec les collectivités.

L'aménagement du territoire et l'égalité devant le service public suscitent également des craintes sérieuses. Le financement de la présence postale repose en grande partie sur le maintien de la subvention accordée par l'État pour prendre en charge la mission de transport et de diffusion de la presse. Qu'en sera-t-il si ce texte est finalement adopté ?

Nous sommes opposés au changement de statut, car nous pensons que La Poste peut parfaitement continuer à fonctionner en restant un établissement public. Lorsque la gauche était majoritaire, elle s'est toujours opposée à ce qu'une directive européenne retire à La Poste le secteur réservé, et elle a obtenu gain de cause. Vos majorités successives ont, quant à elles, lâché la bride.

Enfin, nous sommes très inquiets du risque de disparition de très nombreux bureaux de poste au profit de points de contact, offrant un périmètre de services très restreint et n'apportant aucune garantie de confidentialité.

La réalité montre que le processus de modernisation-libéralisation conduit systématiquement à la privatisation, d'abord par une ouverture du capital – il s'agit, nous dit-on, de renforcer l'entreprise pour la rendre plus compétitive –, puis par l'abandon progressif par l'État de sa participation. Le cas de France Télécom est à cet égard exemplaire ; nous nous battrons pour que La Poste ne connaisse pas le même sort.

Non, ce changement de statut ne nous est pas imposé par Bruxelles ; il n'est pas inévitable ! Si la Poste a vraiment besoin de capitaux, d'autres solutions existent qui ne nécessitent pas une privatisation.

Il y a 170 ans, en 1839, nos amis britanniques ont adopté une réforme postale qui sera ensuite étendue à l'ensemble du monde. Les principes en étaient simples : la taxe sur le courrier est payée par l'expéditeur et le tarif est unique. C'est précisément l'instauration de ce tarif unique qui a rendu possible, par le système de péréquation, la naissance du service public. En effet, les activités rentables financent celles qui sont déficitaires, de façon à assurer la mission de service public sur tout le territoire, à un coût supportable par l'ensemble de la population. Il y a 170 ans, une idée moderne était née, monsieur le ministre. Aujourd'hui et plus que jamais, la véritable modernité, c'est le service public ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

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